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samedi 1 août 2015

Signs of times

Je vais râler une dernière fois. et puis on va passer à autre chose. Ce n'est pas très intéressant en soi, mais je pose quelques éléments auxquels je ferai appel par la suite en tant que référence.
  • J'ai vu ma première casquette YMCMB sur une table d'élève dans une école primaire en France. Idéologie bling-bling du sexe macho, du fric par la drogue et de la bagnole pour décérébrés, tout pour plaire. Et des gamins d'école primaire du fond de ma campagne demandent à leurs parents de financer cela. Bravo les dealers.
  • Je me suis entendu proposer ma première consultation de médecine " pour riches", un rendez-vous soit début 2016, soit novembre 2015, mais avec dépassement d'honoraires. Fini le temps du médecin de famille qui rappliquait au pied de mon lit pour mes rhumes de petite fille... Bien bien bien...
  • Je trouve que la blonde sur la gauche, , elle ressemble un peu à Jane Asher dans Deep End. Et c'est marrant, je trouve qu'elles ont aussi quelque chose de Bulle Ogier.
Plusieurs figures concourent en ce moment à un même mouvement, dans lequel sont entraînés les objets créés.

Dit autrement, les productions para-artistiques subissent des mouvements de diverses origines et de diverses directions, mais qui les entraîne dans une spirale dont le tourbillon a globalement la direction d'effondrement des trous noirs.

Voici quelques uns de ces mouvements :
  • L'envahissante progression du titre-jeu-de-mots comme ressource pour les titres. Qu'il s'agisse d'une manifestation, d'une oeuvre, il faut que le titre fasse jeu de mots, clin d'oeil, ludique, complice, décoincé, pas prise de tête.
Exemples en vrac :
- La route du rock (la route du rhum ?)
- Exposition Ori-Peaux à la galerie l'Antre-temps.
- Un emploi nommé désir (un tramway nommé désir ?)
- Carré d'art (carré d'as ?)
- "Un parcours au long cours"
- La fanfarfelue,


1980


alzheimart

35 ans que vous radotez les mêmes bulles de singes, les gars.

On peut d'ailleurs se poser la question, le nombre de lettres étant fini, s'il arrivera un jour où on ne pourra plus nommer une exposition d'un mot qui n'ait déjà été utilisé. D'où peut-être le recours croissant à des solutions comme " fanfarfelue".

  • Le reyclage comme pratique "artistique", autre manière de camoufler son impuissance et son manque de moyens, entre également dans une seconde phase, celle d'une mise en abîme plus ou moins consciente. Comme les recettes que s'échangeaient les prisonniers dans les camps, substituts à l'indigence et au manque de nourriture réelle.



    Les marques des produits sur les boîtes d'emballage sont déjà des pillages : comme " Ben-Hur", film pillant les ressources des légendes antiques, elles chipent l'aura de tel ou tel personnage de légende. Sans forcément le savoir, l'artiste qui recycle, ou " upcycle" régénère ce détournement.

    A côté des manifestations artistiques, la communication dans le secteur culturel a de quoi se régaler.

    Ici par exemple, le motif des étoiles est donné par le nom de l'Abbaye " La Trinité", elle même nommée d'après la Sainte Trinité.


    Scan et détourage sont les mamelles de l'infographie.


    Ad nauseam,



    La profondeur artificielle créée par le procédé de citation emboîtée, plus ou moins masquée, révélée, avouée, assumée, a pour but de masquer le vide de l'inspiration. Ces mouvement ont tous un même but, et tous un même moyen, la notion plus générale de " pillage ".

    L'art d'un temps s'est toujours nourri de celui des prédécesseurs, et l'imitation est la racine de l'épanouissement pour les formes nouvelles. Mais recomposer n'est pas renouveler. Disposer autrement, découper et coller est en même temps qu'une recomposition, un brouillage kaléidoscopique. Il faut trouver une nouvelle cohérence.

    L'effet donne une sensation de " jamais vu", mais le jamais vu n'est pas le nouveau. L'innovation n'est pas la paraphrase, la citation et le jeu de mots ne sont pas deviennent pas automatiquement création tant qu'ils restent réarrangement sans jaillissement. On a déjà beaucoup espéré du hasard en la matière.

    Dans les deux cas, la référence est réintégrée dans le champ de l'art, la première fois en tant qu'objet d'art, la seconde en tant que produit dérivé, que le musée achète parce qu'il fait référence à sa propre histoire, et se reflète dans le miroir de son histoire réactualisée, comme dans les fragments d'un miroir. Comble du narcissisme, il achète les travaux de l'illustrateur qui lui permettent de s'aimer dans une image " modernisée " de lui-même, mais qui ne peut se résoudre à ne pas accompagner sa vocation, ie. montrer les vieilleries de sa propre histoire.

    Maintenant selon ma bonne habitude, je vais critiquer ma propre pensée.

    Dire quelque chose de nouveau, c'est plus que le dire d'une façon nouvelle. Ce postulat se discute. Quelle serait donc cette chose au delà de la nouvelle forme, que le propos devrait découvrir, démasquer comme un oublié des tentatives précédentes ?

    Archives du pillage

    “I love being part of a global movement that supports small businesses.” –Yana G, founder of Supamoimoi, an Etsy shop in Montreal, Canada that sells women's and children's clothing inspired by vintage Russian fairy tales.

    Right. How do you support Russian Fairy tales writers today ? Tu te fais du fric sur le dos de leurs ancêtres, mais comment soutiens-tu la création russe contemporaine ? En rien. Tu prends le pognon et tu te barres. Après moi le déluge.
    On s'est toujours inspiré de canevas narratifs, et on s'est toujours reposé sur le patrimoine culturel. Le problème, c'est que cela fonctionne désormais à sens unique. On pille sans trop rien comprendre, mais hors de question de se " prendre la tête" à travailler pour enrichir le patrimoine, en comprenant de quoi il est fait. Je prends le pognon et je m'achète une voiture avec.
    Autre truc dans la même veine :

    For the non-runners, a 5K is a five kilometer race (approximately 3.1 miles) and is a popular format that generally takes 20-30 minutes to complete. C25K prepares the non-running "couch potato" for a 5K in about nine weeks.
    Fitness and running aspects aside, C25K is a model of a transformational initiative that's been successful around the world, and provides an instructive example of how to design your own transformational initiatives.

    What's in a name?

    The mere name of the program, Couch to 5K, is profound in that it articulates the starting point and objective of the program clearly and obviously, unlike most transformational initiatives. If a typical consultant or middle manager had been tasked with naming the program, we'd probably end up with meaningless words and numbers like "FAST FEET 2020" or "Project ABE: ACHIEVE! BELIEVE! EXCEED!"
    While it may be fun to pretend to be a government operative or consumer product developer and create cute codenames, initiatives that don't convey any meaning are not helpful. How do you expect interested parties to remember that "Project Redwine" is your ERP modernization, and "APOLLO X" is an updated mobile app? Like Couch to 5K, your program should strive to have a name that clearly articulates what it's about and what it's meant to accomplish.

