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vendredi 12 avril 2019

Chattanooga choo-choo



Puisque Monsieur Moullard se permet d'écrire des articles dans mon style, je vais rédiger un article à la suite du sien.
Je vais donc remonter d'un cran, et revenir à l'injonction de combattre les stéréotypes de genre.

Cela me rappelle la lecture d'une psychanalyste, me semble-t-il anglaise, qui traitait la psychose d'un petit garçon. Je ne sais plus de qui il s'agissait, et je me demande si ce n'était pas dans un ouvrage sur Winicott. Si vous l'avez lu, la référence à la sonnette d'entrée du cabinet vous dira peut-être quelque chose. Donc cette analyste disait que le petit
Hansje ne sais plus, appelons-le John, était fasciné par le tourne-disque/gramophone..., qu'il pouvait regarder tourner pendant des heures.

Ce qui m'intéresse est qu'elle concluait (je simplifie à mort mes bribes de souvenir) en disant que les garçons, ayant plus de mal à gérer la partie affective de leur vie, partie cahotique, émotionnelle, imprévisible, se projetaient volontiers dans des machines aux mouvements réguliers, hypnotiques et berçantes, rassurantes et plus facilement compréhensibles, démontables.

Même si je simplifie, je tenais là l'explication que j'avais toujours recherchée, celle qui expliquerait cette mystérieuse affinité entre les garçons et les machines.

Copie de gars_machines - 1d.jpg
Les filles qui voient ce que c'est sont des garçons.



  Maintenant, voici un clou enfoncé dans un coin. Il y a bien une raison génétique au fait que les petits garçons jouent à la locomotive, et donc qu'ils la bricolent. "Les garçons bricolent" est donc bien au départ le simple reflet d'une réalité, fut-elle approximative en son temps.
Le lecteur voudra me faire grâce j'espère de la démonstration symétrique, à savoir que la petite fille, désireuse de bien faire, et imitant sa maman, joue à la poupée, dont elle est, d'ailleurs la maman, il n'y a pas de doute là-dessus, et fait la cuisine. Bien, voilà un deuxième clou de planté. 

Le schéma est donc le suivant : "Moi, garçon, je n'ai pas envie qu'on m'applique le schéma général sans négocier. Je veux pouvoir jouer à la poupée sans que... '.

Sans que quoi ? Sans qu'on remette en question mon statut de garçon ? Mais qu'en ai-je à faire ? Pourquoi y tiendrais-je ? Ah, sans qu'on ait peur que je sois une fille, donc ?
Ou bien alors "Moi fille, je n'aime pas jouer à la poupée, je préfère bricoler, et je veux pouvoir le faire sans être taxée de garçon manqué".
Curieusement, ici nous avons la pièce manquante. Je veux pouvoir produire tous les signes qui caractérisent le sexe opposé, et pourtant être définie comme de mon sexe.  

C'est un peu comme les poissons et les oiseaux, voyez-vous. On va dire qu'on les reconnaît parce que les uns on des ailes et les autres des nageoires. Ainsi les oiseaux disent "Certes j'ai des écailles, je nage et je vis sous l'eau, mais je veux qu'on m'appelle un oiseau.", et le poisson de renchérir "Oui, j'ai des ailes, des plumes partout, un bec et des ailes, mais je suis un poisson". 

"Mais bien sûr mon chéri ! Oh mon Dieu", s'écria-t-elle en s'asseyant dans le canapé. Car il s'agit bien sûr, on l'aura deviné, de poser des problèmes à sa mère. Ce moment, que Freud a isolé, où "la libido se met au service de la fonction de reproduction", devient au cours du XXIème siècle le moment où la libido se met au service de la fonction de lien social, au service de la communauté. Et nous avons déjà parcouru 20 % du siècle.(1)

Il est évident que les filles excellent dans cette discipline. Elles deviennent donc maîtresses du jeu, MDJ. Les garçons restent DJ seulement, priés de fournir de la bonne musique pour danser. Pour monter en grade, il leur faudra devenir un peu plus... fille.

