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dimanche 12 avril 2015

Tête de pont ?

Je continue de creuser le rapport individu / collectif (disparition du sujet ontologique / social) avec ceci :

On sait depuis Freud que le paradigme de la trace, qui accompagne la logique de l'inscription, a joué un rôle fondamental dans la définition de la mémoire, mais aussi dans la culture, comme en témoigne un ouvrage comme Malaise dans la Civilisation. Plus tard, au début des années 70, Jacques Derrida élargit ce paradigme à celui de l'écriture en général et de la différence, théorisant, dans De la Grammatologie, un devenir tracé généralisé du monde, de la pensée et de l'art. Avec l'explosion d'un nouveau paradigme, le neuronal, le modèle de la trace est devenu obsolète et a disparu au profit du modèle de la prise de forme. Plasticité contre Grammatologie. Plus récemment encore, Quentin Meillassoux, dans Après la finitude, parle d'un archi-passé de la terre (l'archi-fossile) dénué de toute trace humaine et détaché de toute corrélation sujet-objet. Que signifie dès lors cette radicalisation de la disparition de la trace ? Comment penser en dehors du paradigme de l'inscription ? Mettre en scène la disparition de tout sujet ? "

Je pensais à l'imposture intellectuelle que souhaite dénoncer untel à l'égard de Derrida. Je pensais au psittacisme, et à cette tendance qui habite certains, à toute époque, de considérer le discours de l'autre au mieux comme un jargon superfétatoire, au pire comme un " galimatias double", selon Rabelais, c'est à dire auquel le locuteur pas plus que l'auditeur ne comprend un traître mot.

Tendance qui semble d'autant plus affirmée que le discours visé prétendait lui-même à l'herméneutique.

Est-ce seulement la dérive de la langue, la dérive historique, qui se redouble de celle de la traduction, qui éloigne de nous le discours précédent ?

Est-ce que la psychanalyse ne fait que redoubler la confession, le développement personnel le " gnothi seauton " (1) ? Est-ce que la physique quantique ne fait que redire en d'autres termes les doutes de Parménide et d'Héraclite, les mathématiques les doutes de Zénon ? Est-ce que notre droit ne fait que balbutier encore le droit romain, les précautions hébraïques ? 

Ma question est de savoir si ce sont d'exactes superpositions ou bien si au delà de ces similitudes, au delà de ce qui ne serait finalement qu'une même dimension, comme une " cardinalité " dans l'objet visé, il y a dans la nouvelle forme, un nouveau fonds ? (2)

Quelque chose de nouveau sous le soleil ? Alors on me dira il y a la technè. On greffe aujourd'hui des morceaux d’œsophage qui repoussent dans le corps de leur propriétaire, et demain les riches commanderont une réactivation du gène maître de leur globe oculaire vieillissant.

Disparition physique du sujet dans le renouvellement de ses pièces. Et le moi dans tout ça ? Quand on aura fini de découvrir qu'il n'existe guère, qu'il est comme un un petit ballon de baudruche gonflé à l'intérieur de l'imaginaire par le grand dirigeable du corps social, avec pour mission de piloter les pulsions du corps, on peut craindre pour son intégrité.

Le moi hérité de droit divin finissant de tomber en poussière, les photons de son avatar cosmique convertis en impalpables champs électromagnétiques plus absents qu'aucun dieu ne le fut jamais, c'est la chute assurée dans le néant du trou central de la fractale.

Le bit informatique va finir par nous paraître quelque chose de solide à quoi se raccrocher, avec sa bonne odeur de sélénium rassurante comme un feu de cheminée et une tablée de charcutaille.

Je verse aussi au dossier cet extrait du dernier numéro de " La Décroissance", autre témoin d'une recherche frénétique, devenant hystérique pour " se trouver " dans la matière :
" Pour changer l'état du monde, on peut se rendre compte que tout que nous avons essayé a échoué. Toutes les religions ont échoué, toutes les philosophies ont échoué, et tous les systèmes politiques ont échoué. Ça nous mène où on en est aujourd'hui. Donc pour changer le monde, il faut changer l'homme. C'est à dire bidouiller sa cervelle, lui enfoncer des implants. Ainsi régulé par la technologie, l'homme corrigera optimisera ses capacités physiques, mentales, cognitives, émotionnelles, sensitives, sera bienveillant et d'une moralité irréprochable. Et on fabriquera à la chaîne de parfaits adeptes de la sobriété et de la convivialité. Des cyborgs vertueux, sans défaut, adopteront des modes de vie responsables et combattront l'entropie".

