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mercredi 23 décembre 2015

Une sorte de " reset "

Reset to factory defaults. Au sens d'une remise à zéro de certaines attitudes ou valeurs. Trois choses observées dans ce sens.

  • La libération d'expression qui permet à tout à chacun de devenir sa propre maison d'édition en publiant sur le Web, semble avoir trouvé une sorte de consécration dans la pratique du Fan-Fiction. La littérature populaire peut ainsi envahir les foyers dans une fusion idéale avec le fait-divers, qui plus est fictionnel. 
On peut écrire à l'infini, en ne suivant que son bon plaisir,  sur ce qui aurait pu arriver entre deux personnages de fiction de telle ou telle série pour décérébrés, ou encore pour échafauder des histoires autour de la possibilité qu'un des membres d'un boy's band ait mit la main dans le slip de l'autre.

  • Le " réalisme en peinture", c'est à dire la démission définitive de l'art, le rejet des efforts des générations passées aux oubliettes. Non, pas le rejet, finalement, l'oubli par l'ignorance. La flemme de chercher, de connaître, de comprendre. 
Pas celui de Karl Hofer, ni celui de Yves Klein, celui-ci (il peint à même le mur sans modèle, trop fort), celui-là, ou même ça,

Et ce n'est pas parce que certains artistes ont un gros budget publicitairer et une bonne agence (Saatchi) que ce qu'ils font est mieux :D

Je ne critique rien là-dedans, je ne fais qu'observer ce qu'une époque se donne comme centre, comme bornes, comme limites, comme objectifs.

Créer, tous azimuths, partout, s'exprimier, sur n'importe quel support, les murs, dire ce que j'ai  à dire, c'est ça la vitalité de l'art.

Et cette aspiration au bonheur trouve non seulement à s'épancher dans le domaine collectif, mais aussi individuel :
  • Les innombrables officines de bien-être qui fleurissent ici et là avec pour fer de lance une pratique de l'art décomplexée. On ne vous juge pas, on ne porte pas de regard, barbouillez, du moment que cela vous fait du bien, c'est une valeur positive.
Là j'en connais qui vont sursauter : " Comment, vous, chantre de l'épanouissement par la pratique artistique... ? ".

C'est que l'épanouissement de soi, ce n'est pas l'auto-satisfaction, voyez-vous. Enfin, si, mais pour partie seulement :)

J'ai aussi une sensation étrange vis à vis de cela. Une sorte de malaise, tout de même. Comme le souligne le mémoire, on fait participer le public à l'art, mais la question reste de savoir à quel art on les fait participer. J'ai honte d'avouer que ce qui me gêne c'est l'indigence du contenu au regard des des moyens déployés.

Car le pire, c'est qu'ils se bougent, ils brassent, et mettent sur pied des choses impressionnantes. Mais si je comprends bien, ce qu'on fait n'a aucune importance du moment que les gens y participent.

La population locale est finalement moins concernés que des bataillons de bénévoles invités à participer à quoi, finalement, sinon à ce qu'ils font eux-mêmes ? On puise dans le fonds photo des anciens, dans les recettes de cuisine, on fait plucher des patates aux gens. Tout cela est très bien, cela " fait du lien", comme dit l'expression née pour la circonstance.

Un peu pareil pour ce projet.



où 5 000 bouteilles étaient tisées dans 105 m2 du grillage métallique et ensuite suspendues dans les airs et éclairées. "



On annonce fièrement les milliers de bouteilles collectées, les centaines de m2 de grillage, les centaines de gens impliqués, mais pour quoi en fin de compte sinon justement mobiliser des gens ?

Si, il y a cette réaction : " c'est beau". Qui justifie tout à elle seule. C'est normal, évident que le but premier de la création soit le plaisir esthétique du spectateur.

Mais, mais, mais, et l'art et la culture, là-dedans, s'y retrouvent-ils ? La culture, plus on l'étale, moins on en a, et si on ne la reconstitue pas, il finira par ne plus y en avoir du tout. C'est bien de partager des recettes de cuisine et d'absorber des financements pour cela, mais un jour il faudra avoir le courage de regarder en face le roi nu, et le vide culturel de ce qui deviendra la cible des municipalités.

Il faudra avoir un jour le courage d'une politique culturelle qui ne se contente pas de redonner partout et toujours la parole à ceux qui n'ont rien à dire sous prétexte qu'on dit d'eux qu'ils se sentent ignorés.

Après, je finis par me demander si tout cela n'est pas simplement un Zeitgeist, ce qui confirmerait mon hypothèse du "reset".

