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mardi 29 janvier 2019

Papa, Maman, Google et moi

Vous avez peut-être remarqué que j'ai entrepris une série d'articles sur ce thème qu'on peut résumer par :" Comme vous le savez si vous publiez autre chose que des chatons qui attrapent une ficelle, Google a la main lourde en matière d'image et de vidéo". Un bout de nibard entr'aperçu, et, pour votre sécurité bien sûr, Google supprime vos vidéos et désactive votre compte.

Vous perdez ainsi vos contacts, vos courriers, vos fichiers stockés sur Drive, etc. Et ceci pour quoi ? Pour une décision unilatérale.

Pour ce faire, on vous signale que les robots vous ayant dénoncé comme suspect, on vous a, après examen, trouvé coupable.



 



Youtube se fait également le relais de décisions unilatérales :





Or voici que le TGI de Paris vient de rendre une décision tout à fait intéressante : 

 

Est déclarée abusive une clause où l'une des deux parties décide unilatéralement ce que recouvre un terme. Or c'est exactement ce que fait Google en décidant ce qu'est "la nudité", ou encore "la violence", ou autres critères de sélection de ses suppressions.

Bien sûr, Il est mentionné une procédure d'appel : "If you believe this is a mistake". Je l'ai expérimentée, elle se solde bien entendu par un retour du type : "Nous avons examiné votre demande, mais sur la base de nos observations, c'est bien ce qu'on pensait, on a bien fait de sucrer votre blog". 

Bien entendu, il est inutile de demander quelles sont ces "observations". Le tribunal siège à huis-clos, bien naïf qui y a cru. 

Mais c'est là que ça devient jouissif. Car la demande d'appel est articulée autour de deux mots :" believe" d'une part, et "mistake", de l'autre. C'est là que toute l'inanité du truc explose, car ces deux mots ne relèvent pas du même registre. "Believe" est du domaine de la foi, "mistake" de celui de la science, de la vérité.
On peut "believe" qu'il existe de la vie sur Orion, mais "2+2=5", est une mistake. Comment dès lors assigner une "mistake" à une situation où s'affrontent deux conceptions ?

Moi je considère qu'une femme en maillot de bain ne relève pas de l'offense pour nudité, d'autres pensent que si. Mais on est dans les convictions, pas dans l'erreur. Comment dire la nudité est une erreur, comment dire qu'estimer que la nudité relève de l'offense est une erreur, quand sa définition est culturelle ?

On voit bien la réponse à cette question, elle apparaît bien vite, c'est que Google m'emporte au fonds des bois, sucre mon blog et puis me mange, sans autre forme de procès. Google n'a rien à foutre de la nudité, que ce soit une offense ou une erreur, ce que Google expérimente en réalité c'est sa capacité à déconnecter quelqu'un unilatéralement, donc à opérer en dehors de toute justice.
Ce que Google expérimente, c'est sa capacité à remplacer la démocratie, dans mon  cas, comme d'ailleurs les centaines d'autres, réduits au silence chaque année, sans autre forme de procès. On peut toujours penser que c'est une erreur, comme les opposants à Franco ou à Pinochet.  On peut toujours penser, quand la police et le couperet sont d'un avis contraire, ça ne mène qu'à la disparition dans les geôles du régime.

J'aime bien les formules à l'emporte-pièce de Jean-Pierre Voyer. Celle-ci, par exemple,

"L’ensemble des hommes étant, de tous les ensembles possibles, le seul qui soit une chose et non seulement une pensée... " trouvée sur son blog, enfin, blog... Ramassis de ses écrits, mais bon, ça a le mérite d'exister. Pour les ceusses qui l'ignorent, Jean-Pierre Voyer est un philosophe français qui soutient que l’Économie est une invention des exploiteurs modernes, comme autrefois le dieu qui grondait dans le volcan était inventé par le clergé pour asservir les paysans. Si vous pensez que c'est une erreur, remplissez le formulaire. 

