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mercredi 25 mars 2015

L'adolescence programmée

J'entendais dire hier que le " lobby des asthmatiques " avait réussi à faire remplacer les tableaux noirs des salles de classes par des tableaux numériques-inutilisables (pléonasme).

Et des parents qu'ils ne voulaient pas voir leur enfant " en fauteuil roulant à cause d'un vaccin".



Qu'on ne pouvait plus faire goûter des enfants dans une école à cause des innombrables allergies qui les accablent.

J'entendais parler des enfants de CM1 de la manière dont ils se voyaient, dans l'avenir, dont chacun " allait " (manière devenue imminence) vivre sa " crise d'ado".


J'entendais parler des chiffres sur l'augmentation de l'homosexualité. Assortis de commentaires du style : « Dans le micro milieu parisien bac+5... oui, 10% »

Discuter l'épaisseur du trait de crayon dans la qualité de l'échantillonnage en la matière, une autre façon de dire la marge d'incertitude liée à l'affirmation qu' "on" devient ce que l' "on" s'entend annoncer qu' "on" est déjà ?

Dans la mesure où le " cyber-esprit " du corps social tient à la fois de l' egregor et du tambour de machine à laver, que devient le corps " individuel " connecté à ses mythes ?

L'avènement organisé, au sens de la prophétie auto-réalisatrice, prend en ces temps de mégaphone planétaire, de folles allures. Je me demande jusqu'où le corps " réel" se pliera à l'esprit.

Jusqu'à un " point imaginaire" ?

Plus de différences, entre cette tribu connectée et les voleurs du réel cuivre, qu'entre les extraterrestres supposés.

Dans genre, cette nouvelle, où l'on apprend que :

On Thursday, April 9, LinkedIn announced it will aqcuire Lynda.com for $1.5 billion (52% cash and 48% stock).
Lynda.com, which was founded in 1995, is a subscription service which offers online training videos on a range of subjects from photography, to education, to developer training.
In a press release, LinkedIn CEO Jeff Weiner talked about the companies' shared interest in helping professionals connect with opportunities to improve themselves.
Ryan Roslansky, head of global content products at LinkedIn, went into a bit more detail in a blog post on LinkedIn, suggesting a scenario like this: "Imagine being a job seeker and being able to instantly know what skills are needed for the available jobs in a desired city, like Denver, and then to be prompted to take the relevant and accredited course to help you acquire this skill."
Pourquoi s'arrêter à la formation : " And thanks to its recent acquisition of Lynda.com, it could also incorporate things like job certifications and training into its pro-sumer offerings."

Allons jusqu'à la certification.

Jusqu'où pourra-t-on certifier les gens qui ne savent pas écrire une phrase sans faire une faute (aqcuire ) ? Jusqu'on pourra-t-on aller en désorganisant le langage ?

Jusqu'à un point imaginaire, fût-il situé sur la navette spatiale ? C'est ça qui est curieux...

dimanche 22 mars 2015

L'art dans le contrat social

Je me posais la question suivante : " Qu'est-ce qu'un individu doit à la société ? " dans le cas particulier où cet individu est une artiste.

Ceci sous deux points de vue : Le premier, moral, mais non pas sur le plan de l'échange de valeurs. Il ne s'agit pas de savoir si l'individu doit tant d'heures de travail ou autre montant quantifiable, mais plutôt quelle part de soi-même elle doit abandonner et comment les deux peuvent s'articuler.

Ce " soi-même " étant considéré à la fois comme le " moi " de la psychologie humaine, celui qui se construit pendant l'enfance, et comme la part de ce que, dans tous les secteurs de sa démarche individuelle, un être humain doit consacrer à la société.

Le second point de vue étant politique. C'est à dire que l'ensemble des points ayant déterminé ces valeurs forme une ligne-frontière dont s'emparera le législateur pour fixer les règles des lois.

Ce qui m'intéresse ici est le premier point de vue, et notamment dans le cas de l'artiste. On va me dire que c'est là ce qu'on appelle la question de l'engagement. Certes. Appelons là ainsi, cela ira plus vite. Mais l'engagement en ce qu'il touche ce point particulier de la construction du moi, comme le définit, sur le plan général, ce texte de Julien Saiman.

Maintenant, qu'en est-il du point de vue de l'artiste ?

Au départ, le constat pourrait se résumer à un débat entre d'une part le camp des " réalistes", qui diront que tant qu'une artiste peut vivre de son art, elle serait mal avisée d'aller se frotter aux rixes de l'agora, que c'est là la fatiguer inutilement, et que le respect de la liberté veut qu'on ne contraigne pas les récalcitrants à s'y plonger.
Et d'autre part un camp des " idéalistes", qui diront que reléguer les questions de conscience, une conscience éventuellement " régulée ", au domaine du choix individuel et de la latitude du marché est un abandon de souveraineté qui feint d'ignorer le fait social.
Une réalité qui devient, justement, incompatible avec le fonctionnement de la société, et face à laquelle la société ne saurait, justement, rester, " réalistement " sans réagir. Si elle veut ne pas se condamner à dériver sans pouvoir de se gérer, la société doit-elle " contraindre (ne serait-ce que moralement) à s'engager". ?

Pour clore la série, une troisième voix, dite " spiritualiste", parlera d'un engagement par le retrait, par l'exemple, et pourquoi pas, par la contemplation, par l'attention ou la non-attention à la vie même, et par la prière, une position qui serait qualifiée de " non-interventionniste " par les deux précédentes, mais qui, dans le cercle des extrêmes se rejoignant, a des affinités avec les deux autres.
Elle partage avec les " réalistes " la conviction que la liberté est fondatrice, et avec les " idéalistes" le reliquat d'une responsabilité individuelle par le fait même d'aménager l'espace possible d'une telle liberté, lequel fait est généralement assorti d'une obligation justification de ce choix par l'individu.
Enfin, le spiritualiste renverra les deux autres à leur impuissance.

Vous pourriez, diront-ils aux idéalistes, tout aussi bien ne pas dormir la nuit au vu des récentes mesures prises par les pouvoirs russe ou chinois, au prétexte de terrorisme, pourquoi n'en faites vous pas cas, mais vous les réalistes, le jour où les chars seront dans vos rues, vous viendrez nous parler de liberté ?

Pour montrer comment ce constat de départ est vu depuis ma question, reprenons [Verjus] qui cite Commaille, " une question sociale est définie comme la perturbation et la déstabilisation vécue par les individus concernant leur mode d'insertion par le travail et l'identité qui en découle (ainsi que les avantages matériels qu'il procure) sous l'effet d'un fonctionnement économique particulier. dans la société à laquelle ils appartiennent ".

J'évite, enfin, l'inconvenance de la formulation " Qu'est ce qu'un artiste doit à la société ? ", ce serait s'arroger le succès d'un statut défini accolé à une catégorie de personne définie, or c'est peut être précisément l'inverse que je vise.

L'individu et la société se regardent dans le miroir l'un de l'autre (1), l'individu se voyant (aussi) comme être saisi à travers les injonctions, dont la palette s'étend depuis les lois en vigueur dans le milieu jusqu'aux louanges où ses prescripteurs abondent. La société s'étalant au soleil des statistiques, ou les jambes bien écartées dans la lumière blafarde des sondages, mais toujours en pompes impeccablement cirées.

Le premier et la seconde s'interrogeant (toujours) sur leur pertinence respective, sur le bien fondé de leur malentendus, et constatant leur impuissance respective à s'interpénétrer.

Par " c'est l'inverse que je vise", j'entends en fait " c'est le complémentaire que je vise". Les deux premiers " camps " présentés ci-avant regardent l'artiste comme tout citoyen, en tant qu'acteur économique, ou en tant qu'acteur politique, avant de le projeter dans la cinématique du procès d'engagement.

Les "spiritualistes" me répondront que chaque artiste décide du taux d'engagement qui convient à son inspiration, et qu'on trouve, depuis la danseuse qui anime des spectacles de rue jusqu'à l'ermite peignant en solitaire, toutes les nuances d'engagement librement consenti par chacun.

Viser le complémentaire consiste donc à faire ce constat que si on peut les renvoyer dos à dos, c'est parce que l'artiste récuse le travail comme seul mode d'insertion, tout comme seul outil de définition de son identité, et refuse que la définition de son identité " appartienne " à un système économique où elle serait définie par un " fonctionnement".

Le complémentaire d'une abstraction reste difficile à opérer, mais je tenterai de répondre aux spiritualistes que si la danseuse de spectacle de rue supporte les côté difficiles de son engagement, c'est  peut-être (aussi) dans l'espoir précisément de changer le cadre social dans lequel elle accepte de fonctionner, tandis que le peintre ermite consent à des sacrifices financiers parce que cela lui permet de continuer à " non-fonctionner " dans un cadre qu'il récuse, et que la notion " d'engagement librement consenti" est à prendre avec précautions, un peu comme d'autres choses "librement choisies", comme l'émigration ou le temps de travail, notions qui redirigent ailleurs.

Une fois ceci posé, on peut tenter de regarder dans quelle mesure il est possible qu'une hypothèse théorique de travail considère un être humain (toujours hypothétique modèle théorique comme on est modèle de nu dans un atelier de modelage), le considère, donc, comme un tout composé d'un côté d'un artiste et de l'autre d'une partie engagée, de facto engagée, au sens de [Saiman]

Pour le résumer maintenant, si la société et l'individu s'appréhendaient sur une nouvelle base, et pour ce qui concerne l'individu, vu comme un artiste unique développant une relation de confiance qui lui permettra de bien fonctionner avec les autres et de trouver sa place dans le système grâce à une démarche artistique harmonieuse.

S'il en était ainsi, une telle vision portée par un collège dédié à cette tâche pourrait-il apporter aux autres acteurs en charge de la vie sociale, des éléments pour aider à mieux résoudre les quelques conflits qui résistent ça et là à la surface de la planète, au milieu de notre océan d'épanouissement individuel et collectif ?

Pour apporter des réponses au camps des " réalistes", on dira qu'on peut ainsi aider à résoudre les contradictions liées à la mutation des relations entre le marché et l'Etat Providence :

" C'est parce que l'individu manifestera son envie de participer et d'adhérer et à la société qu'il l'intégrera et non plus parce qu'il fait partie a priori d'un tout collectif qui le dépasse. Les individus doivent maintenant prouver qu'ils sont capables d'être membres d'une collectivité en y accédant par leur propre prise en charge. Cette conception va largement modifier les perspectives de la solidarité. [...]
La troisième transformation concerne le changement du rôle des politiques sociales.  Au delà de leur premier rôle, qui est l'octroi d'une rétribution permettant d'accéder au minimum vital, elles se présentent aujourd'hui comme un moyen permettant à l'individu de retrouver une capacité d'action en tant que sujet individuel.
Dans ce modèle actuel, c'est donc par l'enchevêtrement d'individualités, qui vont chacune agir en vue de leur propre réalisation, que les liens sociaux vont se construire et produire la société." [Verjus]

Aux "réalistes" nous pouvons donc présenter que le débat n'est plus ordonné par les anciennes divinités de la Politique et de l'Economie, et aux "idéalistes" que le lien social fonctionnera désormais sur la base, non plus d'un volontariat qui ressemble à de l'embrigadement du temps des " Partis ", mais d'une séduction où des individus libres effectueront leur choix entre des formes d'engagement également épanouissantes, et non plus également contraignantes.