    C25K est aussi un " meaningless word", basé sur une confusion maintenant établie entre "two" et " to". Il faut expliquer " 5K" aux "non runners". Quant à l'abréviation de " Couch" en " C"...  La foi bouge les montagnes, même dans leur canapé.

    On passe d'une connivence de l'association à une connivence de l'acronyme.

    Les mouvements, pillage et excès de directivité se rejoignent en un territoire superposant les deux versions d'un " efficace". Etre compris  pour vendre sans tierce référence, d'une part, et empiler d'incompréhensibles références culturelles pour " faire comme si" on vendait de la culture, d'autre part.
    L'un décomplexé, l'autre pas encore. Vendre. Avant tout : vendre. Vendre aux déstructurés, aux consciences molles, déculturées, sans plus aucun squelette culturel, et qu'il faut convaincre de croire en un programme de gymnastique, dans le goût d'un poulet, de visiter tel musée ou tel expo. Non pas guidé par son propre itinéraire culturel mais " convaincu " par le marketing, " teasé " par le jeu de mot. Peu importe le contenu, il faut que l'affiche vende, que le nom attire. On verra après. D'abord vendre, vendre, vendre.

    • Pour finir, je ne regrette pas de m'être abonnée au flyer publicitaire de Saatchi Art, cela permet de lire des choses comme " Meet the Portland Artist Turning Everyday Life into Poetry "
    Quid de ceux dont la vie quotidienne EST une poésie ? C'est l'artiste pour bourgeois dont la vie quotidienne est un plan-plan où on s'emmerde à cent sous de l'heure, et qui va mettre juste un peu de couleur pour que ça devienne une féérie, comme les DVD de Disney. 
    Et le pire c'est que c'est vrai. L'artiste proprette, avec ses gants de vaisselle pour ne pas salir son mobilier, qui " try to give visible form to the emotional aspects of experience ".
    Je vous relaierai l'info s'il y a d'autres choses à pleurer comme celle-ci. De rien.

    mardi 9 juin 2015

    Joli mai de moi

    Choses glanées au hasard de mes balades sur le net au mois de mai.  J'hésitais un peu à vous faire tenir cela, mais les grommellements de l'ami Kwarkito me poussent à assumer les miens, et je vais faire ma vieille ronchon sans complexe.

    Andreas Amador

    Contenu millénaire, pillage.


    Un travail incroyable, énormissime, gigantesque, surdimensionné, viagresque,
    performancafantasmatticogorique. Dans la famille " Sandcastle building contest", je voudrais le dessineux, sivouplai.

    Des miroirs polis de 4 mètres de diamètres ! On les réutilisera pour des satellites. Faudra me l'envoyer nettoyer les portes, aussi.

    Tiens d'ailleurs, je voulais la mettre depuis longtemps, celle-là, je la kiffe tellement, cette meuf.


    Bien, reprenons


    Énorme, massif, surdimensionné, inutile. Saleté plastique qui continuera de polluer pendant des siècles.

    Quand je vois ce genre de galerie, je me sens rassurée, j'avais peur que le marché de l'art n'ait mis la main sur quelque nouvelle façon. Mais non, rien. Enfin, surtout de la peinture d'après photo, c'est vraiment le courant de fonds. Le travail effectué par la machine ne me fait pas peur, comme disent les informaticiens.

    Naum Gabe, Chicago.
     Énorme, performance, travail incroyable. Sculpture monumentale dont le propos se résume à " construction dans l'espace". Travail d'ingénieur mécanicien du XX ème siècle par lequel l'art devait passer. Mais bon, je comprends. C'est plus pénible au XXIème avec les mecs sponsorisés par les aciéries.

    Genre de phrase qui me rappelle cet article de l'infrangible Guillemette.

    Poppy Power
     Son commentaire : " Mon inspiration fut l'anatomie". Sans blague.

    Sandrine Bonamy
    Toujours dans l'exploit, le choc visuel... Dialogue avec l'espace, le décor, bla bla... Mais je comprends aussi.
    C'est comme si l'art n'en finissait pas de repasser par les mêmes figures, avec des aspects nouveaux. Les infinies variantes de la même intention, indispensable pour le sujet, déjà vu pour l'observateur extérieur. C'est comme le sentiment amoureux, toujours neuf pour l'adolescent qui profère ses serments, passage obligé, et attitudes convenues pour la vieille ronchon que je suis devenue.

    " Natacha, fous donc la paix aux gens, ils font ce qu'ils veulent, ils créent ce qu'ils veulent". Oui, je sais, tu as raison.

    Mais bon, tout de même, en comparaison, pas besoin d'en faire des mètres ni des tonnes, autant faire petit, mais efficace (Jude Hill), même si on reste dans de l'espace occupé par des formes, la tête se hisse hors de l'eau.


    Allez, pour la bonne bouche, extrait du forum lié à un site genre showyourcroute.com :


    Au tournant d'une discussion sur "où avoir des cartes de visite à pôchèèèèr " pour se faire vénérer des foules, le monsieur nous ramène à ce que je pense être du cartel, de la médiation culturelle, disons du discours. Il se sent même obligé de mettre le gros mot " démarche " entre guillemets pour être sûr qu'aucune accusation d'intellectualisme ne lui collerait encore à la semelle. Il lui faut rassurer son auditoire sur le fait qu'il n'y a strictement rien dont on puisse s'emparer dans son oeuvre, juste le nirvana à contempler, quoi.

    Je vous recommande l'écoute de cette émission, surtout à partir de 29:00, c'est édifiant. Un peu dans le même registre, ce dessin charmant :


    Qui pourrait servir de structure à une double série de phrases à variables :
    • What you've got to understand is the destruction of  the planet may be the price we have to pay for X
    • may  be the price we have to pay for a healthy economy.
    Vous pouvez remplacer X et Y par beaucoup de choses, vous tomberez sur une des occurrences du discours qu'on vous sert. Bon, je vous ai assez livré de choses intéressantes pour aujourd'hui, je trouve.

    Et pourtant, you will discover that, when the mood takes me, i can be quite generous.

    En effet, je vais vous gratifier d'une autre de mes précieuses réflexions sur l'art.

    Années 70 : je m'émancipe par l'exploitation

    Années 90 : enfin prête pour l'insémination artificielle

    Années 2010 : la maternité a changé de camp, je ne suis plus un champ de courses pour ton jus.
     D'autant plus que le jeu a parfois des enjeux. Qui pour ne pas souhaiter, dans ce genre de cas, que la technique se décarcasse pour fabriquer des prothèses intra-utérines ? La destruction de la planète est-elle un prix à payer pour des embryons en bonne santé.

     Donc, où en étais-je. Ah oui, l'art. Si on se réfère aux trois grands fléaux pointés par Freud, notre impuissance face aux éléments de la nature, l'inéluctable déréliction de notre corps physique, et nos difficultés de communication avec les autres, l'art serait un bon candidat à la place de consolateur dans bien des cas.