Sinon je suis assez morte de rire d'entendre les spécialistes de l'histoire africaine contemporaine, dire à propos de la Somalie que les provinces autonomes récemment créées, dont le Puntland, sont des exemples de sécession réussie. Je rappelle que le Puntland est le nom d'une province vers laquelle la reine Hatchepsout envoyait des expéditions pour récolter l'ivoire et des peaux de panthère, et que cela s'appelait déjà le Pays de Pount. 

Je pense que cela devrait inciter les agités en tous genres à la modération. Agités du bocal, agités de la mitraillette, agités en général, dites vous que vous nous emmerdez depuis 3500 ans pour finalement vous apercevoir que l'idéal était là avant que vous le renversassiez comme un nourrisson casse ses jouets parce qu'il n'a pas encore appris à modérer ses crises d'humeur. 





samedi 12 janvier 2019

Le double cône, une question d'échelle (la souche, la motte et la pelle)

 Avant que d'en venir aux modes d'action, je compléterai cet article en disant que j'ai entendu parler à la radio ces jours derniers de "consentement à l'impôt". Nous sommes bien d'accord. On reconnaît désormais un fondement à ce qui vous eût fait pendre haut et court au moyen-âge.

Bien, je vais donc aborder maintenant une autre grande question qui se situe dans le cadre de l'étude de l'évolution des civilisation. Elle fait écho à l'idée évoquée dans cet autre article, cette fois non plus sous l'angle de la théorie, mais de la praxis. Après avoir montré que nous projetons sur le mur un fonctionnement intellectuel des choses, je vais montrer ici que nous projetons également notre action sur ces choses. Nous hallucinons un effet de nos actions sur les choses.

Rappelons tout de même brièvement de quoi se constitue notre hallucination sur la nature des choses. Elle consiste en une simplification, un peu comme lorsqu'on dézoome sur une carte. Le fatras des petits chemins et routes départementales cède la place à un schéma raisonné des autoroutes. De la même façon, si nous reconnaissons qu'il nous serait impossible d'empoigner l'écheveau des causes de la seconde guerre mondiale, le schéma des façons d'éviter la troisième nous paraît très clair.

Alors qu'en est-il de l'action ? L'être humain, l'âge venant, ressent le besoin de s'impliquer dans sa communauté. Il comprend qu'il ne suffit pas de se plaindre de son sort, mais qu'on peut encore tenter d'améliorer les choses. Il se met alors à siéger qui au conseil municipal, qui dans une association de sauvetage des chatons promis à l'euthanasie, bref il veut participer, mais pour agir. J'inclue dans le lot ceux qui écrivent .

Ce que je vais examiner maintenant, c'est comment l'action subit aussi les conséquences du phénomène d'échelle, c'est à dire que nous projetons son résultat, comme nous projetons, sous forme de théorie explicative, les causes de ce que nous percevons. Cette projection sous forme de théorie a été étudiée assez en détail je pense dans mes précédents articles, cf. notamment toute la série sur le reflet des fleurs dans les vitres.

Pourquoi ce "double cône" dans le titre ? J'y reviendrai plus tard. Gardons pour le moment présente à l'esprit la question de l'échelle.
Qu'est-ce que l'échelle, au sens de celle d'une carte ?

C'est une droite, perpendiculaire à la carte, le long de laquelle votre œil avance et recule tandis qu'il regarde la carte. 

En réalité bien sûr votre œil est toujours à 25 cm. de la carte, mais l'échelle, et maintenant le zoom des écrans, a pour but de vous donner ce pouvoir des dieux avant que d'être des hommes, de vous reculer jusqu'au ciel, d'embrasser la France et ses axes routiers, ses capitales et ses massifs, ou bien de redescendre planer à dix mètres au dessus de la ferme près de chez vous, telle une bonne pasolinienne, et de voir le foin, les poules, les œufs. 

Bien. Donc vous vous déplacez le long de cette droite, de haut en bas.

Maintenant, tout en restant dans la pastorale, nous allons prendre une autre image.Vous devez arracher une souche. Pas celle d'un chêne d'un mètre de diamètre, non, mais tout de même, celle d'une honnête plante, un petit arbuste.Vous allez planter votre bêche, puis soulever une partie de la motte de terre. 