Prenons cette couverture de livre. Elle est stupide, parce que pour représenter Béhémoth, il fallait mettre tout sauf un vrai chat. Qui plus est affublé d'une ridicule couronne.


Mais à force d'en être stupide, je me suis demandé si elle n'avait pas un but dans son apparence stupidité, c'est celui de " vendre".

D'un côté on achète la paix sociale, de l'autre on brasse des produits, peu importe de faire une belle civilisation et une belle culture, l'important est le maître-mot " vendre".

En mettant un chat " behemothesque", on risque d'une part de faire réfléchir, d'autre part de moins vendre, ce qui peut se rejoindre. Tandis qu'avec cette photo grotesque qui évoque un chat-roi, et qui peut inciter nombre de gens n'ayant pas lu le livre à tendre le bras, à exécuter l'acte ultime, le principal, l'acte d'achat, à passer en caisse, et là yes c'est gagné, le reste on s'en fout.

Je suis persuadée que l'illustrateur n'a reçu comme consignes que de mettre un chat, que cela se passe en Russie... Mais il les a reçues de gens qui eux, ont lu le livre, mais n'ont pas pris deux minutes pour en parler. Evidemment, les pauvres gens qui conçoivent la littérature sous cet angle du " ça le fera" n'ont pas compris qu'à ce jeu là, c'est la confiserie qui va gagner. Mais une fois de plus,

VAE VICTIS.

Et maintenant, la Madame Monumental du mois, la gagnante est Madame Carine :

Par son amour et sa passion de partager ses sentiments sur la vulnérabilité humaine, elle crée une toute nouvelle technique d’art novatrice (sic). Sa technique représente un travail colossal de perforation sur toile qu’elle effectue à main levée. Des centaines de trous qu’elle exécute au gré de son inspiration, sur des peintures qu’elle a créées en s’inspirant de diverses photos et images. Ses oeuvres sur grande échelle sont spectaculaires et empreintes de profondeur "

Le trou, ça paye : plus on en fait, plus "la nouvelle technique d'art" est "novatrice". Au royaume des décérébrés, les perforateurs sont rois. Mais attention, faut les exécuter " au gré de son inspiration", sinon ça compte pour du beurre.

Enfin, on ne pourra pas dire que je fais tout le temps ma râleuse, ça par exemple, ça change un peu, un truc entre le dessin et le volume. Dommage que ce soit du plastoc.


Il n'est pas impossible que cette frénésie de créativité soir mue par une sorte de défi lancé par le robot à l'humain, avec lequel il est de plus en plus en concurrence. On a un peu l'impression qu'il faut se ruer vers le dernier ascenseur. Une fois celui-ci parti, on risque de laisser en dessous une marée un peu indifférenciée de robots et d'humains.

Ce qui est d'ailleurs frappant, comme d'habitude le plus dans les commentaires, c'est l'inconscience dans laquelle trempent les intervenant, que c'est simplement la frontière homme/machine qui est en train de s'estomper. Ils ne se rendent pas compte qu'une fois la différence homme/robot disparue, les conflits auxquels ils participent n'auront simplement plus de support.

La différence disparue, c'est à dire une palette d'individus avec un génome 100 % humain, des humanoïdes 50 % logiciel, mais avec des fonctions (reconstitution d'organes) qui sont encore confiées à la partie humaine de leur génome (les autres parties étant amuies), et des humanoïdes 100 % logiciel.

Voilà, une fois cela fini, on ne se demandera plus si c'est " bien " ou pas, de faire X ou Y, puisque X et Y seront pareils.

Donc la question est : poids de la progression technique, notamment des robots, dans le reset.

mercredi 16 décembre 2015

Gina Pane, le barycentre

Je reviens d'une expo (mini-) sur Gina Pane, et j'ai éprouvé le même choc que pour Esther Ferrer, le plaisir de voir de grandes choses, la déception qu'elles soient sous estimées.

Si vous lisez un traité sur la gravitation, l'objet du traité, à savoir cette force, n'est pas dans les équations et les démonstrations, elle est partout, mais au dehors. Si vous lisez un traité sur l'irrigation, vous ne vous attendez pas à voir dégouliner les pages. Il ne vous viendrait pas à l'idée de chercher de l'eau dans le livre, ni des plantes. L'objet d'un discours n'est pas dans le discours. Or cette confusion est répandue en art, mais elle est particulièrement nocive quand on l'applique à l'art du XX ème siècle, lorsqu'on cherche la raison d'une oeuvre dans cette oeuvre.

