Je me dis donc que mes objectifs sont décentrés par rapports aux objectifs communs. Cela me pousse à l'auto-critique, saine pratique en démocratie, mais usante pour le sujet qui se prend pour objet.
Cela me rappelle les " séances de lutte " évoquées dans le film Fengming, une femme chinoise, de Wang Bing, qui montre comment on épuisait des opposants qui se pensaient pourtant on ne peut plus dans la ligne de la révolution.
Cela me rappelle aussi une phrase lue récemment sur un forum : " Soit la société a pour but d'assurer le bonheur de chacun, soit elle n'a pas de raison d'exister".
J'ai eu envie de répondre de manière provocatrice : " Est-ce si sûr ?"
La structure de cette phrase est très curieuse, car elle pose un ultimatum à la société, dans son intégrité, sur la base de ses objectifs, elle accorde des raisons d'exister à ce qui existe déjà, donc le remet en question, sur la base de son contenu, alors qu'en démocratie, la société est par définition ce qu'on en fait, et non ce qu'elle devrait être.
En tant qu'individu isolé, suis-je donc nécessairement malheureuse en démocratie ? J'aimerais avoir assez de rigueur pour traiter le problème par les lois mathématiques des probabilités. En fonction du nombre d'individus concernés, quelle est la probabilité pour que le cercle dessiné par l'avis de la majorité passe à ma gauche, c'est à dire m'exclue, ou bien à ma droite et m'inclue ?
Si la décision de la loi m'est favorable, tant mieux, je n'ai rien à faire. Je vais tenter de maintenir la frontière là où elle est puisque faire ce que je j'ai envie coïncide avec faire ce qui m'est prescrit.
En revanche, si le mur passe à ma gauche*, la loi m'enjoint de faire quelque chose qui ne me paraît pas être le bien, et avec laquelle je ne suis pas d'accord.
Comment distinguer dans ce cas si ce que je souhaite faire parce que je le considère comme ce que je dois faire, différant de la loi censée représenter l'intérêt général, est motivé par mon intérêt personnel ou par une recherche sincère d'un " meilleur intérêt général".
Dans un cas comme dans l'autre, je vais chercher à pousser le mur de la loi plus loin mais dans un cas pour des motifs altruistes et dans l'autre pour servir mes intérêts personnels ou mes préférences.
La différence est de taille. Dans un cas, la loi doit réprimer, dans l'autre, en toute logique démocratique, elle doit encourager. Le débat semble simple : il existe tout un tas 'instances représentatives, de conseils de quartier, d'associations, de partis politiques, même, au sein desquels militer pour pousser les murs de ce qui est considéré comme légal, et qui sera prescrit donc, par la force.
Il y a même toute une gamme de partis, et l'éventail de cette gamme permet de choisir d'adhérer à un parti qui remet en question les choses à la marge (partis du centre) ou qui remet en question les choses en profondeur (extrêmes), ce qui revient à faire varier la profondeur qu'on accorde à la remise en question dans la " vision du monde " législative, dans les systèmes politiques à base de charte écrite.
S'écarter plus ou moins du centre, c'est aller vers des partis qui souhaitent que l'individu puisse remettre en cause profondément le système actuel, sans proposer nécessairement pour autant de le remplacer par des systèmes qui accordent à l'individu un (plus) grand pouvoir de remise en cause !
Cette dimension de la profondeur " possible " de la remise en cause du système par l'individu, et je dis possible, car il n'est pas tout en la matière de l'autoriser par des voeux pieux, encore faut-il mettre en place les conditions de son actualisation dans le réel des institutions, cette dimension, donc semble parfois passer un peu inaperçue dans le débat.
Qu'est-ce à dire ?
C'est à dire qu'on pourrait imaginer un système où la repentance, où l'autocritique provoquée par une dépression nerveuse conduirait l'individu à écrire des choses comme : "Mes frères, pardonnez mes erreurs alors que je n'ai que rigueur pour vos approximations, accordez-moi de la clémence alors que je ne vous tolère pas le moindre écart.... et en échange, donnez-moi mon pain quotidien".
Cette auto-flagellation aux accents christiques sonne, il me semble, familièrement à nos oreilles.
Pour s'en convaincre, imaginons une musique moins familière. Imaginons un système politique disons " inverse", où l'individu accède de droit dès le départ à une position d'intolérance sur l'écart démocratique qui lui est défavorable, lui ouvrant droit à un non-respect de la loi. Pour faire bref, imaginons un système politique dans lequel un individu aurait le droit de dire :" Ce que vient de me prescrire cette loi, ou ce juge, ne me convient pas, et ne me convenant pas, ne s'applique pas à moi. Je ne suis pas d'accord, donc je n'obéis pas ".
Là il faut faire une pause de quelques minutes pour laisser retomber les sifflets. C'est remettre en question la fessée vespérale au bambin récalcitrant, l'espoir de voir les automobilistes s'arrêter au feu rouge, et autres piliers de la civilisation.
Quiconque a été à Naples il y a quelques années aura pu constater que personne ne s'arrête au feu rouge, y compris les policiers, pris de toute façon dans le flot roulant de l'avenue.
