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jeudi 4 avril 2019

Combattre oui, mais pour qui ?

Je fais suite à cet article du Pistolet à Colle, car le sujet, de linguistique, est devenu sociologique, donc je déménage la suite ici.

D'ailleurs, pour être précis, il faudrait dire "Les garçons ne bricolent pas, les filles ne font plus la cuisine, tout le monde joue à Supermario."

On trouvait partout de ces magasins d'électronique, où on achetait les composants au détail, et où il y avait toujours un cibiste dispo pour vous expliquer le schéma, et le pourquoi des résistances. Il n'y avait pas de fille, et tant mieux, on a des choses sérieuses à faire, on n'est pas là pour draguer. Tout le monde se les disputerait, non, on a du boulot. Ces magasins ont bien entendu disparu, il faut se débrouiller seul avec des types qu'on hèle dans la brume sur des forums, des tutos sans question et des boutiques sur ebay qui ne disent rien, mais en chinois.

Donc les garçons ne peuvent plus bricoler, parce que ce n'était pas "rentable".

Quant à la cuisine, n'en parlons pas. Parlons plutôt de la broderie et de la dentelle. Les mères ne savent plus, les filles n'apprendront rien. Et pourtant, moi qui vous parle, je n'ai pas fini de cataloguer les trésors de sagesse et d'intelligence que recèlent ces arts. Et il n'y avait pas de garçon, et tant mieux, parce que les garçons n'ont pas le cortex assez développé pour comprendre la dentelle, on perd son temps à leur montrer.

Et puis les filles, on leur a expliqué que c'était ringard de broder et de coudre, c'est un stéréotype de genre, faut le combattre. Ce qui est beaucoup plus smart pour une femme c'est de travailler, c'est d'aller se faire exploiter à l'usine d'à côté, ça c'est moderne, féministe, allez hop, à la chaîne.

Ce qui est curieux, c'est que, du temps où on ne s'occupait pas de ces questions, les cartables étaient en cuir, donc marron. Depuis que les écoliers portent des sacs à dos en plastique pourri, ces derniers se divisent en deux catégories : la première contient le cartable en plastique pourri qu'on doit avoir quand on peut se l'offrir, qui dure deux ans alors qu'il serait insupportable de le garder aussi longtemps puisqu'il faut racheter le nouveau, et la seconde le cartable deux fois moins cher et qu'il faut racheter trois fois plus souvent puisqu'on n'a pas les moyens.

Au final, la grande perdante, c'est la planète, qui voit s'empiler les sacs en plastique pourri, et les grands gagnants les vendeurs d'objets en plastique qui lancent de grandes campagnes auxquelles les gens adhèrent pour... Pour quoi ?

Je ne sais pas, avoir quelque chose à quoi adhérer, peut-être. Éviter la grande glissade vers l'abîme du nihilisme. Mais c'était bien le but, alors pourquoi les combattre, si c'est pour s'apercevoir qu'il faut étayer la galerie avec autre chose de pire, de moche, en plastique rose et mou acheté sur E-Chine qui pollue la planète ?



Maintenant, prenons-le par l'autre bout, je vais me mettre à la place de l'élève à qui on demande de composer sur ce sujet : Au prétexte de faire accroire que "On" se le demande, en réalité "on" me demande comment combattre les stéréotypes de genre. Bien (1). Pour moi "combattre un stéréotype", c'est employer une métaphore qui relève du domaine militaire. Bien. Donc, "on" me demande de combattre un ennemi qu'on vient de me désigner. Les stéréotypes de genre... Mais qui est ce "on" ?

Les stéréotypes de genre, voyons voyons. Avant de le considérer comme un ennemi, voyons déjà qui c'est, c'est plus amical, comme attitude. Alors c'est quoi ? Un stéréotype est une sorte de modèle idéal, créé pour l'étude, une création sociologique faite pour représenter une réalité sociale complexe. Certes le stéréotype simplifie, mais il permet de manipuler une idée sans traîner les décimales de correctifs à chaque phrase. Bien.