Imaginez un dispositif constitué de deux sphères : l'une de un mètre de diamètre, en mousse ultralégère, et l'autre de dix centimètres de diamètre, très lourde, genre boule de pétanque en pire. Les deux sphères sont reliées par une tige rigide.

Le barycentre est ce que j'entends par là : Le centre de gravité de l'ensemble  est situé dans un point difficile (par rapport au cas de deux boules identiques, où il est au centre) à situer instinctivement, car il est très proche de la petite boule.

Dire qu'il est très près de la petite boule, c'est dire qu'il est éloigné de la grande. C'est dire qu'une petite chose est si importante qu'elle attire à elle l'intérêt de la chose, elle l'aspire comme une marée.

En fait ce point n'est " nulle part", l'intérêt n'est pas vraiment dans une des choses. Le barycentre est aussi ce point central du tore, qui est extérieur au tore, figure chère à la Vilaine Guillemette.

L'endroit où il faut mettre le doigt si on veut conserver une juste représentation de l'ensemble, c'est sous la petite boule, ou pas loin.

Donc, ce que je veux dire, c'est que de même pour son oeuvre, elle constitue, par ce point quasi invisible qu'est la vidéo de Gina Pane où elle cogne sa tête contre un tableau. La raison absente.

On cherche en vain, dans l'oeuvre de ses contemporains dans la grande boule, la raison de ces oeuvres. La raison, l'explication, elle en est là, dans cet instant, dans ce déclic.

Gina Pane a ouvert la porte, les autres se sont engouffrés dedans. ce que disait Malraux de l'imprégnation est en partie vrai, il suffit qu'un artiste ait vu cela une fois pour être imprégné de la liberté que contient ce geste, et qu'il l'insuffle dans son travail.

Citons encore Guillaume : " Il ne faut pas que tout cela me fasse oublier que je suis arrivé au tore à cause du fait que son barycentre se trouve à l'extérieur de lui. Le sens est à la forme ce que le barycentre est au tore. Il lui est donc " extérieur". Sauf qu'il faut bien, justement, qu'il communique avec sa forme pour des raisons d'équilibre du système. 

C'est donc la même erreur symétrique que de chercher l'explication du travail de Gina Pane dans la vidéo.  La raison de ce qu'elle fait, l'influence, en est à chercher dans l'oeuvre de ses collègues. C'est ainsi que fonctionne l'art, comme un seul espace où les pensées communiquent entre elles, mais où d'un centre d'intérêt peut rayonner une importante énergie d'inspiration, qui ne se voit pas en termes de surfaces sociale dans le marché de l'art, mais qui apparaît à celui qui se penche sur ce qui irrigue secrètement (et pas toujours consciemment) la création du futur.



Et je pense que l'art de la performance tel que l'ont pratiqué Gina Pane, Marina et Esther est d'un poids sous-estimé pour comprendre les forces motrices du planétarium de l'art au XXème siècle, les raisons pour lesquelles on fait "comme ça".

Pour lesquelles les autres font comme ça. Cette raison, elle est à chercher dans le mouvement de tête contre le tableau. Regardez cette détermination, cette conviction, la certitude de donner le tempo de quelque chose qui se lit dans cette oeuvre. Elle décrète que la décision esthétique est désormais étendue à cette gamme d'outils, tout comme Duchamp avait décrété  que la frontière de l'art passsait désormais par dessus l'objet quotidien, que l'art annexait désormais cet objet. Gina décrète que l'art annexe désormais tout décision, qu'elle est maintenant à la disposition de l'artiste.

Pour info, le barycentre du tore :


est sur l'axe qui comprend le point rose. Il est donc le point sous lequel il faudrait mettre le doigt pour porter le tore, ce qui ne fonctionne pas non plus. Éternel "non plus" de la solution toujours repoussée, intellectuellement découverte et inapplicable en réalité.

samedi 5 décembre 2015

Les chemins et les nuits

Lorsque je vois cette vidéo, il me souvient la scène dans Salammbô, où l'on promène la statue du Baal dans les rues. Il devaient avoir l'impression d'un nécessaire sacrifice de l'âme de leur enfant aux puissances du temps, et les enfants de participer à " du lourd ", ce qui suffit à cet âge là pour se jeter avec enthousiasme dans le brasier sacrificiel, tant on s'identifie à la victime expiatoire.