    Allez, je reviendrai, ne vous inquiétez pas. Il y a suffisamment de quoi râler un peu partout pour faire un article.

    jeudi 4 juin 2015

    La soupe au caillou, le meurtre des savoir-faire par le " progrès " industriel

    Vous connaissez sûrement ce conte populaire, intitulé La soupe au caillou, mais je vous le résume. Un étranger arrive chez un couple de paysans avant le dîner et leur demande le gîte et le couvert pour la nuit, promettant en échange de leur donner la recette de la soupe au caillou.

    Les paysans demandent ce que c'est, et l'étranger leur répond que c'est une soupe qui ne demande pour être faite d'autre ingrédient qu'un caillou au fonds de la marmite, permettant de fabriquer autant de nourriture qu'on veut à bon marché.

    Alléchés par une telle proposition, ils offrent à l'étranger le gîte. Celui-ci s'installe, demande à boire, et leur commande de mettre une bassine d'eau à bouillir, et d'aller chercher un caillou qu'il place au fonds de la marmite. Il passe une bonne soirée devant le feu, et pendant que la soupe au caillou se fait, il leur recommande d'y mettre des pommes de terre pour l'épaissir, des navets pour donner du goût, etc.

    Le lendemain, l'étranger s'en va en ayant, vous l'aurez compris, bien grugé les crédules imbéciles. Il leur a fait faire une soupe ordinaire.

    Il y a un exemple de ce type de comportement avec l'industrie textile, un pillage qui s'opère à grande échelle sur plusieurs continents depuis de nombreuses années, et auquel vous participez activement, en ayant acheté tout ce que vous avez sur le dos, car j'ose espérer que vous n'avez pas l'inconvenance de lire mes billets nus.

    Voici la recette de l'arnaque.

    Au cours des XIXème et XXème siècle,. L'industrie promet de filer de la laine, en plus grande quantité, mieux, plus vite, et sans fatigue.

    En réalité, les filières industrielles ne se seront jamais adaptées au matériau. Elles n'arrivent pas à filer cette fibre trop courte, et si on tente de faire un fil fin, ça casse.

    Et c'est là que le pipeau prend le relais. Puisqu'elle n'arrive pas à filer la laine, l'industrie va demander à la fibre de s'adapter. Elle va demander aux autres industries de lui fournir des fibres synthétiques. C'est le " progrès" (Amen, Heil, on ne peut pas faire autrement)

    Donc on met de moins en moins de vraie laine, comme ça la machine idiote arrive à filer.

    Dans le bien des cas, elle aura recours au fil tuteur, c'est à dire une âme dans une matière pourrie, qui soutiendra la couche factice. (Comme tout le reste de l'industrie).

    Idem pour le tissage, etc. Résultat, on a des tissus non tissés, pourris, irrécupérable, irréparables. Mais c'est pas grave, on jette et on rachète.

    Tout cela est bel et bon.

    Mais pendant ce temps où l'industrie peine à avouer qu'elle a échoué à tenir sa promesse, une autre, non prévue, s'est accomplie. C'est que les fileuses de laine, les vraies, les humaines, avec des mains, elles sont bel et bien mortes.

    D'abord désoeuvrées, puis au chômage, puis mortes, c'est tout un pan de la société qui s'effondre, et avec lui, les savoir-faire qui disparaissent, et qu'on ne pourra plus recréer.

    Car c'est bien là que le bât blesse, c'est que la sottise n'est pas anodine, c'est un dégât dont les coûts de restauration sont énormes. Mirifiques les économies promises par l'industrie, les progrès jamais réalisés, colossaux, les coûts sociaux réels de sa propagation dévastatrice au profit des quelques familles d'actionnaires.

    Certes, la classe moyenne s'est enrichie sur le dos des prolétaires, après leur mort le déluge, et qui veut la fin veut les moyens, même si ce moyen est la destruction de l'avenir, en le rendant " irrécupérable".

    Car maintenant que la fortune de ces quelques uns est garantie par les mirages de la Bourse, qui paye la fatigue chronique et la dépression des chômeurs ?

    Qui pour réapprendre aux gens à filer, à se réapproprier leur vie ? Les grands capitaines d'industrie ? On les attend au pied du rouet, ces incapables, pour réparer les dégâts du pillage et des meurtres qu'ils ont perpétrés envers les savoir-faire et les humains qui les détenaient, tout cela pour alimenter la pompe à fric, la soupe au caillou en laquelle tous les gogos ont cru.

    Et vous croyez que vous n'en faites pas partie ? Mes pauvres... Gaïxoa, comme on dit là-bas..., pauvres dupes imbéciles.

    Vous croyez qu'il vont arrêter une recette qui se vend aussi bien et qui les engraisse aussi facilement ?  Vous voulez les versions modernes de la fable ?

    Le drone qui livre votre courrier ? Mais c'est vos boîtes aux lettres et vos rues qui vont s'adapter à ce que ne sait pas faire la saloperie de machine.

    Puisque oui, la classe moyenne, elle a couru mettre ce pognon en gage pour acheter des voitures :D

    Elle s'est ruée comme une zombie toxico sur les produits qu'on lui faisait miroiter, et le pognon, pfuittt. adieu pognon, adieu savoir-faire, adieu outils, adieu tout, prends moi tout, occupe toi de tout.

    Et la voiture qui conduit toute seule ? Mai ce sont vos routes qui vont s'adapter, se couvrir de balises. Et lorsque la voiture vous dira " Je ne sais pas aller là, ce n'est pas balisé", eh bien vous n'aurez qu'à obéir. parce que votre voiture, elle n'aura plus de volant *.

    Et les gens qui habitent là, s'ils veulent être joints, eh bien ils devront payer. Et pendant ce temps là, les facteurs seront au chômage. Et les gens voleront pour manger. Et on vous vendra des milices privées pour vous protéger.

    Et on vous aura baisés jusqu'à l'os, jusqu'à la moëlle. Et ce sera bien fait. Parce que des crétins de votre calibre, ça se ramone au manche à balai, avec des graviers.


    Il suffisait de persuader la classe moyenne qu'elle allait s'enrichir sur le dos du reste, en fermant les yeux sur le reste, pour que ce soit la classe moyenne, la plus nombreuse, qui assassinât tranquillement la société.

    Opérations mains propres !

    Il suffisait que le mécanisme garantisse une petite montée en gamme des classes populaires pour que tous se retrouvent le couteau entre les mains, à assassiner leurs amis, leur famille, foutant leur voisin au chômage et les dépouillant définitivement des moyens de l'autonomie : savoir-faire, outils et techniques.

    Car aux gogos qui croient qu'on pourra revenir en arrière, je recommande de trouver des outils capables de travailler le cuir, le bois, le métal. Et sans cuir, sans bois, sans métal, pas de fourrage, pas de bêtes, pas de carriole, pas de transports, pas de matières premières.