C'est là qu'un choix s'impose. Si vous enfoncez très peu votre bêche, le petit morceau de terre sera très facile à sortir, mais vous allez en avoir pour des heures à ce rythme. Si vous enfoncez beaucoup votre bêche, vous courez le risque de voir trop grand, et de ne pouvoir sortir la motte : vous pouvez vous mettre debout sur le fer, vous casserez le manche avant que de faire craquer les racines et sortir la motte. 

Reprenons donc le choix : soit vous agissez, mais à petite échelle. Vous faites, mais finalement pas grand chose, et il faudra des siècles pour terminer le boulot, ou alors vous tentez de faire, vous soulevez le gros morceau, mais finalement, vous restez perché sur le fer et rien ne change. 

Ce choix, c'est celui-là même que vous avez dans l'action au cours de votre vie. Si vous voulez changer le monde en adhérant au club de pétanque de votre village, vos décisions seront efficaces : chaque fois que vous déciderez une modification, elle sera effectuée. Mais ces décisions sont à toute petite échelle : vous en avez pour 5 siècles à ce rythme pour changer le monde, car vous pelletez de petites mottes de terre.

Si vous souhaitez vous engager plus haut, en manipulant de plus grosses mottes, vous allez siéger à l'Afnor, organisme qui représente l'ISO en France, et vous aurez accès aux textes qui modifient en profondeur les normes dans les clubs sportifs du monde entier, y compris les clubs de pétanque en France. Mais la moindre virgule à déplacer prend plusieurs années à l'ISO, et vous risquez fort de voir votre texte circuler de pays en pays, et pour rien si vos modifications ne sont pas adoptées. Vous prenez le problème à la racine, mais vous pouvez forcer autant que vous voulez, vous ne changerez rien avant longtemps.

Le but de cette analogie, vous l'avez compris, est de dire que l'action politique et sociale souffre d'un problème d'échelle : de la même façon que, sur une seule et même carte, vous ne pouvez voir à la fois les autoroutes de France et les environs de votre ferme, de la même façon dans le monde, vous ne pouvez agir à deux niveaux différents à la fois.

Une des réponses à ce problème a été le fameux "Think globally, act locally". C'est bien ce que fait notre jardinier : il a compris d'une part qu'il fallait globalement enlever la souche, et d'autre part qu'on ne pouvait pelleter qu'au niveau local.

Le problème est que cela ne change pas grand chose. Car globalement, les problèmes locaux ont disparu. Ils ont été effacés par le changement d'échelle, tout comme les marais et les murs, les talus et les fossés ont disparu de la carte au 100/1000ème. Il ne reste plus que les autoroutes qui ne concernent personne. 

Double cône donc, puisqu'en bas, on a la pointe de la réflexion, peu d'idées et en haut un grand nombre de théories, mais en bas, on a un grand potentiel d'action, et au haut, une pointe d'efficacité, quasi inexistante. 

Soit dit en passant, et je ramasse ici tous mes articles là-dessus depuis le "En quoi suis-je concerné par la loi ?", que le problème est une question d'échelle. Au delà de quelques kilomètres, je ne suis plus concerné par la loi, simplement parce que, nécessairement, elle ne me concerne plus. Je n'ai rien à faire de ce qui régule les autoroutes à l'autre bout du pays. 

Alors on me dira qu'il y a des lois universelles, qui s'appliquent partout, comme par exemple "Tu ne tueras point". Certainement pas. Freud a bien montré qu'au delà de la coopération nécessaire autour de moi, je déteste mon prochain, et qu'il n'est que menace. D'ailleurs, si les autres venaient à mourir, cela ferait plus de gibier pour moi, et peu me chaut qu'ils s'entretuent ou pas. Qu'on ne me dise pas qu'on me protège en les empêchant de s'étriper. 

A moins que l'un d'entre eux soit mon fournisseur de pierre, de tissu, que sais-je, il ne m'intéresse pas. 

Mais le principal n'est pas encore là. L'essentiel est que, l'univers ne disposant à ma connaissance d'autre repère que ceux dont on l'affuble, tout cela est une question de culture.