Travailler leurs émotions, ne parler que de ce qui leur arrive avec Jérôme, et surtout ne rien comprendre aux voitures. Certes le renversement n'a pas encore gagné les campagnes, et quelques couples de 25 ans vivent encore sur le modèle des années 1950. Mais bon, les filles se remettent à se soûler dès leur grossesse finie, et les garçons parlent encore un peu foot et bagnole, mais Wow gagne du terrain. Encore une génération et c'est fini. La fonction de lien social que le maire adore voir à l’œuvre dans le club de foot, les supporters pourront bientôt la vivre devant un écran où se déroulent des matches virtuels, l'essentiel étant de communier.

Vous me direz qu'il existe des peuples qui vivent encore selon un schéma patriarcal, et en effet, c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité (à part d'anciens chocs dus à des retrouvailles de branches décalées, genre sapiens vs. Néanderthal ?) que la différence entre les habitants de la Terre est si ample. Le bourgeois européen qui venait voir un Indien au Jardin d'Acclimatation venait voir une personne qui ne vivait pas très différemment de son arrière arrière arrière... bref etc. grand-père.

A votre avis, quelle année ? *
Mais entre un patriarche religieux "unaware" des provinces profondes du monde, et une "fin de race summum de l'intellectualisme dévoyé" ( j'ajoute "de nos capitales sous la menace permanente d'un orgasme médicamenteux"), comme je fus qualifiée, la distance ne se mesure plus en siècles-train qui séparait leurs habitats et leurs mode de vie, mais en années-lumière, ce sont deux mondes qui peuvent difficilement s'imaginer l'un l'autre. 

Toute manœuvre de l'un relève pour l'autre d'un condamnable sans possibilité de retour, tout simplement parce que ce serait remettre en question les fondements de sa civilisation. L'un se protège de la foudre divine par la perpétuation, le non-changement de rien, la conservation en l'état, l'autre se protège de la menace de sclérose, de régression conservative par le droit à tout, tout le temps, et pour tout le monde.

Il n'y aucune raison que la courbe suivie par "le phénomène humain" (2) s'arrête. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que la poussée qui a fait de l'homme un être culturel, tout le bazar de la nature et de la règle, cette poussée est toujours à l’œuvre.  La part du collectif continue d'exploser dans ce que nous ingérons comme règles du consensus, et certaines boîtes crâniennes n'y résistent pas. On voit bien de l'Est à l'Ouest se reconstituer les murailles de protection contre le virus, édifiées par des gens affolés par la complexité de vivre selon les deux modèles à la fois, ce qui est le cas de tous les gens qui ont entre 40 et 60 ans, ce qui fait un paquet de monde.

Vous ne pouvez pas à la fois avoir grandi en vous promettant que les royalties de votre logiciel vous permettraient de gagner votre vie et admettre parvenu à l'âge adulte que vous devez le donner à tout le monde. Ce n'est pas tant le modèle technique qui est dur à avaler, que le modèle social et culturel qui va avec.

Ce qui vous permettait d'avoir une bonne image de vous-même, c'est qu'avec ce pognon, vous pourriez acheter une maison et une voiture, et que cela ferait qu'on dirait de vous que vous avez réussi, que le tough guy a bien réagi aux pièges de la vie, il peut ronronner sur son image. Aujourd'hui, vos potes trouvent que vous êtes un great guy parce qu'ils peuvent passer du bon temps avec vous à votre jeu favori, que ce soit des tanks, des voitures, des dés, des armures, des boules,... et parce que après, on peut rigoler avec vous autour d'une bonne bière en blaguant. 

Et le reste on s'en fout. A là table voisine du bar, ils ont d'autres jeux, d'autres potes, il est leur great guy, et tout le monde est content. Vous ne les faites pas chier, ils ne vous pourrissent pas la vie.