Ainsi les choses qui nous font se déroulent-elles largement, soit au-dessous de nous, soit au-dessus de nous, et je pense là au récit fait par G. Didi-Hubermann à propos de Warburg et les " missing links". Ces missing links qui pavent le chemin, dans le ciel et sous nos pieds.

Dans le ciel où nous pensons toujours que se situe notre avenir, où nous projetons les structures de notre causalité, quand nous aurons rejoint les bonnes divinités, les belles, les blanches. Mais les sentiers de nuit, ceux qui luisent dans l'obscurité, nous invitent à sacrifier aux démons qui soufflent le feu sous la terre.

Certains artistes se tiennent de ce point de vue là " entre deux eaux", c'est à dire entre les univers de passions. Comme si le XXème siècle avait passé un coup de gomme sur tout ce qui est passionnel, le supprimant du champ du représentable. On fait des gestes, on " effectue ". L'art est dans la performance de soi-même. L'artiste, c'est celui qui fait de l'art, comme le tonnelier des tonneaux, sans préjuger de ce qu'il a entre les mains.
La photo pourrait être cadrée sur son visage. De ce qu'il fait, on ne saura rien, et peu importe, la posture suffit. L'objet en question grossit : il faut qu'il occupe toute la place, il faut qu'il étouffe la pièce, plus de place pour les personnes, pour les discours, il faut qu'il emplisse tout le disponible.

Le vide intérieur  joliment chirurgicalisé par le scalpel numérique de Mathieu Bourel.


Des collages, fixes ou animés, qui valent par ce que le regardeur est capable d'en tirer par comparaison avec son souvenir de l'original, on retient quelque chose de proche dans un lien ambigu au réel, qui touche douloureusement le même point névralgique, l'impossibilité à atteindre un jour un substrat ontologique fiable. Une couche où on attendrait le roc, le dur, le réel.

Il y a un truc qui commence à m'exaspérer, il porte le numéro 3837388, ce sont les lamentations et les pleurnicheries des faiseurs de pétitions sur Facebook, change.org, avaaz, sumof us etc, qui nous invitent trois fois par minute à nous indigner de ce le méchant Lidl affame les paysans indiens, alors que c'est nous qui nous précipitons pour acheter leurs crevettes de daube dès qu'elle font un centime de moins le kilo, et ce depuis des dizaines d'années dans une tentative plutôt réussie pour foutre le monde entier dans la misère.

Il y en a une récente qui consiste à conspuer les vilains CRS qui tabassent les militants écolo, qui virent les clodos de devant le Printemps pour que le richou puisse faire ses courses de Noël sans avoir à débourser un euro de plus pour se débarrasser de sa mauvaise conscience, il faut que cet euro aille au Printemps.

Si on avait dit aux pauvres gens qui partagent des photos de CRS bastonnant les jeunes (ces pauvres fonctionnaires ne font que leur métier pour se faire bien voir) qu'ils vivent dans un pays où seule la violence policière jugule in fine l'exploitation libérale de la classe moyenne lui permettant d'affamer la planète en toute bonne conscience, ils aurait hurlé au marxiste réactionnaire.
Rien de tel que quelques bons coups de matraque pour faire prendre conscience aux jeunes qui'ils vivent dans un Etat policier, les convaincre de venir casqués et armés la prochaine fois, et au bourgeois qui clique, bien planqué chez lui, qu'on vit en sécurité dans la démocratie chère à des auteurs qui ne seront bientôt plus en vente.

En d'autres termes, VAE VICTIS, c'est bien fait pour vous si vous vivez dans un monde nul.

Les chemises et les nuits.

Sinon un autre truc qui me travaille, c'est de voir à quel point les gentils artistes qu'on entend sur FC ont à cœur de venir parler de leur travail. C'est mignon ce travail de promo sur mon travail..

No, I don't want your number
No, I don't want to give you mine and
No, I don't want to meet you nowhere
No, I don't want none of your time and


donc je crée une agence appelée TS, pour " No Talk No Show". Et la galerie qui va avec :)

Attention, non pas pour ceux qui n'ont rien à dire sur leur travail ou celui des autres, mais qui ne veulent pas qu'on l'entende, ni en entendre parler.

Je remplace par la page idiote gagnante du mois.

Bon sinon,

Anselm Kiefer
J'ai entendu son entrevue avec One-dit-Bio, il est adorable, ce mec. Mais bon, faut lui dire de mettre son tableau au mur pour peindre avec un escabeau comme tout le monde, c'est dégoûtant de marcher dessus.

Bon, je reviens sur l'autre truc intello, là.