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jeudi 11 avril 2019

Cactus Junction

Je vais faire ici un petit article de transition, à fin de permettre de rabouter mes articles précédents avec le fil ouvert par mon excellent confrère John Moullard.

Il me faut rapporter deux exercices proposés aux écoliers. Le premier exercice consiste à lire aux élèves une histoire avant de leur demander de la restituer. Dans un cas par exemple, on leur fait écouter un enregistrement de cinq minutes des actualités à la radio, dans le second on leur lit la fameuse mésaventure du petit garçon qui conduit la voiture pendant que sa mère s'est absentée.
Dans les deux cas, on leur demande de raconter à nouveau ce qu'ils ont entendu, à l'oral ou par écrit. 
Les résultats sont bien entendu saisissants mais ce n'est pas mon propos. Je vais le comparer à un second exercice, connu sous le nom de "semaine de la presse", qui consiste à acheter chaque jour plusieurs journaux, à découper les articles qui portent sur le même sujet, pour faire constater aux élèves les différences de traitement qui existent entre les différents supports. 

Le premier exercice, qui rejoint les ancestrales études sur les témoignages de crimes, apprend aux élèves que pour un même incident vécu ou entendu, chaque personne l'a vécu ou entendu de façon différente, et que chaque personne, à la restitution, porte l'accent sur ce qu'elle a retenu de l’évènement, avec parfois des distorsions étonnantes : l'élève apprend que chacun a sa lecture d'un "même" vécu. 

Le second exercice a pour but de montrer à l'élève qu'un journal n'est pas un miroir qui reflète fidèlement les évènements, mais une production affectée par un prisme, un point de vue, ou un parti-pris.

Ce qui est amusant, c'est que cela rejoint nos actuelles "fake news" (sujet que je me plais à triturer dans le Daronian Institute) en cela qu'on présente comme inévitable et positif que chacun ait sa lecture d'un évènement, cela leur apprend à "respecter les différences", notamment, sujet à la mode. 
Cela semble évident et ne poser aucun problème, même si on présente avec beaucoup plus de défiance le parti-pris de la ligne éditoriale d'un journal. Alors que la vérité absolue semble avoir disparu de la perception individuelle, la notion reparaît lorsque c'est la presse qui est accusée de la malmener.
Ou pire, de propager de fausses nouvelles. La science en est fort marrie, et aimerait bien qu'on trouvât quelques critères qui permettent de savoir qui est sérieux. Je suis prête à parier que l'Afnor a été saisie de l'affaire, et bosse sur un référentiel. 

Mais pourquoi ske je vous raconte ces histoires ?  C'est pour montrer que le présupposé ici est que, autant à titre individuel, le délire est permis, il n'y a nulle trace de vérité absolue, tout est question d'interprétation, autant à titre collectif, dès qu'on la regarde à plusieurs, la réalité se fige dans une vérité, forme qu'il convient de respecter lorsqu'on en parle.Individuellement, vous pouvez fumer du thérapeutique si vous avez une ordonnance, mais si on vous a dit de dire que la réalité est carrée, n'allez pas claironner qu'elle est ronde, attention. Vous êtes libre de penser ce que vous voulez, à condition que cela reste dans votre tête et que vous ne le disiez pas.

Il n'y a pas de meilleure définition du consensus, mais par la contention. De ce savoir-vivre implicite, qui se manifeste parfois ici ou là de façon formelle, mais nous parvient souvent de façon diffuse. De même que l'enfant apprend peu à peu ce qui se fait, et ce qui ne se fait pas, la différence entre ce qui se dit et ne se dit pas, l'enfant apprend ce qui est et ce qui n'est pas, ce qu'il permit de dire de la réalité, de sa vérité. 

Ce qu'on dit d'elle, ce qu'on ne dit pas d'elle, est un espace, l'espace du consensus, espace que le langage a justement pour but de borner et de limiter, comme un filet autour d'un saucisson. La réalité a une place assignée, un volume, elle va d'ici à là, et ce qu'on peut en dire est contenu par le langage.
L'inconvenance de la phrase "L'univers a été créé par Dieu" est la même que l'inconvenance de "Les girafes sont une sorte d'escargot". Aujourd'hui, on trouve cela inconvenant parce qu'on pense que cela "viole la vérité", et donc présente une vision déformée de la réalité, comme un mauvais journal. Mais pour peu que la biologie évolue, la phrase peut devenir correcte, voire courante, voire dans les manuels. 