Mais comment résister à ce mouvement, qui aura pour au slogan : " c'est ça ou Daesh" ?

Avant (au bon vieux temps) une philosophie se proposait de nous emmener d'une rive à l'autre, de " rompre les amarres, de tourner le dos  à telle chapelle pour fonder une nouvelle école, à tel camp pour courir vers les libres espaces. Mais il y avait toujours un ailleurs, une terre promise, ou au moins incognita. 

Depuis quelque temps, c'est la meta-désespérance qui frappe (3). Plus d'autre promesse qu'un cyber-corps, éternellement réparé, et qui aboie, rutilant, dans l'espace. L'esprit, hébété, devant son vide. Parce que ce contre quoi il faut se prémunir est la possibilité qui s'annonce que, effectivement, on ait cherché partout et qu'il n'y ait rien nulle part. Nulle part où aller, pour la première fois dans notre histoire.

Si j'ai bien compris (je cite ici Catherine Malabou), le transcendental serait récusé comme l'issue de secours (illusoire) laissée au monde dans sa possibilité " d'exister sans nous", quand bien même nous aurions su abandonner l'idée qu'on pourrait nous laisser, à nous, cette prétendue conquête qu'il n'existe que parce que nous le pensons. C'est encore trop le penser : Le monde est indifférent au fait qu’il est perçu ou non, il (lui? ) est indifférent d’être nécessaire, d’être stable, etc. Donc il est contingent. Meillassoux étudie la stabilité du monde décrite par Kant..

Je retrouve un peu la balance chère à la vilaine Guillemette : Dire " le monde " c'est définir quelque chose qui existe, et quant à poser le verbe " exister", c'est déjà lui supposer un sujet.

C’est parce que la philosophie est incapable de se fonder elle-même qu’elle se tourne vers les mathématiques nous dit Hegel dans la Préface de la Phénomenologie de l'esprit. Pourquoi aller emprunter à Cantor ce dont les mathématiciens rigoleraient ? Soyons capable de fonder notre propre discours ! Qu’est-ce qu’un monde qui serait capable de devenir toujours autre qu’il n’est ? Si le monde peut changer constamment, pourquoi ne change-t-il pas ? Là, Meillassoux s’en remet à Cantor. Si tout est possible, pourquoi tout n’est-il pas n’importe quoi ? Un vrai discours de la contingence doit admettre que le n’importe quoi puisse arriver. Pour moi, si on ne veut plus de transcendantal, il faut accepter le n’importe quoi. Cf. Kant et le cinabre.
Je crois que la question « peut-on abandonner le transcendantal » devient peut-on faire avec le n’importe quoi.

Questions :
Le livre flirte avec une réaction universitaire : il refuse de dialoguer avec Husserl, Derrida, Foucault. Cela m'agace énormément. Il m’est arrivé de tomber dans la neurobiologie et d’affirmer des choses que je n’aurais jamais cru que j’affirmerais (la pensée vient du cerveau, etc.). Derrida n’aurait sans doute jamais accepté ce que je crois désormais. Suis-je en rupture ou dans la continuité ? Je ne sais pas. Et j’ai du mal à positionner Meillassoux.
Ce qui me fait problème, c’est de savoir ce qu’est la pensée philosophique. Est-ce que le transcendantal n’est pas ce qui est irréductible à la science ? Comment isoler le philosophique, comment décrire ce que nous faisons.
La pensée de Meillassoux est une pensée de l’anhistorique. Les déconstructeurs (Heidegger, Derrida, etc.) écrivaient au moment de l’affrontement de deux blocs. Meillassoux écrit au moment de la pensée écologique : se pose la question du post-historique, de la fin de l’homme, de la survivance de la terre à l’homme.

Ce vieux doute ontologique remis en selle par la catastrophe écologique serait une épidémie grave. Elle toucherait chacun de nous, à rebours, depuis l'être social, vers l'être physique, par l'être culturel.

Elle a déjà touché l'art, en ce qu'il se replie sur sa dimension thaumaturgique (et d'autres, je les ai évoquées déjà). C'est un coupe-feu. D'où peut-être ce retour vers le matériel, pour retarder l'échéance, en espérant que d'ici là une solution se présente.