Aux spiritualistes qui nous répondront qu'en attendant, on veuille bien laisser les gens à leur libre arbitre, nous dirons que nous serons toujours là pour accueillir ceux qui veulent nous écouter et repartir ensuite, tout en faisant observer que leur liberté de retrait présente a été payée par avance, et du sang de leurs aînés qui ont eu le courage " d'y aller".

Pour revenir au sujet donc, quelle est la part que prend l'aspect artistique d'une personne dans ce débat, ou dit autrement, est-ce que cela " change quelque chose " qu'elle soit artiste ? Cela pour la différencier du rentier non artiste, qui est lui aussi (2) délivré de l'engagement induit par la soumission économique au système, mais dont on ne parlera pas ici.

Son parcours artistique peut-il feindre d'ignorer les événements de son temps ?  Je dis de son temps pour éliminer ceux qui en 2014 ont le courage de dénoncer la guerre au Congo (où au Bénin, ils ne se souviennent plus), les victimes du méchant tremblement de terre en Haïti, la Shoah, le massacre des saints innocents, la disparition des mammouths laineux, etc.

Peut-elle, cette gentille artiste, détourner le regard et broder de jolis napperons en espérant qu'ils viendront mettre une croix  de sang  sur sa porte dans la nuit pour que le massacre en cours l'épargne, parce qu'elle a liké rageusement sur une page ?

Oui mais alors, s'occuper de la misère du monde est un emploi à plein temps... Et puis on est en stress H24, plus jamais de repos.
Et l'inspiration dans tout ça ?

Cela dépend à quelle source on puise son inspiration. A une fille qui fait de la photo de guerre, il faut du théâtre d'opérations. A une fille qui fait du spectacle vivant, il faut le bruit de la rue. A un artiste qui fait de la copie tendance, il faut le contact avec la fête, la nuit. Enfin à celle qui cherche à écouter les mouvements de l'âme, il faut le murmure du feu, les craquements du vent, les silences de l'eau.

Pour les deux premières catégories, c'est une sorte d'échange : l'artiste est engagé, mais il prend quelque chose au monde pour nourrir son art.

La question est de savoir si en ne considérant que la troisième, on a épuré le contexte de l'engagement. Si on élimine encore la transmission, l'artiste ne doit rien à la société. Or il lui doit tout, au sens courant de l'expression, puisque sans elle il ne serait rien. Son oeuvre retombera tôt ou tard dans le domaine public.

Éliminons les gesticulations des DRM et autres inepties : ce qui est copiable d'une oeuvre n'est que le reflet de sa valeur marchande, c'est à dire rien. On peut copier l'objet produit par une oeuvre à titre d'échantillon, pour donner au public envie de venir la voir, mais faire commerce de cet échantillon est un autre signe du degré d'imbécillité auquel est parvenu le marché de l'art, ce qui me rappelle les articles si touchants de J-L. Biton, et celui-ci à propos de Malaval.

L'art ne cesse de désigner là où il faut regarder, et bien sûr nous sommes hypnotisés par cet index qu'est l'objet, et maintenant pire, son image.

Imaginons un compositeur qui copie les partitions d'un autre et les fasse interpréter. La gloire et la considération qu'il pourrait en tirer ne sont rien en comparaison de la honte qu'il en éprouverait... à condition d'avoir été bien éduqué. Une fois de plus, là est la solution en termes d'humanité, et non dans le dongle ni le format propriétaire, monument de notre époque de chiens électroniques bornés.

Tout cela raboté, il me semble qu'il faille aussi considérer le bruit que font les chaussures dehors. Je veux dire par là que si l'on considère que le bruit des bottes commence à se faire entendre, tout le monde poussera les hauts cris comme quoi que bien sûr que c'est évident, on ne peut pas fermer les yeux et se concentrer sur son ouvrage pendant qu'on fusille les résistants dehors.

Oui, mais pendant que le bruit des bottes monte ? Les choses sont rarement statiques ou étales dans l'univers. Elles montent ou elles descendent. Dans le brouhaha et l'ambiance cour de récré de cette fin de siècle, on aurait du mal à se décider.

Peut-être alors que nous sommes encore dans le rapport au monde dont je parlais ici à propos de l'avant-garde. Pris dans ce front du renouvellement immobile, comment progresser ?
On le voit bien dans le billet sur Malaval. S'arrêter par le suicide seul, arrêter ce mouvement qui ne conduit qu'à une vaine répétition, ou avec Blanchot, continuer ?

Ne pas tenir le diable à bout de fourche, c'est prendre le risque qu'il avance. Cela me rappelle les rats de Buzzatti, et cette phrase :

"Where is the Life we have lost in living?
Where is the wisdom we have lost in knowledge?
Where is the knowledge we have lost in information?"
T.S. Eliot, in Choruses from The Rock (1934)

Que l'auteur du blog poursuit par :
Where is the information we have lost in Google ?

Mais tenir le diable à bout de fourche, c'est ne s'occuper que de lui, c'est lui donner toute son attention, c'est lui donner sa vie, et il ne demandait que cela., il l'a autant que s'il l'avait prise.

Je précise que par bruit de bottes, je n'entends pas seulement les totalitarismes habituellement liés à ce terme. Le silence de l'ignorance, le vide du manque d'éducation, le brouhaha médiatique de l'inculte méduse, l'impolitesse excusable des affamés, la violence des sots excités par des gueux, et les hurlements des armes de guerre sont les bruits différents du même animal qui cherche à faire tourner la roue de sa fortune en détruisant les civilisations.

Peut-être que, déjà, il n'y a dans ce vacarme plus de place pour la parole. Peut-être déjà plus que deux versants possibles : abonder à l'hystérie qui nous détruit individuellement ou résister passivement dans les décombres.

Passivement. Passer dans le passé, comme on passe à la résistance. Disparaître dans les photos du passé.

(1) Vous pouvez la garder pour draguer en boîte, celle-là. Ou alors, si vous voulez vraiment vous la farcir, allez-voir ici (lien vers la boutique du glacier).
(2) J'écarte pour le moment ceux qui créent pour vendre. A quel point ils ont intégré inconsciemment ce qui se vend pour en faire ce qu'ils pensent vouloir créer, c'est une question de psychologie dans le mécanisme d'inclusion des classes, une sorte de biais d'inférence bien trop compliqué pour ma petite cervelle. Toujours est-il que je les tiens pour un acteur économique. Je ne sais plus qui disait qu'il ne faut pas confondre création et innovation, comme les industriels de la moquette qui ajoutent une nouvelle couleur à leur gamme ou un nouveau pesticide innovent aussi. C'est une question de catalogue commercial, non de création artistique.

Biblio sommaire :
[Verjus] La question de l'engagement : d'hier à aujourd'hui, essai de typologie Maud Verjus, CESEP.
[Saiman] L'engagement Julien Saiman L'Atelier Philosophique

lundi 9 février 2015

Cui qui le dit, c'est çui qui l'est


Eh ben quand t'auras cessé la confusion et trouvé les vrais artistes, tu me feras signe. En attendant, demande aux industriels à qui tu fais de la pub de payer tes abonnements.


jeudi 15 janvier 2015

Punctum Temporis

" Je sais, je radote "




C'est ce que vous pourriez m'accuser de me servir à moi même comme pique, mais rassurez-vous, aucun risque.

Je voulais simplement dire une fois de plus que c'est dans l'entre-deux, dans le passage, que se situent les choses.

Mais dire aussi que la photo-ci dessus est un peu la trace mnésique de ce qui correspond à ce qu'on ressent de la " personnalité " de quelqu'un. En fait, la personne sur la photo a bougé pendant la prise de vue. Ainsi, bien qu'elle ne puisse récuser aucune des expressions qui ont contribué à former l'image finale, cette dernière ne lui appartient guère.
A moins que ?
Si elle est finalement une " autre personne ", elle nous parle de cet autre, plus intérieur peut-être. Freud disait que le Moi, c'est le corps physique.

Je veux dire qu'elle n'est pas complètement à écarter, cette image, qu'il y a peut-être des choses à " prendre en compte".

Dire enfin que dans cette image, il y aussi mon intention de prendre la photo si vite, à cet instant magique où ce que je voulais saisir du visage, révélé, s'est enfui dans le mouvement effectué trop tôt. Et l'image est une sorte de réponse à mon intention, elle aussi inscrite dans le mouvement.

Le dit est relatif.

C'est à dire que c'est parce que je connais le visage " au naturel " de cette personne, que je sais l'expression que je voulais capturer alors, que, par rapport à cette intention, son regard devient une réponse.

Je sais bien que ça n'apporte pas grand-chose, mais je voulais que ce soit là.  Je sens toujours ce besoin que ce soit là, mais ça ne prend pas place dans le puzzle. Bon, tant pis je le publie, je crache, on verra bien.

Les aspects incohérent et disparate de mes productions ont sans doute l'inconvénient de me priver de beaucoup de lecteurs, mais ils sont la trace d'une liberté qui me permet d'accrocher les traces les plus faibles avec des points plus solides, d'attacher des signaux sans importance au tronc commun des articles, de façon à donner au moindre détail une pérennité par l'écrit, une fortune qu'il n'aurait pas acquise sans ce procédé.

En fait c'est exactement ce que dit ceci :


C'est à dire que les points d'accroche " faibles " contribuent au trajet du fil et donc au sens, autant que les points d'attache forts, qui sont reliés au tronc.


C'est le fait que de secouer la gangue de la progression raisonnée, en sautant d'un point de capiton à l'autre du discours, permet de dessiner plus librement un territoire.

Autre chose peut-être, à l'examen. Nous connaissons tous ce fait qu'une personne se ressemble à travers des expressions qui déforment son visage. On sait que c'est elle. A l'inverse, la photo saisit des expressions qui n'appartiennent pas à la personne. Il faut très bien la connaître pour la reconnaître.

Idem pour celle-ci, d'ailleurs, qui va dans la série des mains et des regards :


Ce qui me fascine peut-être, c'est que notre cerveau a bien vu tout cela avant de nous en livrer une version expurgée et stabilisée.

Autre chose à propos de l'art, à côté de la tendance au gigantisme que j'ai signalée, la mode maintenant affermie de l'hyperréalisme. " Wow, you won't believe your eyes it's a painting", "waoh, on dirait tellement une photo". Et si le mec le fait au stylo à bille, c'est encore mieux.

Je pense qu'en général, à travers les œuvres de l'artiste passe le message " Regardez, j'ai fait une belle chose". Et le jury approuve et récompense en sélectionnant, de façon à ce qu'on dise de leur expo que c'est plein de belles choses, pour qu'on entende bien le message " regardez, c'est une belle chose".

