Il m'arrive parfois de m'occuper d'adolescentes, et l'autre jour je recevais une très jeune fille dont les pratiques sont proches d'une espèce de prostitution volontaire.
Lorsque je lui demandais pourquoi elle faisait cela, elle me répondit :
" C'est pour que ceux qui ramassent ce qu'ils trouvent sur leur chemin puissent me ramasser ".
Elle a baissé la tête et moi aussi, presqu'unies dans une même prière. J'ai eu l'impression que les murs de la pièce s'agrandissaient. Nous étions dans un grand espace de solitude, où il n'y avait plus rien à se dire. J'avais l'impression d'entendre le bruit du vent, j'avais un goût de sciure dans la bouche.
Bien que je ne sois guère formée, ni armée pour répondre à tout cela, je parviens d'habitude à constuire une réponse permettant de poursuivre le dialogue.
Ce jour là, cette jeune fille m'a amené au bout de ce que je pensais possible en matière d'exil de soi. Elle m'a ouvert un nouveau champ d'existence. Puis je suis arrivée à remettre en moi la bonde pour arrêter le flux de ma vie qui s'enfuyait, je l'ai regardée pour qu'elle mesure cette bienveillance dont elle n'avait que faire, et j'ai posé une main sur son épaule en la raccompagnant.
Depuis, il m'arrive de passer plus de temps encore dans ma solitude, sans pouvoir parler.
Les gens me demandent ce que je fais. Je ne peux pas répondre que je me demande si ne n'ai pas envie, moi aussi, que quelqu'un vienne me ramasser. Mais comme chacun le sait, j'ai quitté mon mari, et dans une grande ville universitaire comme celle où j'habite, cela ne saurait tarder.
Le monde est plein de filles, plein d'hommes, de gens qui s'attendent et de gens qui se ramassent...
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