Je prêche donc encore une fois pour un peu de pastorale sur la base d'une pensée qui ne présuppose pas l'existence. Admettons une bonne fois pour toutes que rien n'existe, cela ira plus vite, et repartons sur des bases saines.

J'ai même un statut pour ceux qui ont absolument besoin de se raccrocher à quelque chose. Nous sommes l'Erreur. A toute instance spirituelle il faut une instance matérielle correspondante, et il en fallait une pour l'Erreur. L'Erreur a choisi de se matérialiser sous la forme d'une pensée qui pense avec raison que ce qui n'existe pas existe pourtant. Elle n'avait pas le choix, d'ailleurs, de s'instancier autrement puisque c'est l'erreur fondamentale, d'où découlent toutes les autres. 

Prenons à nouveau l'image du tore, ça aide à matérialiser le concept.

Imaginons que je vous dise " Vous n'existez pas". Je vais vous expliquer ce que j'entends par là. Vous n'existez pas, au sens où vous entendez habituellement qu'"exister, c'est être une chose". Or en réalité, deux choses coexistent en vous.

D'une part un animal, dont vous supportez les pulsions, le passé archaïques, les comportements réflexes, des strates de centaines de millions d'années d'évolution. Lourd. Mais ce n'est pas vous.
D'autre part un être social, qui est la " reconstruction en vous " (comme les bateaux dans les bouteilles) d'une terminaison de la structure sociale à laquelle vous appartenez. C'est comme un ballon qui s'est gonflé depuis l'extérieur dans votre tête, une petit bourgeon du grand ballon de la culture humaine. Mais ce n'est toujours pas vous.

Ce pour quoi vous vous prenez est une oscillation entre ces deux instances, mouvement parfois conscient, pour partie inconscient pendant la veille, etc.
Lorsque votre corps animal disparaît, le support du ballon de culture disparaît, et ce pour quoi vous vous prenez avec.

Donc pour revenir à l'image du tore, on peut associer l'animal au boudin, et le ballon social au barycentre du tore. Ce pour quoi vous vous prenez, c'est en réalité un vide, l'espace qui sépare le boudin du centre. Mais le poids du corps, la présence de l'animal, le support de la sensation d'être, ne peut se ressentir que supporté " depuis " le barycentre, depuis le point de vue de l'être, qui se pense donc étant à partir de là, comme centre d'un espace subjectif vide..

Mais puisqu'aucun des deux n'est " moi", alors " je " n'existe pas en tant que chose, pas en tant qu'autre chose que cette relation vivante.

Maintenant, comment l'image du tore peut-elle fonctionner au niveau général ? Le monde physique est le boudin, infiniment parcourable et pourtant refermé sur lui-même : toute signification comme une " explication " est impossible puisqu'on ne peut pas " explicare", elle est enfermée dans son propre volume et revient toujours à elle-même.

Le poids du monde matériel se fait sentir au centre, là où est supposé résider l'être, celui qui sent le poids du monde. L'Erreur, que nous instancions, oscille dans l'espace entre le barycentre (le moyeu de la roue) et ce qui lui donne son équilibre (le monde).

Si toute composante spirituelle avait été instanciée hors l'Erreur, tous les possibles seraient hors la contradiction de la matière pouvant contempler l'impossibilité, capable elle-même de constater la nécessaire contradiction que la matière (hors esprit) ne saurait être consciente de son inexistence, et tous les possibles se déploieraient dans la pure présence à soi-même, comme un feuillet qui se serait dédoublé (le voile de Maya)

Or nulle composante spirituelle ne saurait ne pas être instanciée. Il fallait donc que l'Erreur le fût. Et nous sommes cette instance, sous la forme de la nécessaire contradiction, l'impossibilité de la matière dédoublée, capable de se regarder ne pas être (la Chute)

Mais la position est intenable. C'est pourquoi cette conscience doit être maintenue " vivante" sans qu'aucun être ne subsiste pour s'y installer (l'enfer d'une éternelle conscience)

Peut-être alors que la Chute n'est pas terminée. Peut-être que la mise en garde à propos de la connaissance continue de nous interpeller. Mais alors nous invitant à quoi ?

Première hypothèse un peu violente :  c'est nous inviter à ne pas faire perdurer l'Erreur, c'est à dire à ne pas prolonger la quête de la connaissance, qui ne fera que perpétuer l'intenable position, cela revient à nous conseiller de nous auto-dissoudre en tant qu'humanité consciente.