​Cela véhi​cule une envie de dire quelque chose, de le dire aux autres.Cette envie se raboute à celle de l'exposant, qui a envie de donner à voir ,etc.
On pourrait même aller plus loin, et je l'ai pensé par exemple en regardant cela :
https://www.facebook.com/media/set/?set=a.587572561344908.1073742075.482999355135563&type=1

Chacune de ces œuvres crie " Je suis une oeuvre d'art, regardez-moi comme telle. Et en tant que telle, dites ou pas si vous me trouvez belle, vous devez dire ce que vous pensez de moi, vous devez dire quelque chose sur moi".

Mais il n'y a pas que là. C'est partout. Voilà, moi je ne suis pas là dedans, et je crois que ça se sent. Mes œuvres sont plutôt du côté du contact de personne à personne. Elles balisent un itinéraire vers une sortie de secours, vers une réponse à la question, ou vers la réponse à une question.

Mon procédé a marché sur moi, je vais le tester sur quelques autres alentour, et voilà, ça ne s'accroche pas au mur comme on faisait au XIX ème. Je sens que c'est lié aussi à Duchamp, mais je ne comprends pas encore bien comment.

Je viens de tomber sur cette citation attribuée à Brian Eno :

"Stop thinking about art works as objects, and start thinking about them as triggers for experiences… That solves a lot of problems … Art is something that happens, a process, not a quality, and all sorts of things can make it happen … [W]hat makes a work of art ‘good’ for you is not something that is already ‘inside’ it, but something that happens inside you..."


Je me sens moins seule :)

Bon, on va passer à autre chose, laquelle va enfin faire le lien avec tout cela, et contribuer pour brindille au ban prononcé par mon éminent confrère John Moullard, immense plasticien du XXIème siècle, dans cet article.

Il va falloir trouver des raisons pour continuer d'avancer. Ainsi pourrait-être résumée, d'une certaine façon, la stratégie de mon entreprise pour 2015.

Sinon j'ai ouï dire qu'une bande de jeunes avait repéré un gène humain, nom genre Fp102, dont l'absence semblait responsable de baisse de performance dans les exercices cognitifs. Ces petits malins l'ont inséré dans l'ADN de souris, qui sont soudain devenues  meilleures dans ce style d'exercice.
Ce genre de bidouille digne d'un scénario de science-fiction à la Planète des Singes se déroule je l'espère hors de tout contrôle ou de réflexion éthique.

Et sans surprise, le bon point hyper réaliste du jour va à notre ami chinois qui peint des trucs 'achement ressemblants, comme les flamands au XVIIème avec de mervailleeeez perdrix à s'y méprendre, et d'ailleurs les ancêtres de notre honorable correspondant bien des siècles plus tôt.

Et puis, faut pas dire que je suis une critiquezzzz systématique, ça par exemple, ça me bouge d'une façon curieuse, je ne sais pas pourquoi.



C'est de Mary Iverson. C'est un peu systématique comme procédé, dommage, le côté tableau de clous me plaît. J'aime bien celui là en tout cas.

dimanche 11 janvier 2015

Je couds donc je pense

Faut-il jeter par dessus bord ce fatras de réflexion pour revenir au niveau du sensoriel ?

" Le film de Valérie Minetto consacré à Annie Le Brun s'ouvre sur une citation de Jacques Rigaut : "Penser est une besogne de pauvres, une misérable revanche." C'est Annie Le Brun elle-même qui cite Rigaut." comme dit Jean-Luc Bitton, d'abord.

C'est un mouvement de recentrage, de concentration sur les disciplines de l'Atelier de Minuit. Cela rejoint la récente avancée de Lydie sur ses motivations, qui comprend pourquoi elle a tant de mal à faire en elle de la place à l'art par destination, tandis qu'elle fait plus facilement place dans son processus créatif à l'art par métamorphose (au sens de Malraux).

Certains artistes préfèrent réaliser des œuvres textiles plutôt que de faire surgir des tableaux. Lorsqu'on fait une boîte en carton, on se contraint à se mettre dans la peau du destinataire et à vérifier si la boîte s'ouvre et fonctionne bien.
Au lieu de se reculer pour juger de l'effet comme un peintre, la créatrice qui travaille sur le corps se met dans la position de la personne qui essaye le pull, elle se met à la place du corps de l'autre, ce dernier fût-il temporairement le sien. (Cela me fait penser aussi au recul de l'observateur dont parle Alain Simon).

J'ai déjà parlé de cet acte à propos des mains de Mary Jean Betts qui s'intitulait Layers of Thinking, titre qui devrait plaire à Alain, d'ailleurs.. Cela nous renvoie à ce courant de pensée de l'époque de Memling, qui prônait que la douleur de Marie dans une déposition devait se communiquer au public.

C'est à dire, bien que le procédé utilise l'imitation visuelle, elle la dépasse dans la communication des émotions.

La peinture avait alors encore pour partie dans son programme de s'adresser au corps, et non (seulement) à l'esprit.
Corps dont les frontières sont plus faciles à cerner que celles de l'esprit. Cette partie en a disparu.
La peinture s'est désormais adressée uniquement au cerveau, ce qui a ouvert la voie aux communications de l'art conceptuel.

On peut noter à ce propos que l'art textile, plus que d'autres, garde la trace du faire dans le fait. Un tableau peint ne témoigne pas du geste du peintre avec la même force que la longueur d'un point de couture exhibe le geste de la couturière, et sa longueur égale à celle du point.




Ils sont indissolublement liés, non seulement dans l'exactitude de la mesure, mais encore dans la chronologie de la réalisation. Comme je le disais ici :  en voyant un ouvrage de couture, on sait que la couturière n'a pas pu ne pas passer par les étapes correspondantes.

Nos corps entrent donc en correspondance dans l'espace, par la mesure des gestes, mais également dans le temps, par l'ordre de leur enchaînement.

Cette fiction (au sens de quelque chose qui a été créé) est une pièce de réalité que nous partageons, même si rien ne nous garantit que le centimètre de fil que nous voyons est le produit d'un geste de la couturière qui " dura " un centimètre. A l'échelle de l'humanité, c'est une bonne précision.
Cela me rappelle Farrugia (?) qui disait que si Einstein et Gandhi se rencontraient, il n'auraient peut-être pas beaucoup de certitudes en commun, sauf une absolument sûre, c'est que Superman est Clark Kent.

L'art textile témoigne autant du faire que du fait, là où notre tradition dévalorise le faire, le renvoie à l'ordre de l'approximation, de l'hésitation, de l'apprentissage, du trait de construction qu'il faut gommer.
Or la caresse de la main sur le papier, toutes ces sensations que le corps chérit, et qui font que l'artiste leur sacrifiera tant pour les conserver, au prix de sa santé et de sa vie, préférant la misère que d'y renoncer, qu'ont-elles de si précieux à nous dire ?

Alors, retour au corps et au cœur ?

vendredi 19 décembre 2014

Pour Noël, offrez-vous une poutre dans l’œil.

Tant que j'y suis à faire ma chieuse, une dernière poussée avant Noël, et puis...



Dans la catégorie des abus exercés sur les enfants, je signale leur utilisation à des fins de propagande. On ne cesse de voir aux micros des tribunes, et jusqu'au prix Nobel, des enfants rappeler à leur devoir des adultes qui se lèvent pour les applaudir.

Que ne se lèvent-ils contre les bourreaux que ces enfants dénoncent !

Quelle que soit la justesse d'une cause, les enfants n'ont pas à être asservis à la propagande de cette cause. 

Dans cet exemple édifiant, tous les commentaires sous-entendent que c'est une initiative des enfants, ce qui est nécessairement faux. Le pire pour moi est ce commentaire " cela ne peut passer que par les enfants".

Oui, bâtir un monde meilleur ne peut passer que par l'éducation des enfants parce qu'ils vivront dans ce monde futur et en auront les bénéfices, mais la prise en charge des corrections des défauts du monde présent, dont il n'ont aucunement la responsabilité, ne les concerne pas.

Il incombe aux adultes de prendre leurs responsabilités, de se retrousser les manches et d'affronter les tueurs de baleines, au lieu d'envoyer les enfant au front.

Dans un autre registre, idem pour cette vidéo. La conclusion espérée est simpliste, et les commentaires ne manquent pas de répondre à l'attente : Les enfants sont bien plus intelligents, ils ont plein de choses à nous apprendre.

C'est également une bonne occasion de rappeler que, quelle que soit la justesse d'une cause, ceux qui la soutiennent sont toujours persuadés d'avoir raison, et conséquemment persuadés que tous les moyens pour la servir sont légitimes. C'est sur cette certitude que les pires horreurs des pires régimes de dictature sont bâties.

Poutre !

Le doute est salvateur. Il est aussi rongeur de certitudes, je sais, j'en ai déjà parlé, on y reviendra.

Passer sous silence le fait que si l'adulte se fige, c'est en partie parce qu'il a un vécu qui l'incite à penser que la grimace est, au moins potentiellement, au moins pour partie, involontaire, gommer ce fait est stupide. Cela ne fait qu'ajouter à la confusion au prétexte de servir une bonne cause.

Tiens, on me l'a remis sous le nez ce matin, celui-là, il aura le bon point hyperréaliste du jour (je sais, c'est un ancêtre, mais ça lui apprendra).

Enormissime, celui là aussi prend aussi vachement de place




Bon, sinon, je viens de publier une vidéo de machine à vapeur sur Facebook, assortie du commentaire " Enfin de l'art, du vrai", qui n'a soulevé aucune remarque, ce qui m'a permis de dire que la médiation artistique est un sport de combat solitaire, et de poser cette forte devise pour 2015 : " La médiation artistique comme performance".

Je sais, je ne suis pas la première, le collectif de chercheuses qui a rédigé l'ouvrage " L'artiste pluriel" en a déjà parlé. Cela reboucle un peu avec ce que je disais sur les artistes qui ont pondu la vidéo sur la décolonisation de l'imaginaire.

Je voudrais aussi parler de cela parce que ça commence à me démanger davantage sous le chandail, à me travailler la demande de commentaire à chaud, cette histoire de fablabs.

Que cela soit digne d'une expérimentation entre geeks survoltés, financée via les insondables ramifications de la fractale subventionnelle cosmique et des territoires consanguins réunis, très bien. Que ce soit érigé en exosquelette d'une Education Nationale victime d'une exsanguino-transfusion, j'en frémis un peu des bouts de seins.

Donc confiance en l'avenir, mais vigilance sur ceux qui le vendent...





mercredi 17 décembre 2014

Mange ta flemme et barre-toi, corollaire.

Il y a une nouvelle forme d'art populaire qui se développe sur Internet, qui est de dire ou d'écrire n'importe quoi, juste histoire de faire hurler le pélerin.

Le pèlerin hameçonné, donc, de quelque bord qu'il soit, va se sentir obligé de réagir, si possible de façon horrifiée, en partageant sur son mur, en diffusant à ses amis, bref en frétillant le plus possible dans le cyberespace, pour la plus grande joie de l'auteur de l'oeuvre d'art, lequel mesure son succès au bouillonnement du bazar ainsi créé.

Il y a eu par exemple une page Facebook intitulée " il faut massacrer les chiens", qui a mobilisé une partie de la population pendant plusieurs jours.