C'est la classe moyenne à qui la mondialisation a réussi. La Worldwide middle class, qui est technophile sans le savoir, qui se prend en photo devant les ruines italiennes et publie sa joie gorgeous sur FB, et qui ne veut surtout pas savoir que les ruines ne sont plus entretenues, et que la mafia en bourre tous les interstices disponibles avec des ordures empoisonnées. Rien à foutre. Le globe-trotter trentenaire écume ce qui reste du monde, et passe à un autre aéroport avec le nouvel ipad en main histoire de pouvoir réserver le prochain b&b depuis le tarmac, c'est trop enjoy. C'est à celui qui postera du plus loin possible. Être pour quelques heures sans signal, l'ivresse de la rupture du cordon du chargeur de batterie, cela vaut bien de détruire définitivement les glaciers avec le kérosène de l'avion.

Vous allez me dire que cela ne fait pas toute la population. Exact. En Inde, il y a un million de jeunes qui arrivent chaque mois sur le marché du travail, et qui aspirent à devenir ça.(Comme ils aspirent également de l'oxygène, ça ne va pas durer très longtemps, remarque)

Donc, maintenant, on va devoir étudier les phénomènes humains. On ne s'en sortait déjà pas avec un seul... Cela mérite bien une pause, non ?


Puis je vais arrêter, parce que je vous en donne trop pour votre argent, en ce moment. Ceux qui me lisent n'ont plus besoin d'acheter d'autre presse, je suis une catastrophe pour l'édition. Je me demande d'ailleurs si une personne a compris pourquoi l'autre Hongrois achète des titres de presse français. L'héritier ne doit pas en revenir d'avoir pu fourguer ses épaves. Genre le mec qui a oublié qu'il avait passé une annonce pour vendre sa Trapanel, tellement personne n'appelle depuis des années. "Mais si mais si, monsieur K, ils sont bien toujours à vendre, des journaux comme neufs, ah l'odeur de l'encre au petit matin, les rotatives, le café noir avec les équipes de rédaction, vous allez connaître l'ivresse de tout cela, Monsieur K, j'aimerais avoir votre âge. "



(1)  D'ici peu, on achètera les bébés sur Internet, et on se foutra bien de savoir si c'est une fille ou un garçon. On les designera comme un avatar Wow ou SL. On fera un guerrier elfique ou un ours d'Orion, et l'important sera de savoir s'il peut jeter un sort de pétrification. 
Si vous croyez que le "d'ici peu " est loin, rappelez-vous qu'àu début du XXème siècle, quand St Marcel étendait la main pour créer le ready-made par son verbe, des paysans traversaient toute la Bretagne avec leurs boeufs pour les faire bénir à l'occasion d'une fête. C'est au XIXème siècle que l'Académie fut relevée de la question du compte des âmes... Tout va aller de plus en plus vite. Ce qui mettait un siècle à se faire au moyen-âge ne prend plus qu'une décade au XXème siècle, et demain, ce sera un nouveau monde tous les ans.


(2) Je tire à moi la citation du P. Theilhard de Chardin pour dire que le phénomène humain, c'est bien celui qui nous montrera qu'il faut admettre qu'il ait pu constituer une exception, et ne pas suivre simplement les lois de Newton dans son évolution, et qu'il continue de le faire.
Bimbenet ne dit rien d'autre, et sait très bien sous-entendre que seuls des effets lointains de la poussée d'anticléricalisme du XIXème siècle expliquent qu'on n'ose même plus examiner l'hypothèse. Elle est trop taboue, elle brûle encore les doigts. Outre-atlantique, il y en a qui ont les doigts moins sensibles, sans doute à force de saisir les saucisses du barbecue, et ils ne se gênent pas pour tenter d'inventer. Ce n'est pas très raffiné, mais au moins ça a le mérite de renouveler l'offre !

* 1882. Pour certains de mes lecteurs, il s'agit des grands-parents de leurs grands-parents qui avaient oublié d'être "antiracistes".

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