Il y a un courant " thanatos", j'ai l'impression, qui court. Un peu l'idée d'accélérer la fin, symétriques des partisans extrémistes de la technologie, appelant l'avènement du mutant radioactif.

Je mets également, comme un " sign of times " de cette tension (déchirure entre les deux représentations de la réalité, qui nous déchire), les réactions à cette vidéo, exact symétrique du Benedicite :




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Posted by Tara Cambo on Wednesday, March 4, 2015

Mais, le monde débarrassé de nous, qui se chargerait alors d'instancier l'Erreur ? Les damnés de l'Enfer, ceux qui, ayant refusé de voter l'auto-dissolution, installés dans une durée matérielle infinie, se seraient ainsi condamnés éternellement à se contempler éternellement morts, à passer l'éternité à chercher dans la conscience une existence qu'elle ne possède pas ?

Alors les choses se rétabliraient dans l'inversion, le Shéol était annoncé. Et je repense à ce mot attribué au rabbin Siméon bar Yohaï : " J'ai vu la Vérité et j'ai eu peur". Ce n'est donc peut-être pas la première fois dans notre histoire que certains arrivent au bout du chemin. Le bout étant bien sûr la reconnaissance de la trace, ancestrale, de l'herbe foulée, de la boucle temporelle dont parle Etienne Klein,  l'insupportable certitude que le tour du boudin a été fait, et que donc l'infini fermé des possibles a été exploré, sauf l'impossible, l'impensable, cela qui nous oblige à tout retourner.

De là les lemniscates, les formes qui survivent aux civilisations détruites, gravées dans le roc, comme un souvenir du chemin parcouru et un avertissement pour ceux qui reviendront. Prendre cela comme symbole de l'infini, ce n'est jamais qu'en revivifier la parole muette.

Il vaut donc mieux se taire. Et que dire à ceux qui ont besoin de moi, et qui vont me jeter des pierres ?

Seconde hypothèse : c'est prendre l'invitation au pied de la lettre, nous inviter à chanter la gloire du Seigneur en compagnie des anges. Cela reviendrait pour effacer la faute à " remettre notre esprit entre ses mains", et retourner dans le sein du Père, pour employer un vieux vocabulaire, attendre calmement la parousie, la fin des temps. Sans croire à autre chose qu'à cette invitation au bonheur.
Sans espérer de l'avenir un supplément de connaissance, s'en remettre totalement à ce qui n'a pas de nom. Croire aux miracles, à la bonne odeur du Christ, renoncer à la conscience, suivre son exemple.
Mais comment organiser dans le renoncement ? Comment penser aujourd'hui une société basée sur la non-organisation ? Que faire de l'existant, devenu inaccessible à quiconque, sans parler de le maîtriser, l'orienter, ni même l'éclairer ?
Qui nous aurait " livrés " à pareil châtiment? Voir sa non-existence en pleine lumière, et devoir se résigner à la contempler sans en pouvoir abréger le supplice, baisser le store, éteindre la lumière ? Sans pouvoir même se tourner vers l'espoir.

Abandonner cela aussi, les abandonner. Pour cela aussi s'en remettre, et ne-pas-attendre le salut, mais pour soi seule. A l'ombre des renoncements devenus ramure, treille fraîche où le pampre à la rose s'allie, atteindre à nouveau le point où le temps ne passe plus.

(1) Voir : " Hegel voit ce « connais-toi toi-même » comme le signe d’un tournant majeur dans l’histoire de l’esprit, car Socrate en s’en réclamant fait de « l’esprit universel unique », un « esprit singulier à l’individualité qui se dessine », autrement dit, il fait de la conscience intérieure l’instance de la vérité et donc de la décision. Il y a tournant car, dans la culture orientale, l’Esprit, tel que le conçoit Hegel, était de l'ordre du mystique inatteignable (d’où les Sphinges et les Pyramides d'Égypte que nul ne peut pénétrer) ; ce qu’au contraire augure Socrate (et de la même manière Œdipe) c’est « un tournant de l’Esprit dans son intériorité », c’est-à-dire qu’au lieu d’être inatteignable, l’Esprit est réclamé comme se trouvant dans l'homme lui-même.
Platon définit ainsi la santé d'esprit, laquelle consiste à se connaître en devenant capable de distinguer ce que l'on sait et ce qu'on ne sait pas. Ici la santé d'esprit dont l'Homme est capable est une tâche à accomplir. "
Tournant de l'Esprit dans son intériorité, devenu " capable de distinguer ce que l'on sait et ce qu'on ne sait pas".