    C'es un peu comme si l'étranger avait fait signer aux paysans en partant une interdiction de réutiliser leurs graines et leur avait laissé un catalogue de cailloux en ligne.

    C'est donc une victoire totale, la plus simple, celle qui coupe à l'ennemi la route de la retraite, qui lui interdit de revenir en arrière, et le réduit en esclavage.

    Vae Victis, vraiment, on ne cesse d'avoir pitié de vous qu'à force de vous voir vous acharner à faire votre malheur. Remettre à ce point là votre destin entre les mains de vos exploiteurs malgré les sirènes d'alarme, ça mérite la râclée que vous allez prendre.


    * Ca vient de tomber :
    Palo Altours le lance le 23 juin 2015, et Vinci Autoroute alloue une enveloppe de 90 000€ pour développer et mettre en œuvre les projets qui seront sélectionnés.

    Il est ouvert à tout le monde (étudiants, développeurs, designeurs, riverains, automobilistes de l'agglo...)


    En septembre, nous organiserons des ateliers pour constituer des équipes (développeurs, design, idées...) et rencontrer les interlocuteurs de Vinci Autoroute."

    Et vous, en septembre, vous faites quoi pour protéger votre doux petit cul, comme disait Selby dans La Geôle, un ouvrage que je vous recommande ardemment.

    Quand on voit ce résumé de lecture, " Un homme, dans une cellule. Entre quatre murs, dans une lumière permanente. Rien pour mesurer le temps qui passe durant ces journées interminables, uniquement ponctuées par les repas et le bruit de la porte qui s’ouvre, puis se referme.. On ne sait pas qui il est, ni ce qui l’a amené ici "

    Eh ben ma pauvre chérie, t'as des sacrées peaux de sauc' devant les yeux comme ont dit. C'est bête que tu aies raté le film de ce qui l'a amené là...

    mercredi 3 juin 2015

    Still life (Plaidoyer pour l'analogique)

    Trouvé ceci ;

    " La photographie numérique est pourtant une photographie. Le temps du doute sur sa nature, exprimé au début du développement de l’image digitale, est révolu. La plupart des théoriciens n’estiment plus à juste titre que la distinction entre digital et analogique soit véritablement déterminante4. L’opinion selon laquelle seule l’image analogique maintiendrait un véritable index avec la réalité est caduque" 

    --- Fin de citation. Vous pouvez baisser le bras. Vous n'avez pas le choix, l'option est caduque. Veuillez cliquer sur la case que nous vous avons indiquée.

    Dominer du mort,  il y en a visiblement que ça excite. *



    Désolée de ne pas faire partie de " la plupart", de braver le décret, mais je ne suis pas d'accord. Désolée de conserver une opinion que je préfère mienne et caduque.

    Il ne s'agit pas d'analogique, mais de matériel, justement. L'image numérique n'est pas" immatérielle", toute image l'est par définition, par rapport à ce qu'elle représente. L'image numérique est échantillonnée, brisée, numérisée, hachée en bits. La frontière, toujours conservée optiquement, est découpée. Elle n'est plus une image, elle est une suite de bits, comme toute donnée informatique.

    Il y avait toujours une fonction de continuité, un trajet identifiable entre le modèle de la photo et la surface argentique, un chemin du rayon à travers les lentilles. On secouait à un bout, ça remuait à l'autre.

    Maintenant le lien est brisé, il y a une " interprétation " de la lumière et des couleurs, et une " recomposition de l'image" plusieurs fois avant même qu'on la voie dans le viseur, et elle sera encore réinterprétée plusieurs fois avant d'apparaître sur chaque écran.

    Voir dans un récent numéro du journal  La Décroissance la chronique sur le rétroviseur numérique, qui est un peu l'inverse : pour changer l'homme, interposons entre lui et le monde une réalité plus facile à gérer.

    Je sais à quel point (Cf. Rizzolatti et les Neurones Miroirs chez Odile Jacob) l'image "perçue" a été bien avant d'avoir été " perçue par moi comme perçue", fragmentée, puis interprétée par le cerveau, mais tout de même. Ces circuits nous appartiennent en propre, ils ont grandi avec nous.

    Autre passage :

    " Le LoA ‘photographie brute’ de la définition correspond aux données image RAW dans le cas du numérique, au négatif dans le cas de l’argentique, à la plaque du daguerréotype, etc. Cette assimilation est reconnaissable jusque dans le vocabulaire récent de la photographie numérique où l’on tente de retrouver une expertise proche de celle du laboratoire argentique avec la notion de “développement” des fichiers RAW."

    Sauf qu'un négatif ou une plaque, on voit l'image. Sur un fichier RAW, il faudra me faire la démonstration.

    Adam Lister
    Une " approche de l'approche ".

    Evidemment, on est là dans un autre registre. La différence, on la sent ou on ne la sent pas. Si on ne la sent pas, si on ne la voit pas, alors oui, on peut affirmer qu'un fichier informatique maintient un véritable index avec la réalité. Le tout est de savoir laquelle.

    Pour ma part, tant que je ne risque pas la déportation, je continuerai sur le papier. Mais j'avoue ne pas pouvoir justifier cette défiance épidermique que j'ai vis à vis du numérique. On pourrait me dire " Simplement parce que tu n'es pas née avec".

    Dans un sens si justement, j'ai vécu le passage de la lampe au transistor, puis au chip et à la carte, de l'argentique au numérique. Certes je ne suis pas une " native numérique", mais cela me semble un peu simple comme explication.

    Et dans un sens, non justement, ce qui me préserve plus de l'évidence béate de sa bénédiction, de l'irrésistible envie de lever le bras avec un filet de bave devant le " numérique", garantie de  bonheur contenue dans le " mieux", c'est de ne pas être " née avec ", c'est d'avoir le recul nécessaire pour juger de ce que cela apporte... et de ce que cela enlève, ce que les plus jeunes ne peuvent pas savoir.

    Parce qu'au fait, c'est quoi qu'on a perdu, c'est quoi cette saveur indéfinissable qui a disparu au passage, avec l'odeur des produits, l'ambiance, les lumières et les matières ? C'est aussi la visite chez le photographe, remplacé par le dialogue avec les machines.  Ah, tiens, irruption de l'Autre.

    C'est quoi qui disparaît lorsque les relations humaines disparaissent ? Faudra-t-il le perdre pour le comprendre ? Et comment saurons nous alors ?

    Pourquoi ai-je systématiquement l'impression que le passage au numérique s'accompagne d'une perte d'âme ?
    Est-ce parce qu'il s'accompagne systématiquement de cette injonction de ringardise qui consiste à ériger en principe l'interdiction de dénigrer le " progrès", quel que soit le sens de son mouvement ?

    Comme s'il était interdit d'admettre qu'on s'est trompé, à la mesure de l'impossibilité de corriger l'erreur, caractéristique que ce phénomène partage avec le larsen.