Il en est de même de "L'univers a été créé par Dieu". C'était la seule version possible, c'est devenu une option, aujourd'hui c'est un gros mot, demain cela vous emmènera au tribunal. Ce qu'il est possible de dire trace la frontière de ce qu'il est politiquement correct de dire de la réalité. On ne peut pas dire ça, on ne doit pas dire ça, c'est faux, c'est pas bien.
Les habitués commencent à reconnaître le bruit des sabots de mon cheval... C'est la raison pour laquelle les circuits de coercition du langage ne cessent d'être raccourcis. Face à l'accélération généralisée des comportements passionnels, on ne peut pas attendre que la langue, lentement malaxée par le peuple, rende après quelques décennies, les sentences sur les nouvelles inconvenances. Il faut vite produire une loi sur l'incitation à la haine raciale pour interdire à quelques clans de se régaler avec leurs gros mots.

Je suppose qu'on va bientôt trouver des systèmes de push sur les smartphones, que nul ne sera censé ignorer bien sûr, comportant chaque heure la mise à jour des mots interdits. Si vous aviez prévu de terminer votre phrase par "salope", il vous faudra trouver autre chose. Le mot sera interdit à partir de 16h15mn et 30 secondes et votre smartphone qui détectera l'infraction, la signalera à la police des mots. Votre téléphone passera alors en mode tightvoc, c'est à dire qu'il ne vous laissera taper qu'une liste de safe words,un ensemble de 17 mots comprenant "jour, nuit, manger, moi happy, gorgeous, disneyland, just terrific, positive engagement, community, let's be gay etc."

De même, les pièces jointes attachées aux messages seront analysées, ainsi si vous envoyez un message qui contient quelque chose comme "Camarades, prenez conscience de la condition qui vous est faite. Supporterez-vous encore longtemps que l'oppresseur (vous savez de qui je parle)  puisse établir dans notre pays par l'intermédiaire de son administration et de sa police, la mainmise sur toutes nos libertés ? Ne voyez-vous pas l'aliénation dans laquelle vous tient ce système ? Refusez cet état de fait, ce n'est pas une fatalité. Camarades, pour protester contre le système, manifestons la semaine prochaine", seule la dernière phrase sera supprimée pour incitation à la haine sociale.
Si vous écrivez "Il faut virer ce pourri de dictateur", votre compte sera supprimé par un robot avant même que le message soit lu par un humain. L'ennui c'est que la première version, justement, il n'y aura plus un seul humain pour la comprendre.

Et voilà, vous m'avez vue venir, la voilà, l'unique la resplendissante, elle va nous rabouter le paillasson avec la suite, bien sûr.
Disons que ce sera surtout avec le III, mais vous vous y retrouverez, je vous fais confiance. Vous avez saisi l'idée. Pour faire de la race humaine une race de domestiques, il suffirait d'une tenailles à deux mâchoires, l'une requiert de disposer de machines permettant de vous réduire au silence en cas désaccord, l'autre nécessite de reformater la culture de la civilisation de façon à pouvoir continuer à former de brillants scientifiques autistes qui ne comprennent rien quant aux enjeux des rôles qu'on leur fait jouer, mas de décérébrer le reste.

Pourquoi décérébrer le reste ? Parce que, lorsqu'on laisse une personne être éduquée par ses maîtres, elle sait que le contraire de "L'univers a été créé par X", n'est pas "L'univers a été créé par Y". A son tour, la personne va conseiller au prisonnier de l'alternative binaire X/Y de se cultiver pour élargir ses possibles. Moi j'aime bien dire que j'examine la possibilité que l'univers a été créé par les escargots en criant 42, ça fait rire tout le monde, on est entre soi. Si je dis que j'aimerais examiner la possibilité que l'univers ait été créé par des reptiliens cachés sous forme d'Illuminati musulmans, là je n'ai plus le droit d'examiner, ça ne fait plus rire personne. On a le droit de réfléchir, mais seulement sur des grosses conneries, ne nous faites pas de frayeur.

Avec une population en cours de déculturation  (les pays en "voie de développement") par exemple, on est sûr que l'adversaire va courir à la position Y et y camper. Cela permet de le déclarer délinquant, terroriste, de le poursuivre dans le désert, de le droner, on est entre gens de bien sur les vieux schémas, tout le monde est tranquille. Sinon, ils vont devenir moins drôles, on va examiner si par hasard ils ne se jettent pas dans les bras des terroristes parce que leurs "élites", ont pris tout le pognon.

Avec une population complètement décérébrée, on est encore plus tranquille, ils ne savent plus ce qu'est le monde, ils veulent juste la prochaine extension de Fortnite et acceptent en échange leur injection mensuelle.


Quant aux irréductibles qui ne veulent pas sniffer ce qu'on leur dit, le fait qu'ils se promènent sans masque à gaz les perdra. Quant aux derniers sauvages qui s'égaillent dans le désert au nom d'on ne sait quelle idéologie obscurantiste, nos drones auront bientôt fait de les fumer, un par un s'il le faut.

PS : Quand on voit au fil des mois les résultats des élections, c'est de plus en plus grandiose...






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