Il y a aussi ce genre de vidéo. Sur le fonds de l'idée " Our belief is that decolonisation and critical thinking needs to be a language we speak with our kids from the begining.", cela me semble au moins une direction de recherche. Je sais que la critique est facile et l'art difficile, mais ce " language " qu'ils appellent de leur vœux, pourquoi en jeter les bases, dès le départ, sur un mode aussi débile et aussi dégoulinant de laideur ?

Ne serait-ce pas pour être sûr que les ennemis potentiels vont tomber dans le panneau, et confondre la forme et le fonds ? Ils ajoutent volontairement, à leur tâche ardue dès le départ (remettre en cause les réseaux sociaux) par le sujet abordé, quelques ingrédients pour se faire taper dessus.

On cherche un moyen de mieux parler aux enfants de sexualité, soit, après tout, pourquoi pas, mais pourquoi se rouler dans la laideur et la vulgarité, pourquoi mêler à cela des allusions mal venues à la transsexualité : pour faire genre je suis cool,  "je respecte tout" ?

Peut-être aussi parce que c'est ce tout qui va déclencher la fureur de l'ennemi. Qui que l'on ait en face, une chose est sûre : il a des valeurs, donc des frontières. Et s'il voit quelqu'un franchir les frontières de l'inacceptable aussi allègrement, il va dégainer sans réfléchir, et la fête peut commencer.

On ne peut pas traiter tous les sujets à la fois dans un même document, mais si on le fait, on est sûr que les commentaires vont partir tous azimuts et que la pagaille sera maximum. Confondez " ludique" avec "multicolore", "sympathique" avec "organza de synthétique", et de même, "cool " avec " de mauvais goût" et bon voyage les trolls.

Lorsqu'on doit faire avec un mini budget ( le miroir comme représentation du narcissisme dans le voyage masturbatoire en soi-même avec l'inondation orgasmique à la fin...), il faut beaucoup de temps de médiation pour expliquer ses figures de style, surtout à des enfants. Je sais que c'est le but ...

Le conclusion que j'en tire est que pour aborder des sujets aussi délicats, il faut des gens très doués, et leur donner des moyens de faire les choses bien. Je pense qu'ils ont voulu et pensé bien faire, et qu'ils ont un peu tâtonné, pour le dire sur le versant de la bienveillance.

Je me demande aussi si tout cela n'est pas en grande partie du matériau traduit de l'anglais, et qu'ils n'ont pas trouvé grand monde pour le transférer en France, d'où le résultat, et la même conclusion. Il vaut mieux s'adapter à la culture locale, si on veut bien faire passer un message.

Sur le fonds de l'assertion " Our belief is that decolonisation and critical thinking needs to be a language we speak with our kids from the begining.", on peut objecter que le  " from the begining." pose problème. Il n'y a pas de " commencement " au moment où l'on peut parler avec un enfant.
D'autre part le moment est différent pour chaque enfant, donc son commencement. Je pense qu'il s'agit là d'une réaction de certains éducateurs, qui constatent que le dialogue sur ces sujets est instauré trop tardivement, et que cela favorise une colonisation de l'imaginaire. Certes, mais ils proposent là une colonisation plus précoce encore, par d'autres colonisateurs, d'autres colons, d'autres colonies de vacances.

Le plus intéressant est comme souvent le bloc des commentaires. Les gens parlent de sujets qui ne sont absolument pas dans la vidéo. Que cette dernière soit destinée in fine, et in situ (en salle de classe ?) à des enfants, avec un animateur qui explique, peut-être, mais il faudrait faire l'effort d'expliquer si la version Youtube a pour (seul ?) but de montrer un exemple de ce qui pourrait être réalisé en vue de déculpabiliser l'enfant sur la masturbation, et féminine, de surcroît.

Rien que dans le fait de ne pas expliciter cela, on se demande si l'objectif caché n'est pas de sonder les gens en leur livrant le sujet brut pour mesurer les réactions " avant " et " après " une médiation.

Le problème que pose donc cette vidéo est que c'est tellement maladroit  qu'on finit par se demander si l'objectif  n'est pas, pour partie et inconsciemment, de fabriquer quelque chose de suffisamment débile pour pouvoir servir de support à n'importe quel discours de vindicte.

Ou au moins, susciter des commentaires, ce qui a eu lieu sur un media dont les codes sont contemporains de la référence.

C'est à dire que notre mode de réflexion collectif changerait en ce moment de la façon suivante : A la fin du XXème siècle, je réunis un collège d'intellectuels en costume trois-pièces qui gratte dans une salle où ils fument des gauloises par révérence à leurs débuts trotskystes avec Sartre. Ils pondent des directives de libération de l'Education Nationale qui n'abordent pas les sujets de fonds, et qui seront enterrées par la génération suivante.

Cette génération suivante est constituée d'experts et de consultants senior facturés par des cabinets privés, lesquels cost-killers conseillent de mieux qualifier les assets, pour voir ce qu'on pourrait valoriser, et de supprimer des postes. Ils vendent le mobilier d'époque pour se payer, et préparent la privatisation de l'université.

Aujourd'hui, étape suivante, plus de budget, des décérébrés essaient de sauver les meubles, en demandant un budget de 7 euros trente centimes à la société qui gère les TAPs, et vendent les torchons de leur grand-mère sur ebay pour arrondir leur RSA, tout le monde priant pour que St Ebola épargne leur enfants analphabète des djihadistes.

On a poussé jusqu'au bout la logique du "peu importe le flacon, et " tout plutôt que l'indifférence"... Peu importe l'arme, du moment que l'impact est grand, peu importe le cause, du moment que l'onde de choc se propage dans les multiples tambourins connectés de la blogosphère et que l'ensemble carillonne, car les quelques vues de leur vidéo sur Youtube leur vaudra peut-être quelques sous de subventions en plus pour leur congrégation pour la propagation de la fpardon, leur association pour la promotion de la tolérance multiculturelle et discriminatoire, " tkt, ici on se pran pa la tete pour lé mo." qui oeuvre pour une solidarité intergénérationnelle dans les quartiers.

Donc tout ce qui peut contribuer à ce super-buzz qu'est la discorde, est bon à prendre. Impossible grand-écart où une proposition, pour être crédible doit faire hurler, et pour être admise, doit faire un consensus lisse, mou et universel, plat et tiède comme couche monomoléculaire d'huile d'olive dans une poêle. Je casse tout et je respecte tout et tous dans le discours, ce qui ne me coûte guère puisque je ne comprends rien.

L'art participe de ce mouvement, en ce qu'il y a quelque chose qui pousse, qui motive, quelque chose qui est entre l'intention consciente et la pulsion inconsciente. Dans la vidéo, le mauvais goût est incriminé pour le fonds, la forme pour le propos, sans qu'on puisse clairement faire le départ. Le mélange est plus fin, plus homogène que la chaîne et la trame, c'est plus comme deux fibres prises lorsqu'on file, presque comme deux couleurs de peinture qui se mélangent pour n'en former qu'une, c'est indémêlable.

Ce qui met en mouvement une personne ou un groupe de personnes est qu'elles sont prises, au sens du fil qui est " tiré " par l'épinglier d'un rouet qui tourne, elles sont aspirées par un mouvement qui possède déjà ses propres codes. Ils peuvent y intégrer les leurs, mais ne peuvent refuser l'insertion des autres fils qui vont s'amalgamer de façon inconsciente pour eux à leur démarche.
Et comme les réseaux sociaux agglomèrent des millions de personnes, l'art emmène inévitablement les fils du buzz dans ses composantes.

Ce sont comme des harmoniques inévitables produites par le travail. Et une partie des réactions va consister à s'emparer d'une de ces harmoniques pour en faire la fondamentale. C'est ce qui explique le succès de l'expression " je rebondis sur votre propos".

Mais c'est comme si un fileur s'emparait du fil d'une bobine du voisin avant qu'elle soit terminée, et se mettait à l'intégrer dans son fil. Cela ne rebondit plus très loin. Les pratiques et les voyeurismes se côtoient, se touchent de si près, que la contamination est inévitable. Le déplacement est prescrit par un impératif de nouveauté, de différence, mais sans aucune " dissidence". Il faut, comme à toutes les époques, glisser dans plan de la bien-pensance. Aussi, lorsqu'on fait un saut vers un domaine délicat, faut il le payer par une nullité de contenu et d'apparence affichée haut et fort. Le cercle est petit, et la laisse est son prophète.

Alors me direz-vous, si on n'a personne en face, c'est que les gens qui n'ont pas de frontière regardent les autres mourir avec indifférence ?
Quelqu'un qui n'a pas " de valeurs " ne se lève pas, ne se lève pour défendre aucune cause ?

Mais ce serait comme n'avoir aucun cercle dans ses taxinomies !

Pendant ce temps, les vrais assassins font pleuvoir les balles sur les innocents, avec la bénédiction des caméras, ils se gorgent de sang dans la folie meurtrière qui étanche enfin leur soif des grands espaces d'expression.

 Bon allez, so much pour les sujets scabreux. J'espère avoir esquissé ce que je voulais dire.

Le bon point gigantique du jour va à Ernesto Neto, qui a, comme son nom l'indique, des prix de gros sur le filet de pêche bleu.

" Je ris à m'en faire crever " (H-F. Thiéfaine)
J'en ai dit sur FB pareil que de ces belles choses, " ça occupe l'espace ".

mardi 11 novembre 2014

L'internationale situationniste et le bonheur

Cet article est une sorte de synthèse à la dialectique individu (ego) / collectif (demos) qui précède. Je vais vous mener un peu dans les montagnes russes, mais vous commencez à en avoir l'habitude. Cependant, vous allez devoir raccorder plusieurs des thèmes évoqués précédemment. Donc pour avertissement au lecteur non familier de mes blogs, il y a peu de chances que vous puissiez suivre le vol, sensation de n'importe quoi assurée.

Nous allons donc commencer par un incident domestique mineur. Une enfant de sixième fait ses devoirs scolaires, leçon d'anglais. Sa mère, bardée de diplômes comme mes ancêtres... illustre la leçon d'exemples tirés de Shakespeare.

Un de mes amis qui assiste à la scène dit à la mère à quel point elle semble prendre plaisir à enseigner. Sans le contredire, cette dernière tente de sous-estimer la portée de l'affirmation. Si fait, lui réponds mon ami, cela se voit, tu rayonnes de bonheur.
Il est vrai qu'on la sentait dans ces transports de la vocation qui sont antichambre de l'extase physique et mystique (c'est une enseignante repentie).
Poussant son avantage, mon ami lui dit qu'elle est radieuse et dégouline de bonheur.

L'enfant interrompt l'échange des adultes et en manière de défense de sa mère : " Et alors, c'est bien, non ? "

Là je fus clouée. Pas infranchissable, progrès " inconseillable", comment faire découvrir si tôt dans la vie à une enfant, que ce qui dégoulinait, c'était la satisfaction de l'ego ?

Tout ceux qui passent l'aspirateur savent que l'idéal serait de s'arrêter à chaque petit objet pour l'examiner afin de savoir si c'est un déchet, avant de l'aspirer, et savent aussi bien que si l'on procède ainsi, on passe une journée à aspirer une chambre. La situation commande donc de prendre le risque d'aspirer de petits objets précieux.