    Notre ego serait si bafoué d'admettre cette erreur qu'il s'emploie avec frénésie à empêcher tout retour en arrière, il justifie une erreur par la suivante pour disculper la précédente, mieux, pour la glorifier et lui donner une perspective. C'est ce que font les serial killers.

    Mais vers où veut nous emmener ce mouvement? Car nous allons vers la connexion entre le biologique et la machine. Nous sommes sur le point d'effacer la distinction entre le vivant et les structures, entre le flou et le numérique, entre l'esprit et la matière, ou si l'on préfère, de relier les deux.

    Mais je pense que nous devrions prendre quelques instants de réflexion avant que de tourner le bouton. Car le problème, c'est que personne ne nous demande notre avis. On nous amuse avec des disputes sur la famille untel qui se dispute, mais comment se fait-il que personne ne nous dit qui est en train de tourner ces boutons, et si c'est une seule personne , ou bien plusieurs.
    Comment se fait-il que ces décisions et ces orientations tombent toujours comme des ordres ? Comment fait-il que personne d'entre nous ne participe à cette réflexion alors que chacun participe à sa mise en oeuvre, comme des robots ?

    Pourquoi est-il interdit de réfléchir à ce qu'est cette chose si ténue et que nous détruisons sans savoir ce que c'est, sous les ordres d'une apparente nécessité, qui dicte chaque jour un peu plus l'obédience à la machine ?

    Réfléchir à l'état dans lequel se trouve quelqu'un privé des moyens de recouvrer sa liberté. Et si cette liberté était celle de recréer une âme, de décider de son sort en serait-il de même ? L'option serait-elle aussi caduque ?

    Si notre infini était justement contenu dans cette possibilité de finitude, si la liberté était dans le flou, dans la fracture ? Le flou numérique n'abordera jamais le flou réel, et c'est tant mieux. Parce que le flou réel, est, lui réversible par soi à tout instant.
    Mais il peut s'interposer, privant définitivement le citoyen des moyens d'accès au réel, s'y substituant. Et là il y a un problème.

    Laisser faire, c'est laisser l'un détruire l'autre, se laisser déposséder de la possibilité de reprendre...

    Alors participer même au débat comme je le fais en tapant sur mes touches deviendrait criminel, la seule solution étant la pure passivité. Résister par l'immobilité, faire confiance à la destruction qui vient. Introduire le plus grand désordre possible, pour laisser à nouveau couler le flux du vivant.

    Ai-je le choix de décider de la nature du lien qui me relie à la réalité ? Ai-je encore le droit de décider que ce lien ne sera pas numérique ? Ai-je encore le choix de préférer l'analogique ? Dans plein de domaines, c'est déjà aboli. Il faudrait veiller à préserver à cette possibilité quelque territoire.

    * D'ailleurs c'est marrant parce que rien n'intéresse tant ces fans du numérique que les forêts, les levers de soleil sur l'eau, les fleurs, les grenouilles, et les bâtiments des hôpitaux soviétiques désaffectés, c'est à dire le réel analogique que leur industrie est en train de tuer.

    mardi 19 mai 2015

    Les vraies confidences

    Hier j'enfile un DVD dans le lecteur, et quelle n'est pas mon émotion en entendant une voix que j'ai écoutée mille fois avec ferveur sur FC. 

    Mais je n'avais jamais vu Anouk Grinberg. Je l'ai donc découverte, comme si je l'avais eu observée avant de la rencontrer, ainsi que le fait prétendument  Dorante d'après Dubois.


    J'étais dans le temps de la pièce, dans le mouvement, c'était charmant. On devrait toujours préparer les gens, par un conditionnement de leur vie réelle, aux pièces de théâtre qu'ils verront. J'ai bien entendu fait durer le plaisir tout le temps de la pièce avant de lire la jaquette :)

    Tant qu'on est dans le registre amoureux, cette vidéo sur laquelle j'aimerais revenir.



    Pourquoi analyser, pourquoi ne pas se contenter de jouir ? C'est une vraie maladie mais tant pis allons-y. 

    D'abord il y a, certainement lui, le cameraman. Chorégraphie improvisée, il est donc parfois surpris par les mouvements de la danseuse, et la caméra suit avec retard.

    Un jardin en terrasse. En Provence ? J'aime à le croire. La licence des années 70 se hume comme le parfum de l'eucalyptus, et j'aime à le projeter. Il y a eu un petit montage, au moment où elle ôte son costume de panthère. Avec ses émouvantes oreilles.

    A elle maintenant. Danseuse non accomplie, mais non débutante. Utilisant la sensualité de son corps, la coule dans les figures de la danse.

    Elle est sérieuse sur sa danse. Son propos est bien de danser. Mais elle est femme, et son corps de femme suit les ondulations qui disent mieux que le peu de danse qu'elle sait. C'est ça qui est émouvant aussi, et cette petite musique un peu grinçante.

    Ses mouvements sont répétitifs, et son répertoire est limité, mais soudain, cette souplesse qui parcourt son corps du haut en bas d'un seul jet...

    J'aime que sa silhouette se fonde parfois à la végétation, j'aime ce que je crois, qu'au cours de la vidéo, avec le temps, elle s'habitue à la caméra, elle se lâche un peu, c'est plus fluide. J'aime cet ennui qui nous prend à la fin...

    Elle doit être très âgée maintenant, mais j'avoue en être amoureuse. J'aime être amoureuse de cette image, même si il n'y aura jamais aucun bouton sur lequel appuyer pour qu'elle me parle.

    Sans doute qu'un jour là-haut-là-bas, je serai, appuyée sur le muret de pierres sèches, les mains écrasant les feuilles de lauriers cassantes et les petites boules dans le mica, et je l'applaudirai.

    Que c'est bête, ces sentiments, pouah, on dirait du XIXème. Je suis d'ailleurs étonnée à ce propos par le texte de la Seconde Surprise. C'est dense, quand je pense que ce fut donné en 1727. Dense, je veux dire, ça travaille une zone restreinte des affects. C'est marrant d'ailleurs, cela m'a fait penser à In the Mood for Love, comme si par delà les temps et les espaces, ce thème était un meuble résident du discours amoureux.

    dimanche 12 avril 2015

    Tête de pont ?

    Je continue de creuser le rapport individu / collectif (disparition du sujet ontologique / social) avec ceci :

    On sait depuis Freud que le paradigme de la trace, qui accompagne la logique de l'inscription, a joué un rôle fondamental dans la définition de la mémoire, mais aussi dans la culture, comme en témoigne un ouvrage comme Malaise dans la Civilisation. Plus tard, au début des années 70, Jacques Derrida élargit ce paradigme à celui de l'écriture en général et de la différence, théorisant, dans De la Grammatologie, un devenir tracé généralisé du monde, de la pensée et de l'art. Avec l'explosion d'un nouveau paradigme, le neuronal, le modèle de la trace est devenu obsolète et a disparu au profit du modèle de la prise de forme. Plasticité contre Grammatologie. Plus récemment encore, Quentin Meillassoux, dans Après la finitude, parle d'un archi-passé de la terre (l'archi-fossile) dénué de toute trace humaine et détaché de toute corrélation sujet-objet. Que signifie dès lors cette radicalisation de la disparition de la trace ? Comment penser en dehors du paradigme de l'inscription ? Mettre en scène la disparition de tout sujet ? "

    Je pensais à l'imposture intellectuelle que souhaite dénoncer untel à l'égard de Derrida. Je pensais au psittacisme, et à cette tendance qui habite certains, à toute époque, de considérer le discours de l'autre au mieux comme un jargon superfétatoire, au pire comme un " galimatias double", selon Rabelais, c'est à dire auquel le locuteur pas plus que l'auditeur ne comprend un traître mot.