On me dira que cet exemple n'apporte pas d'eau à mon moulin, puisque c'est juste un consensus inverse, une convention en négative, mais que le principe de l'adhésion généralisée demeure.
Histoire d'aérer un peu le discours, observons ce placard type new-age décontracté du salarié qui se défoule de son obédience quotidienne sur Facebook :
C'est un manuel d'individualisme, à l'usage de ceux qui sont insatisfaits de la place que leur accorde la société. Ce sentiment a été de tout temps largement partagé, trouver à se plaindre de la condition que le sort vous a fait sans doute le plus largement, et la " société " est évidemment un bouc émissaire idéal en la matière, avec de nos jours une petite teinte marxiste chez ceux qui ont consenti à reconnaître qu'il y a toujours des classes dans la société, malgré la disparition des châteaux-forts en moellons.
Pouvoir se reconnaître des compagnons de souffrance est une base de la révolution, et à cet égard, Internet fonctionne admirablement bien. Quelle que soit sa cause, on trouvera toujours à s'entourer de zélotes, et statistiquement, sur les centaines de millions d'internautes, il s'en trouvera toujours quelques millions pour vous conforter dans vos opinions.
On pourrait montrer sur quelles imperfections réelles se basent ces mécontentements en reprenant une par une les revendications, mais peu importe.
En quelques années, nos sociétés webifiées, ont oublié les esclavages anciens ou récents, et feignent de s'indigner des contemporains en cliquant ici ou là sur une pétition.
Pour résumer, on peut dire que l'individu est nécessairement déçu par la démocratie, car il l'est par tout système politique, et par sa condition humaine de manière plus générale. Si notre soif de consolation est impossible à rassasier, c'est aussi que le bonheur que nous sommes capables d'imaginer est infini, je crois que Freud et Lacan ont travaillé là-dessus.
Mais plus on parcourt de chemin vers l'horizon, plus la frustration grandit de ne jamais l'atteindre. Devant cet espoir trahi, le ressentiment s'installe, ou bien la lassitude et le désespoir.
Plus nous aurons essayé de solutions, de systèmes politiques, censés garantir l'impossible bonheur à chaque individu, plus il faudra former et expliquer les carences encore ressenties, et le progrès que constitue ce " pis aller", enseigner que le but de la société n'est pas de faire le bonheur de chacun, mais dépend du type de société.
Le but d'une société totalitaire est d'assurer l'exploitation maximales des ressources et des hommes au profit d'un clan restreint, et celui de la démocratie d'étaler au maximum les conséquences négatives de l'avidité individuelle qui se manifeste chez tout être au pouvoir.
Il faut à cet égard écouter cette belle émission de France Culture. On y explique bien comment on ne soigne pas correctement une personne sans prendre en compte son environnement culturel.
"Que cherchez-vous à nous dire par là, chère âme ? " vont s'exclamer les plus impatients d'entre vous.
Je vais vous répondre, et je vous prie de me pardonner d'exiger de vous de plus en plus de patience et de mobiliser une part de plus en plus importante de vos ressources. J'ai bien conscience que je ramasse des sujets de plus en plus vastes sous l'ombrelle de ce vaste projet qu'est la Patxaran, et que cela appelle à une gymnastique mentale épuisante.
J'ai bien conscience que malgré la longueur de mes billets, je survole, je résume, et que j'attends de vous d'énormes efforts de disponibilité d'esprit et de mobilité de pensée pour faire les liens entre tout cela.
Ce que je cherche à dire par là est que nous ne pouvons plus aujourd'hui penser des systèmes politiques qui ont pour présupposé un cadre ontologique qui a conceptuellement volé en éclats, sinon nous allons vers des sociétés qui ressembleront de plus en plus à de l'action humanitaire.
Que pour mettre en place un cadre ontologique propice au développement des humains aujourd'hui et demain, car le besoin se fera chaque jour plus pressant, nous allons devoir développer de nouveaux outils conceptuels. Que vraisemblablement des catégories jusqu'ici refoulées, comme les affects ou la créativité, devront être prises en compte.
Que ceci créera des dissensions avec les sociétés de type ancien, à modèle patriarcal théïste, qui était plus ou moins le modèle commun à toutes les sociétés sur Terre. Ces déchirures ne se feront plus selon des axes optionnels (Dieu bleu, rouge ou vert), comme c'était le cas jusqu'à présent, ce qui se résolvait dans la bonne humeur (croisades, guerres, conquêtes coloniales...), mais suivant des axes fondamentaux : rapport de l'humain à la machine, à la matière, peut-on fabriquer de l'humain et dans quelles conditions, etc. Les débats qui agitent aujourd'hui certaines sociétés sont dans des zones qui ne sont pas dans le champ des options pour d'autres sociétés.
A l'heure d'Internet, ne pas chercher à pacifier ces dissensions, ou du moins espérer qu'elles vont se dissoudre dans un consumérisme devenant la religion universelle est une voie qui a déjà échoué.
Le niveau des exigences que l'individu adresse à la société, au fur et à mesure que la démocratie se raffine, augmente, non pas dans les domaines du matériel, mais de la psyché. Non pas du centre commercial, mais de l'épanouissement individuel.