Voir : " Aujourd'hui, plusieurs interprétations du passage de la Genèse concernant l'arbre de la connaissance du bien et du mal sont possibles. La plus crédible est que l'arbre symbolise le savoir illimité qui n'appartient qu'à Dieu, et le pouvoir absolu que l'on pourrait en tirer. L'arbre de la connaissance du bien et du mal symboliserait donc un désir profond de l'être humain : celui d'abuser de sa liberté, d'être en mesure de connaître tout et d'utiliser ce pouvoir de façon absolue"

Voir :  "
Pour l’arbre dont parle Adonaï Élohîm, la traduction courante est représentée par la Bible de Jérusalem : « l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Elle ne me semble guère correcte même si on l’adapte, comme la nouvelle TOB, avec une tournure plus concrète : « de ce qui est bon ou mauvais »3. Cette seconde traduction, en effet, est trop précise. L’hébreu présente en réalité une construction curieuse : un substantif (’éç) suivi d’un infinitif construit utilisé comme un substantif déterminé par l’article(hadda’at), mais flanqué de deux objets directs indéfinis coordonnés (tôvwara’) qui peuvent être lus également comme des adverbes. La tournure qui rend le mieux cette expression hébraïque me semble être « l’arbre du connaître bien et mal », où « bien et mal » peuvent être entendus comme substantifs objets ou comme adverbes. "

(2) Voir par exemple ici, à 29:54 de la discussion des costard-cravates, le mec qui dit " Je puis parfaitement", comme elle drôle l'atténuation qui évite le " je peux". Parce qu'il ne peut justement pas savoir ce qu'Aristote pensait. Trop de temps écoulé.


(3) C'est pour cela que j'ai passé ce blog en catégorie adulte, pour éviter que des jeunes ne lisent ce genre de propos. Cela achèverait de les désespérer et ils le sont bien assez comme ça. Laissons-les croire encore un peu au père Noël fringues-téléphone-DVD-voiture-maison, jusqu'à ce qu'on ait une solution de rechange à leur proposer.

mardi 7 avril 2015

Bevete più latte...

Eh oui, c'est la fin des quotas laitiers, la fête de la mamelle outre-rhénane qui va pouvoir ouvrir les vannes à fond.


Nous les tétines bretonnes, on est trop contentes, on va pouvoir vendre du lait en Chine


C'est qu'il faut bien nourrir ces braves gens qui fabriquent les nuggets de poulets



que mangent nos éleveurs de porcs


Allez, ne faites pas "berk", samedi vous allez retourner dans les embouteillages pour acheter vos lardons et votre pack de lait.


Faut bien nourrir la petite famille, hein, on n'a pas le choix !

En fait, c'est une entrée " par le bas ", du cyber-body, celui où les interventions médicales de plus bas niveau, comme la collecte de données ainsi que le contrôle de leur valeur, peuvent être faits sur le sujet pendant les activités journalières via de appareils connectés.

Déstructurer le corps animal réel, c'est aussi préparer les mentalités à l'arrivée d'un corps humain de plus en plus " éparpillé", le fonctionnement de ce corps étant en fait assumé par une globalité, une collectivité d'appareils délocalisés.
Ainsi pour survivre, il me faut tel appareil de contrôle qui nécessite lui-mêmes des batteries, donc de l'électricité et un chargeur en état de fonctionnement, une liaison internet et un moyen de paiement pour passer la commande, un lieu d'habitation repéré pour recevoir la livraison.

Au rythme où vont les thérapies géniques, le corps réel pourrait devenir plus encombrant qu'autre chose. Il serait intéressant d'avoir des enquêtes là-dessus, pour savoir jusqu'à quel point les gens laisseraient " acheter leur corps", c'est à dire ce qu'il suffirait de leur donner en cadeau pour qu'ils acceptent de ne plus pouvoir s'enfuir physiquement de là où leur corps est connecté.