    Tendance qui semble d'autant plus affirmée que le discours visé prétendait lui-même à l'herméneutique.

    Est-ce seulement la dérive de la langue, la dérive historique, qui se redouble de celle de la traduction, qui éloigne de nous le discours précédent ?

    Est-ce que la psychanalyse ne fait que redoubler la confession, le développement personnel le " gnothi seauton " (1) ? Est-ce que la physique quantique ne fait que redire en d'autres termes les doutes de Parménide et d'Héraclite, les mathématiques les doutes de Zénon ? Est-ce que notre droit ne fait que balbutier encore le droit romain, les précautions hébraïques ? 

    Ma question est de savoir si ce sont d'exactes superpositions ou bien si au delà de ces similitudes, au delà de ce qui ne serait finalement qu'une même dimension, comme une " cardinalité " dans l'objet visé, il y a dans la nouvelle forme, un nouveau fonds ? (2)

    Quelque chose de nouveau sous le soleil ? Alors on me dira il y a la technè. On greffe aujourd'hui des morceaux d’œsophage qui repoussent dans le corps de leur propriétaire, et demain les riches commanderont une réactivation du gène maître de leur globe oculaire vieillissant.

    Disparition physique du sujet dans le renouvellement de ses pièces. Et le moi dans tout ça ? Quand on aura fini de découvrir qu'il n'existe guère, qu'il est comme un un petit ballon de baudruche gonflé à l'intérieur de l'imaginaire par le grand dirigeable du corps social, avec pour mission de piloter les pulsions du corps, on peut craindre pour son intégrité.

    Le moi hérité de droit divin finissant de tomber en poussière, les photons de son avatar cosmique convertis en impalpables champs électromagnétiques plus absents qu'aucun dieu ne le fut jamais, c'est la chute assurée dans le néant du trou central de la fractale.

    Le bit informatique va finir par nous paraître quelque chose de solide à quoi se raccrocher, avec sa bonne odeur de sélénium rassurante comme un feu de cheminée et une tablée de charcutaille.

    Je verse aussi au dossier cet extrait du dernier numéro de " La Décroissance", autre témoin d'une recherche frénétique, devenant hystérique pour " se trouver " dans la matière :
    " Pour changer l'état du monde, on peut se rendre compte que tout que nous avons essayé a échoué. Toutes les religions ont échoué, toutes les philosophies ont échoué, et tous les systèmes politiques ont échoué. Ça nous mène où on en est aujourd'hui. Donc pour changer le monde, il faut changer l'homme. C'est à dire bidouiller sa cervelle, lui enfoncer des implants. Ainsi régulé par la technologie, l'homme corrigera optimisera ses capacités physiques, mentales, cognitives, émotionnelles, sensitives, sera bienveillant et d'une moralité irréprochable. Et on fabriquera à la chaîne de parfaits adeptes de la sobriété et de la convivialité. Des cyborgs vertueux, sans défaut, adopteront des modes de vie responsables et combattront l'entropie".

    Mais comment résister à ce mouvement, qui aura pour au slogan : " c'est ça ou Daesh" ?

    Avant (au bon vieux temps) une philosophie se proposait de nous emmener d'une rive à l'autre, de " rompre les amarres, de tourner le dos  à telle chapelle pour fonder une nouvelle école, à tel camp pour courir vers les libres espaces. Mais il y avait toujours un ailleurs, une terre promise, ou au moins incognita. 

    Depuis quelque temps, c'est la meta-désespérance qui frappe (3). Plus d'autre promesse qu'un cyber-corps, éternellement réparé, et qui aboie, rutilant, dans l'espace. L'esprit, hébété, devant son vide. Parce que ce contre quoi il faut se prémunir est la possibilité qui s'annonce que, effectivement, on ait cherché partout et qu'il n'y ait rien nulle part. Nulle part où aller, pour la première fois dans notre histoire.

    Si j'ai bien compris (je cite ici Catherine Malabou), le transcendental serait récusé comme l'issue de secours (illusoire) laissée au monde dans sa possibilité " d'exister sans nous", quand bien même nous aurions su abandonner l'idée qu'on pourrait nous laisser, à nous, cette prétendue conquête qu'il n'existe que parce que nous le pensons. C'est encore trop le penser : Le monde est indifférent au fait qu’il est perçu ou non, il (lui? ) est indifférent d’être nécessaire, d’être stable, etc. Donc il est contingent. Meillassoux étudie la stabilité du monde décrite par Kant..

    Je retrouve un peu la balance chère à la vilaine Guillemette : Dire " le monde " c'est définir quelque chose qui existe, et quant à poser le verbe " exister", c'est déjà lui supposer un sujet.

    C’est parce que la philosophie est incapable de se fonder elle-même qu’elle se tourne vers les mathématiques nous dit Hegel dans la Préface de la Phénomenologie de l'esprit. Pourquoi aller emprunter à Cantor ce dont les mathématiciens rigoleraient ? Soyons capable de fonder notre propre discours ! Qu’est-ce qu’un monde qui serait capable de devenir toujours autre qu’il n’est ? Si le monde peut changer constamment, pourquoi ne change-t-il pas ? Là, Meillassoux s’en remet à Cantor. Si tout est possible, pourquoi tout n’est-il pas n’importe quoi ? Un vrai discours de la contingence doit admettre que le n’importe quoi puisse arriver. Pour moi, si on ne veut plus de transcendantal, il faut accepter le n’importe quoi. Cf. Kant et le cinabre.
    Je crois que la question « peut-on abandonner le transcendantal » devient peut-on faire avec le n’importe quoi.

    Questions :
    Le livre flirte avec une réaction universitaire : il refuse de dialoguer avec Husserl, Derrida, Foucault. Cela m'agace énormément. Il m’est arrivé de tomber dans la neurobiologie et d’affirmer des choses que je n’aurais jamais cru que j’affirmerais (la pensée vient du cerveau, etc.). Derrida n’aurait sans doute jamais accepté ce que je crois désormais. Suis-je en rupture ou dans la continuité ? Je ne sais pas. Et j’ai du mal à positionner Meillassoux.
    Ce qui me fait problème, c’est de savoir ce qu’est la pensée philosophique. Est-ce que le transcendantal n’est pas ce qui est irréductible à la science ? Comment isoler le philosophique, comment décrire ce que nous faisons.
    La pensée de Meillassoux est une pensée de l’anhistorique. Les déconstructeurs (Heidegger, Derrida, etc.) écrivaient au moment de l’affrontement de deux blocs. Meillassoux écrit au moment de la pensée écologique : se pose la question du post-historique, de la fin de l’homme, de la survivance de la terre à l’homme.