La frustration refoulée en termes de raffinement de civilisation trouverait ses symptômes bruyants dans une crise, qui aurait pour toile de fonds l'affolante fuite de la croissance censée apporter l'augmentation du pouvoir d'achat correspondante, avec ses remèdes traditionnels (croisades, guerres, conquêtes coloniales...)
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Erreur, funeste erreur. C'est la douleur de l'être au monde, c'est la douceur du " care " qu'il faut pour la soulager, qui ne font qu'augmenter. Et de ce point de vue là, du point de vue du niveau de civilisation, et des valeurs non matérielles (hospitalité, dignité humaine...) il n'y a plus que dans les mouvements humanitaires que le niveau n'en est pas en chute vertigineuse, mais la croissance bien solide. D'où que les populations se jettent dans leurs bras.
D'où que, n'importe où sur la planète, qu'il s'agisse de solutions de débrouillardise type potager ou recyclerie pour nécessiteux des camps de réfugiés d'Emmaüs, d'un conflit d'usine en France ou d'une révolution en Afrique, l'opposition est désormais entre les passéistes qui soutiennent un système dont plus personne ne veut hormis les quelques corrompus qui en tirent un profit égoïste, et les progressistes, qui appellent de leur vœux chaque jour plus pressants les changements d'un système à bout de souffle, qui a chaque jour un peu moins les moyens de se réformer.
La crise du désespoir est devenue planétaire, et l'effondrement est désormais je pense entré dans une boucle d'auto-renforcement. Plus personne ne voudra se voir associé à une entreprise de soutien du cadavre pourrissant, mais personne ne sait vers qui se tourner pour l'alternative. Les chemins du repli sont tentants, mais ne fonctionneront pas non plus bien longtemps.
Tiens d'ailleurs, l'actu me la sert toute chaude sur un plateau de télé. De la même manière que notre incurie à préserver l'environnement nous retombera peut-être sur la tête dans des proportions imprévues, ainsi notre procrastination à bailler des fonds à l'esprit, au lieu de les dédier à l'industrie agro-alimentaire type ancien régime pourrait-elle nous précipiter en des lieux inconfortables...
Cela me rappelle toujours cet extrait du journal de Baudelaire, où l'homme reproche à Dieu " Mais pourquoi m'as-tu fait si faible que je ne puisse sortir de ce gouffre ?" Et Dieu répond " Parce que je t'ai fait assez fort pour n'y point tomber."
Vous me direz que tout ceci ne fournit guère de remède. On y viendra. Je signale aussi que dans l'article suivant (à paraître mais il fut que je mette le lien maintenant) je signale comment la perte d'unité à titre individuel entraîne des catastrophes collectives. Si chaque goutte d'eau sèche à titre individuel, qu'on ne me dise pas que l'Océan ne s'en ressentira pas.
On me dit aussi que je ferais mieux de m'occuper de mon pré carré que de fuir dans les problèmes du monde. Pour moi, ceux qui me disent cela sont comme une personne qui serait dans une maison en flammes, dans une petit pièce épargnée au centre de la maison.
Toute fière de s'occuper des problèmes de proximité, des problèmes locaux, elle est toute fière de faire un gâteau au chocolat pour sa progéniture et accuse ceux qui ne participent pas de fuite des problèmes concrets.
Lorsque la fumée deviendra bien épaisse, et commencera à passer en lourdes volutes jaunes sous les portes, il sera trop tard. Mais on aura eu la satisfaction d'invectiver les inutiles.
Si demain je passe ma journée à dépenser du pétrole pour faire la baby-sitter, je commets aussi l'erreur de laisser penser aux autres que le système qu'ils ont mis en place est acceptable, et les entretiens dans l'illusion qu'il va perdurer.
Si j'ai le courage de refuser, je les pousse à évoluer pour des énergies renouvelables et à imaginer d'autres solutions pour offrir à leurs enfants une alternative à dépenser du pétrole pour aller travailler à gagner de quoi acheter le pétrole pour accompagner les enfants chez la baby-sitter.
Cautionner chaque jour des solutions temporaires est aussi un crime. Le court-termisme est aussi une fuite, dans le le présent nauséabond d'une boucle temporelle qui sentira chaque jour plus le moisi.
Je n'ai pas non plus les clés de l'avenir, et c'est peut-être de continuer à penser faire des gâteaux au chocolat en local qui est la bonne solution.
Qui vivra verra...
* je me permets de rappeler que le fait qu'un cercle passe à droite ou à gauche d'une définition est une proposition de consensus qui a néanmoins un caractère social
Tout ça est magnifique d'nquiétude, je vous lis bien ami, mais encore faut-il parvenir à vous répondre.
RépondreSupprimerJe fais mieux cette nuit puisque je constate que mon précédent commentaire est là. De plus, je vous lis bien et la vie-même me met de plus en plus en accord avec vous. Oui, c'est sans faille, et je retire le précédent mot "inquiétude". De plus en plus en accord avec vous sur tout cela.
RépondreSupprimerDésolée, je mets du temps à valider les commentaires en ce moment :/
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