Il n'y pas de vérité dans laquelle se tenir, il n'y a que des situations qui exigent telle ou telle réponse adaptée aux circonstances. Cela nous renvoie au situationnisme (à l'envers, j'en conviens, mais poursuivons, si vous m'interrompez toutes les deux minutes, je ne finirai jamais).

Vous me direz : " Ce que vous nous annoncez là a été compris depuis longtemps par la démocratie qui abroge ses anciennes lois pour en créer de nouvelles". Certes. Sauf que le phénomène humain a pour caractéristique de faire de l'homme, et ce de plus en plus vite, de plus en plus fort, et de plus en plus collectivement, un être de culture.

Ceci signifie que l'évolution de " l'esprit des lois", un peu à la traîne de celui du corps, suivait, mais sans trop de retard, les conditions d'histoire et de civilisation du corps social dont il était censé être le reflet et la gouverne.
Si vous  conduisez un véhicule en regardant dans le rétroviseur, tant que la voiture va doucement et que la route ne tourne pas trop, ça peut bien se passer. Si la voiture accélère, elle va se dissocier de la route à plus ou moins long terme.

C'est ce qui est en train de se passer au sein de nos sociétés contemporaines. Il se trouve que la société contemporaine moderne a pour caractéristique, à cause des nouveaux outils de diffusion de sa culture, une tendance à se globaliser.

Mais cette globalisation n'est pas achevée. Nous avons donc, en plus, une voiture qui se trouve avoir plusieurs volants, plusieurs conducteurs, c'est à dire des cultures différentes mises ensemble dans un même véhicule (alors qu'auparavant, chacun avait sa voiture pour s'amuser sur son petit circuit à l'intérieur de ses frontières)..
Chaque culture regarde pour s'aider dans le rétroviseur de son passé. Certains y voient un passé spirituel millénaire, d'autres encore des statistiques sur une consommation de masse à peine séculaire, d'autres enfin toute une palette de cultures mixtes.

Ceci pour les déplacements de droite et de gauche, à hue et à dia.

Maintenant pour le déplacement dans l'axe de la route, la progression de la voiture est partagée (plus ou moins moins démocratiquement) entre les passéistes bétonneurs qui veulent figer le système, et les végétalistes progressistes, qui veulent une civilisation de lianes et de cabanes où chacun des individus ultra-éduqués est enfin laissé à ses instincts sauvages.

Ce n'est pas sans malice que je ramène ici et le ça et le moi freudiens, du moins leur version de comptoir. On voit les bétonneurs privilégier dans cette version le feu de camp, la chaleur du commun, la conservation du système, et que les végétalistes privilégient le pas de côté, l'éternelle différenciation d'une incessante individuation (au sens de Jung cette fois)

En effet, ceci peut paraître détoner avec les conventions habituelles sur les groupes politiques, qui veut que le bétonneur passéiste soit individualiste, qui veut que le végétaliste bohême soit un fêtard qui aime animer le territoire jusque tard dans la nuit de la magie du spectacle vivant.

Inverse également avec cette vieille image du petit-bourgeois qui ressent l'artiste comme un parasite, lequel suce le sang et les ressources d'une société où il fait chaud et bon vivre. La soudure est évidemment une fois de plus dans le public du feu de camp, le cercle des " convives" ou des " invités" (Cf le gâteau de mariage).

Autre détail avant que j'oublie. J'ai lu ceci : " Stephen/Télémaque et Deasy/Nestor ont deux conceptions de l'Histoire différentes. Deasy la voit avec une portée téléologique. L'Histoire mène vers une fin : la manifestation de Dieu. "

Sauf que toute histoire mène vers une fin, peu importe laquelle (fin). La téléologie, c'est beaucoup plus puissant que cela, c'est penser que tout ce qui se passe est orienté en vue de cette fin, qu'elle y concourt.

Mais cela encore, appartient à, et s'explique par la seule causalité. La téléologie veut qu'elle ne puisse pas concourir autrement que par ce qu'elle est et a été conçue en vue de, cela affecte donc sa nature. Ce qui va à l'encontre de la notion de système.
C'est comme un groupe d'hommes qui veulent faire avancer une pierre en la roulant. Ils vont se mettre tous du côté opposé à la direction préalablement décidée. Il ne s'agit pas de savoir si leur poussée mène vers un point, ce qui est le cas de toutes, fût-ce de la parousie, mais de trouver un sens à la position qu'ils occupent. Ce sens fût-il à chercher vers l'opposé de l'endroit où ils se tiennent, de l'autre côté de la pierre.

Et je me permets avant qu'on me tire de mon estrade, d'ajouter que ce mécanisme est puissamment inscrit dans nos structures cognitives, comme on peut le voir au point 3  de cet article de mon éminent confrère, Azaïl Aydyeing. : "un certain nombre de pictogrammes est nécessaire pour que leur composition fasse sens : chacune des touches n'est opératoire qu'à prendre place dans un ensemble qu'elle concourt à mettre en forme".

Il n'y a rien d'étonnant à cela. Dans les décennies à venir, nous allons retrouver dans nos mécanismes cognitifs la monuments de la pensée humaine, les fonctions statufiées dans la personne de leur auteur, et cela nous fera sourire.

A ce sujet justement, auriez-vous l'amabilité de nous dire, par volonté ou par hasard, où vous souhaiteriez nous voir venir avec tout cela ? Certes, j'y viens.

Ce qu je veux dire, c'est que tout système, prenons par exemple la langue, évolue par craquements. Imaginons que vous ayez construit un ballon fait de bandes de velcro. Si vous voulez agrandir le volume de votre ballon, vous devrez détacher une à une les bandes de velcro, la repositionner un peu plus loin (elle sera alors lâche par rapport au  reste, formant un pli, cette bosse significative dont je parle si souvent dans le muséum). Mais comme le langage doit continuer à fonctionner, chaque bande détendue sera repositionnée avant de passer à la suivante.

Eh bien de même l'esprit d'un individu évolue par craquements successifs, comme si les os de sa boîte crânienne devaient se décoller par paillettes ici et là pour pouvoir suivre l'expansion de son volume dans l'espace. Il y a des sauts qu'on peut imposer à l'esprit, à petites doses, d'autres qui lui sont préjudiciables.
A telle personne on peut donner une petite dose d'une drogue, qui aura des effets bénéfiques, pour telle autre la dose est trop forte, et cela l'envoie dans un mauvais trip.

Je fais donc le parallèle avec les conditions de complexité de notre époque. Le cerveau est une machine à apprendre, à déduire, à synthétiser. Les outils comme Internet, on le sait, mettent chaque année nos cerveaux en contact avec plus d'informations qu'une femme du moyen-âge en une vie.

Le même marathon est imposé aux collectivités, comme on l'a vu plus haut. Rien d'étonnant donc que le mot d'ordre soit la décroissance. Nos structures psychiques, nos institutions politiques, notre droit, ne peuvent plus suivre.
Nos structures individuelles et collectives ne sont pas prévues pour l'accélération qu'elles subissent. Il est donc devenu urgent de s'arrêter, de reprendre goût à la vie, et de réfléchir aux conditions du bonheur sur terre.

Mon souci est toujours le même : vox clamabat in deserto. Allons, rompez avec vos enfantillages. Oui, et non justement. C'est d'appeler, si nous voulons voir nos descendants vivre en paix, à adopter une motion dont je sais déjà qu'elle restera lettre morte. Freud aurait appelé ça de la mélancolie. Rions-en aussi.

Cette motion consiste à investir massivement dans un gros travail à la fois individuel et collectif, un peu à la pensée ce que Wikipedia est au savoir, de façon à faire émerger de nouveaux concepts, capables à la fois de rendre compte de l'état du monde, de s'en faire une représentation, et concepts capables de nous aider à prendre des décisions concernant la Polis.

Notre civilisation est actuellement comme un cargo en panne qui vient de rompre son amarre avec le remorqueur. Nous devons, je dis bien c'est un devoir, en dignes successeurs de l'An 1 (pour éviter " zéro - un"), tout poser, et toutes affaires cessantes, entamer un état des lieux, un état du monde, en formuler le résultat en termes compréhensibles par tous, afin d'être en état d'avoir les éléments de réflexions pour des décisions et des actions.
Et oui, nonobstant le demi-siècle écoulé depuis !

Figurant dans cette boîte à outils, il faudra un outil pour déterminer rapidement les contours et les règles de fonctionnement d'un système, quelles évolutions il est capable de supporter, quelles sont celles par lesquelles il faut commencer pour optimiser la migration lors de la reconfiguration.

Les systèmes (ou disons le système, puisqu'ils sont tous liés) étant à la fois des systèmes virtuels (les organisations) et humains (ces organisations en tant que corps de loi d'une collectivité, reflètent les passions humaines des individus qui les ont créées), il faut connaître et les lois de fonctionnement des systèmes, et les lois de fonctionnement de l'humain pour espérer limiter les dégâts.

Les sciences, des deux côtés, sont jeunes, elles sont nées avec le XXème siècle. Si elles sont nées, c'est que leur grossesse était à terme, et révolus les systèmes de pensée qui leur dont donné naissance. Mais il se trouve que les marchands du temple ont trouvé le moyen de remettre les machines en route, et que les pilotes, eux, ont été transférés dans le remorqueur.

Au début de la croisière, les Rapetou ont réussi à faire croire à un nouvel évangile, celui du pognon, et qu'à l'arrivée de la croisière, tout le monde en aurait plein les poches. Hélas, les jours passant sans terre en vue, l'ambiance à bord se dégrade.

Il y a un peu deux réactions face à cela. Celle qui consiste à penser que pour agir efficacement sur cette horde de pirates en passe de revenir à l'état sauvage, il faut un chef qui fonde un clan genre viking, avec gros muscles et grosse hache, et qui instaure l'ordre par la terreur. Cela ne fera que reculer le cargo de quelques centaines de kilomètres en arrière, au moyen-âge avant qu'on traverse la zone dangereuse des récifs.

Ou alors tenter in extremis d'amener toutes les bonnes volontés à appuyer ensemble dans la bonne direction pour que les pilotes puissent remonter à bord, et trouver quelque chose pour calmer l'équipage en attendant.

 Pour cela, il faut, ne serait-ce que pendant un temps, et pendant cette situation, en admettant qu'il soit capable de supporter cette modification, en connaître suffisamment sur le système pour savoir où il faudrait appuyer pour le faire évoluer. Car les bonnes volontés seront rares, les compétences tout autant, la fenêtre d'action extrêmement réduite.

Ce qui pose (je vous rassure, tout cela va bientôt cesser, Rolande est un peu fatiguée de souffler dans son cor...) la question, pour revenir à la fameuse réplique de l'enfant : " Et alors, c'est bien, non ? ".

Ne vaut-il pas mieux être bête et innocent ? C'est peut-être cela, le secret de l'éternelle jouvence. Disparaître avant que de devenir trop évoluée, pour que les forces neuves de l'imbécile jeunesse puissent à nouveau tout ravager et renouveler la face de la terre.