Donc "Les garçons bricolent, les filles cuisinent". Mmm...Oui, c'est un honnête stéréotype, il reflète la réalité à, allez... 80 %. Enfin disons dans les années 1950. Aujourd'hui, les garçons ne bricolent plus, les filles ne cuisinent plus, tout le monde est collé à la DS. (rires)

Il faudrait donc dire "Les garçons cuisinent, les filles bricolent". Moi je veux bien, c'est c'est pour hurler avec les loups et avoir l'air à la mode, super. Mais le problème c'est que ça ne reflète aucune réalité. C'est juste faux. Les garçons ne cuisinent pas, ils jouent à Fortnite (rires) et les filles ne bricolent pas, elles jouent à snapchat (rires)

Alors pourquoi faudrait-il le faire ? Ah ah, tiens oui, demandons nous cela. Peut-être pour que les filles se sentent à l'aise de bricoler quand elles habitent toutes seules. Pour que les garçons se sentent à l'aise de cuisiner quand ils habitent tout seuls. Et pourquoi vivent-ils seuls ? Parce qu'ils travaillent. Ah d'accord. Comme ça ils sont plus libres d'avoir des horaires de travail décalés, ah d'accord.

C'est vrai que quand on a une famille, on a tendance à quitter le travail plus tôt pour les retrouver. Tandis que quand on rentre chez soi seul, à n'importe quelle heure après le boulot, on peut prendre son tournevis rose, ou bien ouvrir un surgelé, et hop, le tour est joué.

C'est marrant, c'est encore ceux qui vendent les tournevis et les surgelés qui y ont intérêt. C'est marrant, on retombe toujours sur les mêmes...

Alors avant de foncer sur un ennemi qu'on nous a désigné sans plus d'explication, avant d'engager le combat, de mettre notre énergie dans cette tuerie, de s'affronter les uns les autres et de diviser la société, moi je propose de prendre 5 mn pour examiner au service de qui sont menés ces combats, pour quel modèle de société, et au bénéfice de qui, ouvertes ces fractures.

La seconde couche "C'est bien de constater que nous ne sommes plus en 1950, mais la véritable liberté de penser, ce n'est pas de penser comme on nous dit que c'est bien de penser en 2019, c'est encore et toujours de revendiquer cette liberté qui reste toujours à conquérir, de revendiquer le doute qui anime le penseur depuis Socrate, qui a animé Montesquieu et Voltaire, et qui consiste à dire : "Permettez, je suis l'héritier d'une longue tradition de liberté de penser, et vous souffrirez que je l'exerce même à l'endroit de ce qui semble aujourd'hui le bien-penser. Permettez que je soulève le couvercle de cette injonction pour voir ce qui mijote dans la marmite, et quel est le cuisinier."

Permettez, avant de répéter ce qu'on me demande de dire comme les autres, que je m'interroge sur qui y trouve intérêt.

Vous me dites de combattre les stéréotypes de genre, mais au nom de quelle idéologie. De l'air ambiant, de la mode... ? Non, regardez-bien et vous verrez qu'il y a à l’œuvre une pensée derrière. Non, pas un complot, ce serait trop facile de me disqualifier avec cette arme bien à la mode aussi. Non, une pensée, un Zeitgeist, car comme à toutes les époques, il y a des courants de pensée qui s'affrontent et qui structurent les conflits de la société en déterminant ce qu'elle appellera "ses valeurs".
Je crois que ça s'appelle la lutte des classes, d'ailleurs, et comme tous les trucs qu'on met sous le tapis, elle reviendra toujours.

Certains de ces courants sont profonds, et ne font résurgence que par les tendances ou les modes.


(1) Je rappelle tout de même au passage que lorsqu'on demande à quelqu'un comment il faut faire quelque chose, le présupposé est que cette chose doit être faite. Imaginez votre réaction si on demandait aux écoliers de plancher sur : "Comment avoir des rapports sexuels avec des mineurs en les droguant". Hou là là... "Comment combattre les stéréotypes de genre" semble poser moins de problèmes. Pourquoi ? Je ramasse les copies dans une heure.

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