    Ce vieux doute ontologique remis en selle par la catastrophe écologique serait une épidémie grave. Elle toucherait chacun de nous, à rebours, depuis l'être social, vers l'être physique, par l'être culturel.

    Elle a déjà touché l'art, en ce qu'il se replie sur sa dimension thaumaturgique (et d'autres, je les ai évoquées déjà). C'est un coupe-feu. D'où peut-être ce retour vers le matériel, pour retarder l'échéance, en espérant que d'ici là une solution se présente.

    Je prêche donc encore une fois pour un peu de pastorale sur la base d'une pensée qui ne présuppose pas l'existence. Admettons une bonne fois pour toutes que rien n'existe, cela ira plus vite, et repartons sur des bases saines.

    J'ai même un statut pour ceux qui ont absolument besoin de se raccrocher à quelque chose. Nous sommes l'Erreur. A toute instance spirituelle il faut une instance matérielle correspondante, et il en fallait une pour l'Erreur. L'Erreur a choisi de se matérialiser sous la forme d'une pensée qui pense avec raison que ce qui n'existe pas existe pourtant. Elle n'avait pas le choix, d'ailleurs, de s'instancier autrement puisque c'est l'erreur fondamentale, d'où découlent toutes les autres. 

    Prenons à nouveau l'image du tore, ça aide à matérialiser le concept.

    Imaginons que je vous dise " Vous n'existez pas". Je vais vous expliquer ce que j'entends par là. Vous n'existez pas, au sens où vous entendez habituellement qu'"exister, c'est être une chose". Or en réalité, deux choses coexistent en vous.

    D'une part un animal, dont vous supportez les pulsions, le passé archaïques, les comportements réflexes, des strates de centaines de millions d'années d'évolution. Lourd. Mais ce n'est pas vous.
    D'autre part un être social, qui est la " reconstruction en vous " (comme les bateaux dans les bouteilles) d'une terminaison de la structure sociale à laquelle vous appartenez. C'est comme un ballon qui s'est gonflé depuis l'extérieur dans votre tête, une petit bourgeon du grand ballon de la culture humaine. Mais ce n'est toujours pas vous.

    Ce pour quoi vous vous prenez est une oscillation entre ces deux instances, mouvement parfois conscient, pour partie inconscient pendant la veille, etc.
    Lorsque votre corps animal disparaît, le support du ballon de culture disparaît, et ce pour quoi vous vous prenez avec.

    Donc pour revenir à l'image du tore, on peut associer l'animal au boudin, et le ballon social au barycentre du tore. Ce pour quoi vous vous prenez, c'est en réalité un vide, l'espace qui sépare le boudin du centre. Mais le poids du corps, la présence de l'animal, le support de la sensation d'être, ne peut se ressentir que supporté " depuis " le barycentre, depuis le point de vue de l'être, qui se pense donc étant à partir de là, comme centre d'un espace subjectif vide..

    Mais puisqu'aucun des deux n'est " moi", alors " je " n'existe pas en tant que chose, pas en tant qu'autre chose que cette relation vivante.

    Maintenant, comment l'image du tore peut-elle fonctionner au niveau général ? Le monde physique est le boudin, infiniment parcourable et pourtant refermé sur lui-même : toute signification comme une " explication " est impossible puisqu'on ne peut pas " explicare", elle est enfermée dans son propre volume et revient toujours à elle-même.

    Le poids du monde matériel se fait sentir au centre, là où est supposé résider l'être, celui qui sent le poids du monde. L'Erreur, que nous instancions, oscille dans l'espace entre le barycentre (le moyeu de la roue) et ce qui lui donne son équilibre (le monde).

    Si toute composante spirituelle avait été instanciée hors l'Erreur, tous les possibles seraient hors la contradiction de la matière pouvant contempler l'impossibilité, capable elle-même de constater la nécessaire contradiction que la matière (hors esprit) ne saurait être consciente de son inexistence, et tous les possibles se déploieraient dans la pure présence à soi-même, comme un feuillet qui se serait dédoublé (le voile de Maya)

    Or nulle composante spirituelle ne saurait ne pas être instanciée. Il fallait donc que l'Erreur le fût. Et nous sommes cette instance, sous la forme de la nécessaire contradiction, l'impossibilité de la matière dédoublée, capable de se regarder ne pas être (la Chute)

    Mais la position est intenable. C'est pourquoi cette conscience doit être maintenue " vivante" sans qu'aucun être ne subsiste pour s'y installer (l'enfer d'une éternelle conscience)

    Peut-être alors que la Chute n'est pas terminée. Peut-être que la mise en garde à propos de la connaissance continue de nous interpeller. Mais alors nous invitant à quoi ?

    Première hypothèse un peu violente :  c'est nous inviter à ne pas faire perdurer l'Erreur, c'est à dire à ne pas prolonger la quête de la connaissance, qui ne fera que perpétuer l'intenable position, cela revient à nous conseiller de nous auto-dissoudre en tant qu'humanité consciente.

    Il y a un courant " thanatos", j'ai l'impression, qui court. Un peu l'idée d'accélérer la fin, symétriques des partisans extrémistes de la technologie, appelant l'avènement du mutant radioactif.

    Je mets également, comme un " sign of times " de cette tension (déchirure entre les deux représentations de la réalité, qui nous déchire), les réactions à cette vidéo, exact symétrique du Benedicite :




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    Posted by Tara Cambo on Wednesday, March 4, 2015

    Mais, le monde débarrassé de nous, qui se chargerait alors d'instancier l'Erreur ? Les damnés de l'Enfer, ceux qui, ayant refusé de voter l'auto-dissolution, installés dans une durée matérielle infinie, se seraient ainsi condamnés éternellement à se contempler éternellement morts, à passer l'éternité à chercher dans la conscience une existence qu'elle ne possède pas ?

    Alors les choses se rétabliraient dans l'inversion, le Shéol était annoncé. Et je repense à ce mot attribué au rabbin Siméon bar Yohaï : " J'ai vu la Vérité et j'ai eu peur". Ce n'est donc peut-être pas la première fois dans notre histoire que certains arrivent au bout du chemin. Le bout étant bien sûr la reconnaissance de la trace, ancestrale, de l'herbe foulée, de la boucle temporelle dont parle Etienne Klein,  l'insupportable certitude que le tour du boudin a été fait, et que donc l'infini fermé des possibles a été exploré, sauf l'impossible, l'impensable, cela qui nous oblige à tout retourner.

    De là les lemniscates, les formes qui survivent aux civilisations détruites, gravées dans le roc, comme un souvenir du chemin parcouru et un avertissement pour ceux qui reviendront. Prendre cela comme symbole de l'infini, ce n'est jamais qu'en revivifier la parole muette.