C'est ça la vraie question. Disparaître. To appear or to disappear, that is the (new) question. Oui, c'est bien, le bonheur. C'est vraiment bien, et il faut laisser les gens dedans le cas échéant.

Et l'IS, là dedans ? Je pars donc de cette émission, qui va me permettre de reformuler ci-dessous exactement les mêmes idées

Il s'agit du " parcours d'un groupe".

" Ce qui constitue l'originalité de cette avant-garde [...] est  qu'elle intervient à un moment où l'idée même d'avant-garde a commencé de s'épuiser, un peu, de se routiniser.  [...] L'idée d'être dans une posture d'avant gade et de rompre avec l'académie, ça existe depuis le XIXème siècle
[...]
Comment être encore une avant-garde ? 
[...]

Pour comprendre [...] leurs pratiques et leurs idées D'où une nécessité,

ces artistes ayant été formés par les exigences de courants comme le surréalisme [...] de trouver le moyen de réaffirmer l'authenticité de ces postures.

Ce qui va passer [...] par une radicalisation, et notamment une radicalisation politique, ce qui va passer aussi par un contrôle très attentif de l'usage du label qu'on peut faire dans les milieux de l'art.
[...]

On va faire attention à ce que telle oeuvre artistique ne soit pas labellisée " situantionniste" si....

Guy Debord met donc en oeuvre un certain nombre de stratégies.

La réaffirmation de cette authenticité se produit d'abord sur le terrain de l'art. C'est là que naît ce mouvement avec un lien fort avec des peintres, notamment ceux issus d'un mouvement qui est déjà terminé, qui est Cobra, [...] c'est l'un des axes majeurs avec par ailleurs une forme de relation aussi avec le mouvement surréaliste

Alors ça se situe sur le terrain de l'art, ceci dit, dès les premiers temps du mouvement, il y a tout un discours ambitionnant de dépasser l'art dans ses formes traditionnelles, c'est à dire l'art réduit à une forme de production d'oeuvres esthétiques.
On va ensuite contempler passivement.
Cela se joue sur le terrain esthétique, enfin en tout cas sur le terrain artistique, mais de manière assez radicale, l'idée va être d'investir de nouveaux terrains comme l'architecture, le cinéma...
non plus dans l'optique de créer des oeuvres d'art, mais de créer des situations. c'est leur mot

- Faut dire qu'on est un certain temps déjà après les ready-made, donc quand on veut créer une avant-garde à ce moment-là, on ne peut pas faire comme si Duchamp n'avait pas existé.

C'est pris en compte dans leur positionnement, c'est ce qui assure une forme de réflexivité chez ces gens là
c'est qu'on a déjà des exemples de personnes qui ont essayé de dépasser l'art, comme Duchamp, comme les surréalistes, et au final

Le surréalisme est devenu un courant esthétique comme un autre.

Cette problématique qui les anime :

Comment faire pour ne pas subir le même sort ?

La dimension politique est là en germe dès le départ "

----- Fin de citations tronquées pour récupérer ce que je veux garder.

Ce que j'en retiens, c'est la quasi nécessité, passé un certain degré qu'on peut éprouver à " fuir pour survivre".  (Même les galaxies l'ont compris, elles s'éloignent les unes des autres à des vitesses croissantes.)

D'où vient cette fuite ? Curieusement le mécanisme fondateur semble être celui que craignent les fabricants de parfum lorsqu'ils ont affaire aux contrefaçons. On parle bien de " label" à l'origine.

L'oeuvre artistique est labellisée, c'est à dire qu'elle est avant tout un objet unique. La sacralisation dont elle bénéficie par la labellisation la transforme par là en " micro-académisme" qu'il faut fuir aussitôt.

C'est à dire lorsque le changement n'est plus fondé sur un souci d'originalité, mais sur un impératif de survie. On l'admet pour une avant-garde artistique. Et encore, lorsque je dis "on l'admet", on ne l'admet ni pour la création artistique en général, et encore moins pour un individu.
Et pourtant, il faut qu'elle survive en temps que mouvement. Cf. les tiraillements entre le nouveau pour le nouveau et le néo-réalisme, qui nous agite en ce moment, entre un art niais et une art guiness-book-of-records.

L'émission me permet de faire un parallèle dans le diagnostic entre l'artiste qui ne peut pas rester dans les modèles convenus, et la personne qui ne peut pas rester dans un " bonheur simple" .

La gestion des étapes de l'évolution psychologique de la vie ne peut pas se faire uniquement avec des oeuvres d'art " objet", il faut un accompagnement psychologique, ainsi qu'un cadre politique.

De même que la démocratie impose au citoyen de " trouver bien" les frontières des catégories qu'on lui propose (et nous l'avons suffisamment montré, la prestidigitation linguistique précède l'usage de la matraque), le groupe social dont nous héritons notre culture nous transmet par le fait même, et sans intention de le faire, les injonctions se référant aux périmètres de structure.

Mais au niveau le plus intime, le troisième, celui de l'être, ce sont les fondements de notre civilisation qui nous transmettent certaines valeurs sur la vie.

Ceux qui n'intègrent pas comme la majorité les modèles politiques sont vus comme de simples militants, voire de dangereux extrémistes. Ceux qui n'intègrent pas comme la majorité les modèles culturels sont vus comme génies ou des fous selon les modes. Ceux qui n'intègrent pas les modèles ontologiques peuvent passer pour des originaux, des artistes, ou alors développer très tôt des pathologies mentales de souffrance qui peuvent les conduire plus ou moins longtemps sur la route hésitante du suicide.

Pour le système politique, on peut en sortir. Pour le système culturel aussi bien sûr, mais c'est aussi  compliqué. Il fallait à l'artiste suivre une longue période d'obédience, qui amène gloire et fortune, pour lui permettre de se libérer du carcan et faire craquer un peu le modèle. " Permettre" seulement, car la plupart y renonceront, par goût du confort.

Pour le niveau personnel, c'est encore plus compliqué.

Ce que je cherche à montrer, c'est que la " bénédiction épiscopale " que Duchamp a donnée, ordonnant chacun prêtre dans l'ordre de l'art, a été en quelque sorte trop brutale, le système culturel a eu du mal à la digérer comme une potion donnée en overdose, tout comme le système collectif n'a pas pu faire évoluer les lois assez vite face aux évolutions récentes, tout comme le système individuel en a été laissé démuni face au principe de réalité.

La démarche artistique accompagnée, combinée à d'autres techniques douces, de médication ou de parole, d'hypnose, de psychanalyse, de substances douces, permet de faire évoluer les choses en " pas à pas", d'effectuer ce constant glissement, ce pas de côté qui nous permettra d'arriver plus rapidement à être notre propre avant-garde, de redevenir notre pilote.
" Les choses ", c'est à la fois chaque individu, aussi bien que l'ensemble de la collectivité.

Cette perte de sens due à une prise de conscience précoce est donc une urgence de santé publique :  Si on veut, préalablement à la sauvegarde de l'équipe de pilotes, disposer encore de gens disponibles pour initier des changements de cap (ce ne sont ni les escrocs, ni les moutons qui sont restés à bord du cargo qui le feront), il faut éviter qu'il y en ait trop qui se jettent par dessus bord.

Billancourt, c'est fini. C'est le reste qu'il aurait fallu éviter de désespérer, et vite.

Maintenant, j'ai parlé, continuerai-je de chanter sur le web du Titanic telle une cyber-Cassandre ?

A titre personnel, ce que j'en retiens, c'est que c'est à moi de me retenir .Il y a des gens  à qui je ne conseillerai plus d'évoluer à titre individuel. Je ne vais pas aggraver la crise générale par mes actions particulières. C'est triste, mais il me faut ronger mon frein. Les relations sociales, pour pourries qu'elles soient, restent un élément positif, et tant que l'individu est encore dans le " Et alors, c'est bien" autant le laisser tant qu'il est autonome, pour pouvoir s'occuper des autres plus malades
Le cerveau gonfle de toutes les infos qu'on lui fournit, mais si on lui en donne trop, le ballon explose dans la tête, et pour tenir le coup : drogue, alcool, dépression, suicide... On va y aller doucement.

Enfin, et là je reboucle encore avec autre chose : On me dira que j'aurais pu dire tout cela, et en mieux, avec un roman. Certes. Mais ce serait plus long et je trépignerais trop pendant ce temps là.

samedi 8 novembre 2014

Demos tombe à l'eau, Ego le remonte ?

Pour contrapuncter avec ce qui précède, prenons l'exemple d'une maison où vivent une petite dizaine (au moins) de personnes en vacances.

Dans la salle commune, on décide de mettre de la musique, mettons une radio musicale pour adolescents grand public. Sur les dix, neuf personnes sont satisfaites par ce choix. La dixième supplie les autres de n'en rien faire, leur assurant que cette musique est pour elle une véritable torture.
Les autres vont faire droit à cette requête par charité, disant que fussent-ils mille, ils ne sauraient admettre une mesure qui fait souffrir une seule personne.
On décide alors de mettre une douce musique de harpe, qui satisfait tout le monde, sauf la onzième personne (finalement ce sera une grande dizaine) qui entrant à ce moment dans la maison, dit que la harpe la stresse horriblement, car cela lui rappelle un traumatisme d'enfance.

Je vous passe la suite. Alors allez-vous me dire, toute société est impossible ? Je plaide pour une marge d'optimisation.

Etant donné que l'individu sait ce qu'il est (ego), du moins le sent, car cela peut varier au cours de la vie (vous pouvez supporter la musique sauf lorsque vous êtes souffrant, par exemple), et que l'individu n'a de demos qu'une vision floue, malgré le fait qu'on lui demande de s'en imposer les vues, il semble naturel que l'individu ait vis à vis de demos une certaine marge de tolérance.

Mais que demos vienne à exiger de ego un écart trop grand par rapport à ce qui est souhaité (besoin, désir ou morale), il y a rupture du contrat social. Enfin rupture, disons tension.

Ce que je propose est donc dès l'école primaire, de rechercher dans quelle zone un enfant se situe, cet enfant, au centre de quelle zone son ego semble positionné; Ainsi on aura plus de chances qu'il soit heureux, non dans un espace unique pensé pour tous comme si tous les enfants étaient semblables, ce qui est le cas actuellement pour toutes les options d'éducation, mais dans un espace adapté.

Il ne s'agit pas bien sûr de cherche comme on part aux champignons, mais de situer, à travers des observations faites au cours d'activités, le positionnement " spontané " de la personne. Et je ne dis pas d'activités orientées. Je pense qu'avec un peu d'écoute sur le cours quotidien des événements, on obtient suffisamment d'informations.

Bien entendu, on récoltera plus si on a une classe qui part en forêt ramasser des champignons que si l'on benne des zombies bardées de plus de protections qu'un débutant en full-contact, au bord d'un tapis en plastique mou pour être sûr qu'une norme mal appliquée ne vienne pas expédier l'instituteur en prison.

Une telle latitude existe déjà : chacun, dans la mesure de ses moyens, habite à la ville ou à la campagne selon qu'il aime le bruit ou pas. C'est cette latitude qu'on pourrait utilement agrandir, par exemple, en facilitant la possibilité offerte à l'individu de s'entourer  " à sa mesure".