On y est bien arrivé pour les animaux, après tout.

jeudi 2 avril 2015

L'impatience

Je viens d'entendre sur une radio commerciale une émission rétrospective d'un crime commis en 1995, un père tuant 4 membres de sa belle-famille, attendant à leur domicile qu'ils rentrent les uns après les autres.

Il est resté " hiératique " au long des quatre années d'instruction, niant sa culpabilité, disant qu'il " n'y était pour rien".

En disant qu'il n'y est pour rien, il efface sa responsabilité, ce en quoi on doit l'écouter. Si l'on considère que le mobile retenu était l'argent, d'autant plus.

Décrit comme froid, insensible, l'homme ira juste après le crime voir le notaire pour l'héritage, et l'assureur, avec la liste précise des meubles détruits pendant l'incendie de la maison.

" Et tout ça pour 150.000 euros " dira un avocat. Si le coupable était un artisan en lutte pour la survie de son entreprise, cette somme permettait effectivement de résilier son engagement d'avec une montagne d'ennuis harassants, de se délier d'un contexte, avec lequel, au fond de lui, peut-être, il était intimement convaincu, n'avoir rien à faire. Il n'y était, effectivement, " pour rien".

Je pense que ceci devrait être médité par l'institution. Si l'engagement dans le contrat social n'est pas vérifié, si on ne s'assure pas non plus que le ressenti des acteurs montre un niveau acceptable de la sensation d'influencer son destin, on peut s'attendre à toute forme de " résiliation " du contrat, même les plus brutales.

Un engagement réel, sincère, et autant que possible enthousiaste. Non pas résigné, ce qui serait mauvais signe. Or cet engagement est la plupart du temps supposé, ou du moins jugé sur ses effets : l'entreprise artisanale de l'assassin, laquelle se porte mal à cause des difficultés de " l'Economie.

Maintenant, que faire de celui qui n'a d'enthousiasme pour rien ? On répondra que dans un monde qui le cultiverait comme objectif principal, ce cas ne se présenterait pas. Mais alors, un enthousiasme d'Etat ?

La dissociation de l'individu d'avec son être social est toujours près d'être déclenchée.

Comme elle en est toujours loin. Ceci signifiant simplement que la distance n'est évaluable dans le singulier que dans des conditions délicates. Mais retenons qu'elle est à tout instant, pour un nombre donné d'individus, alors près d'être défaite.

L'association entre l'être individuel et l'être social, une fois et pendant le temps de l'éducation, construite, est toujours près d'être défaite à la faveur d'une pression trop forte.

Il faut considérer sans doute que lorsqu'elle est à l'oeuvre, la dissociation présente à l'esprit du sujet non plus un seul moi comme chez les personnes associées, mais deux moi, l'un des deux, le moi social, devenant de plus en plus flou et lointain, jusqu'à pâlir et ne plus exister. Le moi individuel est laissé seul face à une horde d'ennemis avec lesquels il n'a plus rien à voir.

Toutes les stratégies de survie, tout le mensonge dont on est capable, sera alors mis au service du moi, pour sauver sa peau, pour se sauver d'un monde où l'on "n'est pour rien".

" Je n'y suis pour rien" n'est donc pas seulement le dégagement, une fuite dans l'irresponsabilité, qu'on ne veut pas retenir tant le crime ne semble pas mériter d'atténuation. A l'heure du crime, et pour toujours sans doute, il est et restera le témoin d'un processus accompli, une simple vérité de vécu.

Le moi solitaire sortira toujours vainqueur de la dissociation d'avec l'être social. Enfin pas toujours. Il peut aussi s'effondrer sous les coups de la violence qui pour épargner femme et enfants, retourne le poignard contre soi avant.

C'est alors dépression et cortège d'angoisses bien connu, qui accompagne la descente des longues files de pèlerins.

D'un simple point de vue financier, cela se tient. On peut se permettre de négliger l'enthousiasme individuel comme variable, parce qu'après tout, un petit crime par-ci par là, ça ne fait que conforter le public dans son bien-être, " on est bien mieux chez nous".

Il faut veiller néanmoins, si on veut continuer d'exploiter les gens et que le système soit rentable : si trop de gens finissent par ne plus avoir d'autre choix que de se partager entre dépression et violence, il faudra lâcher un peu de lest.

Mais de quel lest, et le lâcher où et comment ? Pas facile pour une institution débordée par l'urgence d'empêcher les protagonistes d'en venir aux mains.

Andrzej Krauze