Je veux dire par là que le seul secours pour vivre selon ses propres règles est d'acheter une maison entourée d'une grande surface protectrice, et qu'on pourrait peut-être orienter un peu les choses dès l'enfance pour faciliter à l'individu, même peu fortuné, la possibilité de trouver un environnement qui lui convient.

On me dira qu'on organise la ségrégation, et que pour satisfaire les besoins du groupe des calmes, il faudrait allouer à chacun une propriété d'une dizaine d'hectares. Bien. Mais on peut sans doute progresser entre la situation actuelle et cette thébaïde, non ?

On voit d'ailleurs que la question se pose dès l'école. Pourquoi obliger tout le monde à faire des maths pendant des heures, notamment aux danseuses, qui devront se débrouiller à s'épuiser after hours, et ne pas imposer à tout le monde dix heures de danse par semaine, quitte aux matheux à voir avec les associations le soir ?

On me dira que tout cela coûte très cher. Certes. Comment répondre alors à la question de savoir si la société est faite pour assurer le bonheur de chacun, sous peine de n'avoir pas à exister ? Et je passe sur la contradiction.

Il y a une planification d'ensemble qui est censée satisfaire ma majorité. Soit, et à ce propos, on me dira qu'il y a des gens qui se sentent très bien à vivre en société, et entouré d'autres. C'est un fait indiscutable, mais sa critique revient à boucler sur la notion d'individualité, l'ancre échappe ici vers l'article sur l'IS.

Si on se réfère aux études de la psychologie cognitives sur les tentations inférentielles, aux probabilités pour l'échantillonnage dans les questionnaires, et à l'hystérésis due à la complexité des prises de décision en matière de politique en démocratie, peut-on dire que les décisions politiques prises en 2014 par du personnel né au mieux dans les années 1960, personnel élevé dans les idées de leurs parents nés en 1930, soient vraiment en phase avec la majorité des individus ?

C'est décaler la question vers : " Quand bien même la démocratie se donnerait cela pour objectif, s'en est-elle donné les moyens à l'heure d'Internet et plus d'un siècle après les balbutiements de la psychanalyse ?"

C'est ici que je vais fusionner avec les allusions de cet article. Bien que John Moullard, cet immense plasticien du XXIème siècle, ait à maintes reprises pointé les conséquences nuisibles de la confusion entre l'espace du langage et celui de la réalité, il m'échoit d'en préciser certaines autres.

D'abord celle du Tertium non datur. En logique pure, peu importe, mais en démocratie, cela tire à conséquence. En effet, imaginons la conversation d'une personne A qui fait un reproche à une personne B, lui disant : " Ce que tu fais là est une bêtise ". " Ah oui, lui répond B, " c'est quelque chose d''idiot ? " - Oui
Parce que tu sais toi ce que sont les bonnes choses et les mauvaises, tu sais ce qu'est le bien et le mal ?

Et là, évidemment, A reste le bec cloué : il ne peut prétendre discerner le Bien du Mal. A titre individuel, cet exemple ressemble à de la psychologie de comptoir, et pourtant, le même mécanisme fonctionne à l'échelle collective.

Mais avant, examinons le point douloureux. Il est évidemment dans le Tertium non datur. En langage, on peut créer deux classes dont les membres s'excluent mutuellement par leurs propriétés : le jour, la nuit, le blanc, le noir, tout cela fonctionne admirablement, quand dans la réalité c'est l'inverse, tout se déroule dans des aubes et d'interminables crépuscules, où les notions claires fonctionnent comme des idées-limites pour la connaissance, mais où elles n'ont pas ce privilège exorbitant de fonctionner en certitudes et en termes de loi.

C'est pourtant cette transgression que nous avons osée, et le propos d'avocat " tout se plaide" en témoigne. B a récusé l'accusation de A au titre qu'elle était infondée, puisque son fondement était une distinction impossible entre le bien et le mal.

Or c'est ce que la République propose au citoyen à travers le contrat social, quand on a évidemment la chance de vivre en démocratie, en lui disant " une majorité d'individus a décidé qu'en vertu de [ce qui est bien et mal], consensus interne au langage, cf. les articles mentionnés (point 2), tu dois te conformer à ceci ou cela".
Sans parler du caractère catastrophique des mécanismes de représentation, qui frise l'escroquerie, aucun membre de cette clique n'oserait prétendre à titre individuel savoir discerner le bien du mal.
Que ce soit dans l'espace (les Pyrénées) ou dans le temps, la sagesse populaire sait depuis longtemps que la vérité d'hier sera moquée demain, et que ce qu'on tourne en ridicule aujourd'hui sera adoré demain.

Pourquoi  ? Parce qu'il n'y a ni bien ni mal autre que des conventions de langage, ou pour le dire mieux, il n'y a ni bien ni mal ailleurs que dans le territoire où règnent les conventions du langage, tout simplement parce que le bien et le mal n'existent pas, seuls existent les mots " bien " et " mal", lesquels n'existent que à l'intérieur du langage, et que, en vérité, dans l'espace de la réalité, le tiers est donné, offert en permanence, qu'il circule comme les plateaux de petits fours à un séminaire interministériel sur la précarité en milieu rural.

Je n'irai pas plus loin là-dedans. Je voulais juste signaler que le langage est un outil qui peut être utilisé dans le sens de l'oppression ou de la libération. Et que si on portait à ces questions une attention soutenue, si on se donnait les moyens de traiter chacun de nous avec douceur au lieu de se servir d'oppositions imaginaires pour se contraindre les uns les autres, on vivrait collectivement dans un monde plus confortable.

C'est à dire à faire coïncider bonheur individuel et intérêt général, en rapprochant les désirs de chacun et les règles communes, donc d'harmoniser le corps social, au lieu de le travailler par des ségrégations plus ou moins bien venues.

Mais ce sujet, ma pauvre ! Vivre mieux, personne n'y a intérêt, vous n'y songez pas. Vous aurez donc soin de continuer comme par le passé, à ne pas prêter attention à mes discours, et à aller voter pour l'un des deux candidats qu'on vous propose, puisque vous avez bien digéré que le tertium est non datur.

N'empêche, tant qu'il me restera un peu de force et quelque moyen, je pousserai. La ligne invisible de partage des eaux entre le transhumanisme évoqué ici et une prise en charge spirituelle hors de la technologie est sans doute une future ligne de fracture idéologique majeure.

Elle se dessine sous nos pieds et il est temps de provisionner de la réflexion dessus. Clarifier la façon dont le langage construit et entretient le rapport de l'individuel au collectif en est un préliminaire important pour passer de l'âge des idéologies à une nouvelle ère.


samedi 18 octobre 2014

Ego et demos sont dans un bateau

Il y a des périodes (dès que je bouge, en fait) au cours desquelles je suis persuadée de faire le bien, et pourtant me sens rabrouée de toute part.

Je me dis donc que mes objectifs sont décentrés par rapports aux objectifs communs. Cela me pousse à l'auto-critique, saine pratique en démocratie, mais usante pour le sujet qui se prend pour objet.

Cela me rappelle les " séances de lutte " évoquées dans le film Fengming, une femme chinoise, de Wang Bing, qui montre comment on épuisait des opposants qui se pensaient pourtant on ne peut plus dans la ligne de la révolution.

Cela me rappelle aussi une phrase lue récemment sur un forum : " Soit la société a pour but d'assurer le bonheur de chacun, soit elle n'a pas de raison d'exister".
J'ai eu envie de répondre de manière provocatrice : " Est-ce si sûr ?"

La structure de cette phrase est très curieuse, car elle pose un ultimatum à la société, dans son intégrité, sur la base de ses objectifs, elle accorde des raisons d'exister à ce qui existe déjà, donc le remet en question, sur la base de son contenu, alors qu'en démocratie, la société est par définition ce qu'on en fait, et non ce qu'elle devrait être.

En tant qu'individu isolé, suis-je donc nécessairement malheureuse en démocratie ? J'aimerais avoir assez de rigueur pour traiter le problème par les lois mathématiques des probabilités. En fonction du nombre d'individus concernés, quelle est la probabilité pour que le cercle dessiné par l'avis de la majorité passe à ma gauche, c'est à dire m'exclue, ou bien à ma droite et m'inclue ?

Si la décision de la loi m'est favorable, tant mieux, je n'ai rien à faire. Je vais tenter de maintenir la frontière là où elle est puisque faire ce que je j'ai envie coïncide avec faire ce qui m'est prescrit.

En revanche, si le mur passe à ma gauche*, la loi m'enjoint de faire quelque chose qui ne me paraît pas être le bien, et avec laquelle je ne suis pas d'accord.

Comment distinguer dans ce cas si ce que je souhaite faire parce que je le considère comme ce que je dois faire, différant de la loi censée représenter l'intérêt général, est motivé par mon intérêt personnel ou par une recherche sincère d'un " meilleur intérêt général".

Dans un cas comme dans l'autre, je vais chercher à pousser le mur de la loi plus loin mais dans un cas pour des motifs altruistes et dans l'autre pour servir mes intérêts personnels ou mes préférences.

La différence est de taille. Dans un cas, la loi doit réprimer, dans l'autre, en toute logique démocratique, elle doit encourager. Le débat semble simple : il existe tout un tas 'instances représentatives, de conseils de quartier, d'associations, de partis politiques, même, au sein desquels militer pour pousser les murs de ce qui est considéré comme légal, et qui sera prescrit donc, par la force.

Il y a même toute une gamme de partis, et l'éventail de cette gamme permet de choisir d'adhérer à un parti qui remet en question les choses à la marge (partis du centre) ou qui remet en question les choses en profondeur (extrêmes), ce qui revient à faire varier la profondeur qu'on accorde à la remise en question dans la " vision du monde " législative, dans les systèmes politiques à base de charte écrite.

S'écarter plus ou moins du centre, c'est aller vers des partis qui souhaitent que l'individu puisse remettre en cause profondément le système actuel, sans proposer nécessairement pour autant de le remplacer par des systèmes qui accordent à l'individu un (plus) grand pouvoir de remise en cause !

Cette dimension de la profondeur " possible " de la remise en cause du système par l'individu, et je dis possible, car il n'est pas tout en la matière de l'autoriser par des voeux pieux, encore faut-il mettre en place les conditions de son actualisation dans le réel des institutions, cette dimension, donc semble parfois passer un peu inaperçue dans le débat.

Qu'est-ce à dire ?

C'est à dire qu'on pourrait imaginer un système où la repentance, où l'autocritique provoquée par une dépression nerveuse conduirait l'individu à écrire des choses comme : "Mes frères, pardonnez mes erreurs alors que je n'ai que rigueur pour vos approximations, accordez-moi de la clémence alors que je ne vous tolère pas le moindre écart.... et en échange, donnez-moi mon pain quotidien".

Cette auto-flagellation aux accents christiques sonne, il me semble, familièrement à nos oreilles.

Pour s'en convaincre, imaginons une musique moins familière. Imaginons un système politique disons " inverse", où l'individu accède de droit dès le départ à une position d'intolérance sur l'écart démocratique qui lui est défavorable, lui ouvrant droit à un non-respect de la loi. Pour faire bref, imaginons un système politique dans lequel un individu aurait le droit de dire :" Ce que vient de me prescrire cette loi, ou ce juge, ne me convient pas, et ne me convenant pas, ne s'applique pas à moi. Je ne suis pas d'accord, donc je n'obéis pas ".

Là il faut faire une pause de quelques minutes pour laisser retomber les sifflets. C'est remettre en question la fessée vespérale au bambin récalcitrant, l'espoir de voir les automobilistes s'arrêter au feu rouge, et autres piliers de la civilisation.
Quiconque a été à Naples il y a quelques années aura pu constater que personne ne s'arrête au feu rouge, y compris les policiers, pris de toute façon dans le flot roulant de l'avenue.
On me dira que cet exemple n'apporte pas d'eau à mon moulin, puisque c'est juste un consensus inverse, une convention en négative, mais que le principe de l'adhésion généralisée demeure.

Histoire d'aérer un peu le discours, observons ce placard type new-age décontracté du salarié qui se défoule de son obédience quotidienne sur Facebook :


Je précise que je n'ai pas été voir la source, mais que je n'ai pas flouté par respect de l'origine. Prenons les injonctions une par une. La première prône la désinsertion professionnelle, comme la 4 une désinsertion sociale, elle récuse l'auto-correction par le jugement d'autrui. Ce que je suis vaut par le fait que je le suis.. La 2 et la 3 sont clairement individualistes et hédonistes. La 5 autorise l'alternative et la révolution. La 6 invite à se libérer en se forgeant son propre jugement, la 7 à un recentrage sur ses propres fictions, la 8 et la 9 à récuser ceux qui pourraient ne pas adhérer avec optimisme et enthousiasme à nos théories individualistes, et la 10 à un auto-centrage, voire un auto-ancrage en ce qui concerne les " valeurs".

C'est un manuel d'individualisme, à l'usage de ceux qui sont insatisfaits de la place que leur accorde la société. Ce sentiment a été de tout temps largement partagé, trouver à se plaindre de la condition que le sort vous a fait sans doute le plus largement, et la " société " est évidemment un bouc émissaire idéal en la matière, avec de nos jours une petite teinte marxiste chez ceux qui ont consenti à reconnaître qu'il y a toujours des classes dans la société, malgré la disparition des châteaux-forts en moellons.

Pouvoir se reconnaître des compagnons de souffrance est une base de la révolution, et à cet égard, Internet fonctionne admirablement bien. Quelle que soit sa cause, on trouvera toujours à s'entourer de zélotes, et statistiquement, sur les centaines de millions d'internautes, il s'en trouvera toujours quelques millions pour vous conforter dans vos opinions.

On pourrait montrer sur quelles imperfections réelles se basent ces mécontentements en reprenant une par une les revendications, mais peu importe.
En quelques années, nos sociétés webifiées, ont oublié les esclavages anciens ou récents, et feignent de s'indigner des contemporains en cliquant ici ou là sur une pétition.

Pour résumer, on peut dire que l'individu est nécessairement déçu par la démocratie, car il l'est par tout système politique, et par sa condition humaine de manière plus générale. Si notre soif de consolation est impossible à rassasier, c'est aussi que le bonheur que nous sommes capables d'imaginer est infini, je crois que Freud et Lacan ont travaillé là-dessus.

Mais plus on parcourt de chemin vers l'horizon, plus la frustration grandit de ne jamais l'atteindre. Devant cet espoir trahi, le ressentiment s'installe, ou bien la lassitude et le désespoir.

Plus nous aurons essayé de solutions, de systèmes politiques, censés garantir l'impossible bonheur à chaque individu, plus il faudra former et expliquer les carences encore ressenties, et le progrès que constitue ce " pis aller", enseigner que le but de la société n'est pas de faire le bonheur de chacun, mais dépend du type de société.
Le but d'une société totalitaire est d'assurer l'exploitation maximales des ressources et des hommes au profit d'un clan restreint, et celui de la démocratie d'étaler au maximum les conséquences négatives de l'avidité individuelle qui se manifeste chez tout être au pouvoir.

Il faut à cet égard écouter cette belle émission de France Culture.  On y explique bien comment on ne soigne pas correctement une personne sans prendre en compte son environnement culturel.

"Que cherchez-vous à nous dire par là, chère âme ? " vont s'exclamer les plus impatients d'entre vous.

Je vais vous répondre, et je vous prie de me pardonner d'exiger de vous de plus en plus de patience et de mobiliser une part de plus en plus importante de vos ressources. J'ai bien conscience que je ramasse des sujets de plus en plus vastes sous l'ombrelle de ce vaste projet qu'est la Patxaran, et que cela appelle à une gymnastique mentale épuisante.
J'ai bien conscience que malgré la longueur de mes billets, je survole, je résume, et que j'attends de vous d'énormes efforts de disponibilité d'esprit et de mobilité de pensée pour faire les liens entre tout cela.

Ce que je cherche à dire par là est que nous ne pouvons plus aujourd'hui penser des systèmes politiques qui ont pour présupposé un cadre ontologique qui a conceptuellement volé en éclats, sinon nous allons vers des sociétés qui ressembleront de plus en plus à de l'action humanitaire.

Que pour mettre en place un cadre ontologique propice au développement des humains aujourd'hui et demain, car le besoin se fera chaque jour plus pressant, nous allons devoir développer de nouveaux outils conceptuels. Que vraisemblablement des catégories jusqu'ici refoulées, comme les affects ou la créativité, devront être prises en compte.

Que ceci créera des dissensions avec les sociétés de type ancien, à modèle patriarcal théïste, qui était plus ou moins le modèle commun à toutes les sociétés sur Terre. Ces déchirures ne se feront plus selon des axes optionnels (Dieu bleu, rouge ou vert), comme c'était le cas jusqu'à présent, ce qui se résolvait dans la bonne humeur (croisades, guerres, conquêtes coloniales...), mais suivant des axes fondamentaux : rapport de l'humain à la machine, à la matière, peut-on fabriquer de l'humain et dans quelles conditions, etc. Les débats qui agitent aujourd'hui certaines sociétés sont dans des zones qui ne sont pas dans le champ des options pour d'autres sociétés.

A l'heure d'Internet, ne pas chercher à pacifier ces dissensions, ou du moins espérer qu'elles vont se dissoudre dans un consumérisme devenant la religion universelle est une voie qui a déjà échoué.

Le niveau des exigences que l'individu adresse à la société, au fur et à mesure que la démocratie se raffine, augmente, non pas dans les domaines du matériel, mais de la psyché. Non pas du centre commercial, mais de l'épanouissement individuel.

La frustration refoulée en termes de raffinement de civilisation trouverait ses symptômes bruyants dans une crise, qui aurait pour toile de fonds l'affolante fuite de la croissance censée apporter l'augmentation du pouvoir d'achat correspondante, avec ses remèdes traditionnels (croisades, guerres, conquêtes coloniales...)
.
Erreur, funeste erreur. C'est la douleur de l'être au monde, c'est la douceur du " care " qu'il faut pour la soulager, qui ne font qu'augmenter. Et de ce point de vue là, du point de vue du niveau de civilisation, et des valeurs non matérielles (hospitalité, dignité humaine...) il n'y a plus que dans les mouvements humanitaires que le niveau n'en est pas en chute vertigineuse, mais la croissance bien solide. D'où que les populations se jettent dans leurs bras.

D'où que, n'importe où sur la planète, qu'il s'agisse de solutions de débrouillardise type potager ou recyclerie pour nécessiteux des camps de réfugiés d'Emmaüs, d'un conflit d'usine en France ou d'une révolution en Afrique, l'opposition est désormais entre les passéistes qui soutiennent un système dont plus personne ne veut hormis les quelques corrompus qui en tirent un profit égoïste, et les progressistes, qui appellent de leur vœux chaque jour plus pressants les changements d'un système à bout de souffle, qui a chaque jour un peu moins les moyens de se réformer.

La crise du désespoir est devenue planétaire, et l'effondrement est désormais je pense entré dans une boucle d'auto-renforcement. Plus personne ne voudra se voir associé à une entreprise de soutien du cadavre pourrissant, mais personne ne sait vers qui se tourner pour l'alternative. Les chemins du repli sont tentants, mais ne fonctionneront pas non plus bien longtemps.

Tiens d'ailleurs, l'actu me la sert toute chaude sur un plateau de télé. De la même manière que notre incurie à préserver l'environnement nous retombera peut-être sur la tête dans des proportions imprévues, ainsi notre procrastination à bailler des fonds à l'esprit, au lieu de les dédier à l'industrie agro-alimentaire type ancien régime pourrait-elle nous précipiter en des lieux inconfortables...

Cela me rappelle toujours cet extrait du journal de Baudelaire, où l'homme reproche à Dieu " Mais pourquoi m'as-tu fait si faible que je ne puisse sortir de ce gouffre ?" Et Dieu répond " Parce que je t'ai fait assez fort pour n'y point tomber."

Vous me direz que tout ceci ne fournit guère de remède. On y viendra. Je signale aussi que dans l'article suivant (à paraître mais il fut que je mette le lien maintenant) je signale comment la perte d'unité à titre individuel entraîne des catastrophes collectives. Si chaque goutte d'eau sèche à titre individuel, qu'on ne me dise pas que l'Océan ne s'en ressentira pas.

On me dit aussi que je ferais mieux de m'occuper de mon pré carré que de fuir dans les problèmes du monde. Pour moi, ceux qui me disent cela sont comme une personne qui serait dans une maison en flammes, dans une petit pièce épargnée au centre de la maison.
Toute fière de s'occuper des problèmes de proximité, des problèmes locaux, elle est toute fière de faire un gâteau au chocolat pour sa progéniture et accuse ceux qui ne participent pas de fuite des problèmes concrets.
Lorsque la fumée deviendra bien épaisse, et commencera à passer en lourdes volutes jaunes sous les portes, il sera trop tard. Mais on aura eu la satisfaction d'invectiver les inutiles.
Si demain je passe ma journée à  dépenser du pétrole pour faire la baby-sitter, je commets aussi l'erreur de laisser penser aux autres que le système qu'ils ont mis en place est acceptable, et les entretiens dans l'illusion qu'il va perdurer.
Si j'ai le courage de refuser, je les pousse à évoluer pour des énergies renouvelables et à imaginer d'autres solutions pour offrir à leurs enfants une alternative à dépenser du pétrole pour aller travailler à gagner de quoi acheter le pétrole pour accompagner les enfants chez la baby-sitter.
Cautionner chaque jour des solutions temporaires est aussi un crime. Le court-termisme est aussi une fuite, dans le le présent nauséabond d'une boucle temporelle qui sentira chaque jour plus le moisi.
Je n'ai pas non plus les clés de l'avenir, et c'est peut-être de continuer à penser faire des gâteaux au chocolat en local qui est la bonne solution.

Qui vivra verra...


* je me permets de rappeler que le fait qu'un cercle passe à droite ou à gauche d'une définition est une proposition de consensus qui a néanmoins un caractère social