    Il vaut donc mieux se taire. Et que dire à ceux qui ont besoin de moi, et qui vont me jeter des pierres ?

    Seconde hypothèse : c'est prendre l'invitation au pied de la lettre, nous inviter à chanter la gloire du Seigneur en compagnie des anges. Cela reviendrait pour effacer la faute à " remettre notre esprit entre ses mains", et retourner dans le sein du Père, pour employer un vieux vocabulaire, attendre calmement la parousie, la fin des temps. Sans croire à autre chose qu'à cette invitation au bonheur.
    Sans espérer de l'avenir un supplément de connaissance, s'en remettre totalement à ce qui n'a pas de nom. Croire aux miracles, à la bonne odeur du Christ, renoncer à la conscience, suivre son exemple.
    Mais comment organiser dans le renoncement ? Comment penser aujourd'hui une société basée sur la non-organisation ? Que faire de l'existant, devenu inaccessible à quiconque, sans parler de le maîtriser, l'orienter, ni même l'éclairer ?
    Qui nous aurait " livrés " à pareil châtiment? Voir sa non-existence en pleine lumière, et devoir se résigner à la contempler sans en pouvoir abréger le supplice, baisser le store, éteindre la lumière ? Sans pouvoir même se tourner vers l'espoir.

    Abandonner cela aussi, les abandonner. Pour cela aussi s'en remettre, et ne-pas-attendre le salut, mais pour soi seule. A l'ombre des renoncements devenus ramure, treille fraîche où le pampre à la rose s'allie, atteindre à nouveau le point où le temps ne passe plus.

    (1) Voir : " Hegel voit ce « connais-toi toi-même » comme le signe d’un tournant majeur dans l’histoire de l’esprit, car Socrate en s’en réclamant fait de « l’esprit universel unique », un « esprit singulier à l’individualité qui se dessine », autrement dit, il fait de la conscience intérieure l’instance de la vérité et donc de la décision. Il y a tournant car, dans la culture orientale, l’Esprit, tel que le conçoit Hegel, était de l'ordre du mystique inatteignable (d’où les Sphinges et les Pyramides d'Égypte que nul ne peut pénétrer) ; ce qu’au contraire augure Socrate (et de la même manière Œdipe) c’est « un tournant de l’Esprit dans son intériorité », c’est-à-dire qu’au lieu d’être inatteignable, l’Esprit est réclamé comme se trouvant dans l'homme lui-même.
    Platon définit ainsi la santé d'esprit, laquelle consiste à se connaître en devenant capable de distinguer ce que l'on sait et ce qu'on ne sait pas. Ici la santé d'esprit dont l'Homme est capable est une tâche à accomplir. "
    Tournant de l'Esprit dans son intériorité, devenu " capable de distinguer ce que l'on sait et ce qu'on ne sait pas".


    Voir : " Aujourd'hui, plusieurs interprétations du passage de la Genèse concernant l'arbre de la connaissance du bien et du mal sont possibles. La plus crédible est que l'arbre symbolise le savoir illimité qui n'appartient qu'à Dieu, et le pouvoir absolu que l'on pourrait en tirer. L'arbre de la connaissance du bien et du mal symboliserait donc un désir profond de l'être humain : celui d'abuser de sa liberté, d'être en mesure de connaître tout et d'utiliser ce pouvoir de façon absolue"

    Voir :  "
    Pour l’arbre dont parle Adonaï Élohîm, la traduction courante est représentée par la Bible de Jérusalem : « l’arbre de la connaissance du bien et du mal ». Elle ne me semble guère correcte même si on l’adapte, comme la nouvelle TOB, avec une tournure plus concrète : « de ce qui est bon ou mauvais »3. Cette seconde traduction, en effet, est trop précise. L’hébreu présente en réalité une construction curieuse : un substantif (’éç) suivi d’un infinitif construit utilisé comme un substantif déterminé par l’article(hadda’at), mais flanqué de deux objets directs indéfinis coordonnés (tôvwara’) qui peuvent être lus également comme des adverbes. La tournure qui rend le mieux cette expression hébraïque me semble être « l’arbre du connaître bien et mal », où « bien et mal » peuvent être entendus comme substantifs objets ou comme adverbes. "

    (2) Voir par exemple ici, à 29:54 de la discussion des costard-cravates, le mec qui dit " Je puis parfaitement", comme elle drôle l'atténuation qui évite le " je peux". Parce qu'il ne peut justement pas savoir ce qu'Aristote pensait. Trop de temps écoulé.


    (3) C'est pour cela que j'ai passé ce blog en catégorie adulte, pour éviter que des jeunes ne lisent ce genre de propos. Cela achèverait de les désespérer et ils le sont bien assez comme ça. Laissons-les croire encore un peu au père Noël fringues-téléphone-DVD-voiture-maison, jusqu'à ce qu'on ait une solution de rechange à leur proposer.

    mardi 7 avril 2015

    Bevete più latte...

    Eh oui, c'est la fin des quotas laitiers, la fête de la mamelle outre-rhénane qui va pouvoir ouvrir les vannes à fond.


    Nous les tétines bretonnes, on est trop contentes, on va pouvoir vendre du lait en Chine


    C'est qu'il faut bien nourrir ces braves gens qui fabriquent les nuggets de poulets



    que mangent nos éleveurs de porcs


    Allez, ne faites pas "berk", samedi vous allez retourner dans les embouteillages pour acheter vos lardons et votre pack de lait.


    Faut bien nourrir la petite famille, hein, on n'a pas le choix !

    En fait, c'est une entrée " par le bas ", du cyber-body, celui où les interventions médicales de plus bas niveau, comme la collecte de données ainsi que le contrôle de leur valeur, peuvent être faits sur le sujet pendant les activités journalières via de appareils connectés.

    Déstructurer le corps animal réel, c'est aussi préparer les mentalités à l'arrivée d'un corps humain de plus en plus " éparpillé", le fonctionnement de ce corps étant en fait assumé par une globalité, une collectivité d'appareils délocalisés.
    Ainsi pour survivre, il me faut tel appareil de contrôle qui nécessite lui-mêmes des batteries, donc de l'électricité et un chargeur en état de fonctionnement, une liaison internet et un moyen de paiement pour passer la commande, un lieu d'habitation repéré pour recevoir la livraison.

    Au rythme où vont les thérapies géniques, le corps réel pourrait devenir plus encombrant qu'autre chose. Il serait intéressant d'avoir des enquêtes là-dessus, pour savoir jusqu'à quel point les gens laisseraient " acheter leur corps", c'est à dire ce qu'il suffirait de leur donner en cadeau pour qu'ils acceptent de ne plus pouvoir s'enfuir physiquement de là où leur corps est connecté.

    On y est bien arrivé pour les animaux, après tout.

    jeudi 2 avril 2015

    L'impatience

    Je viens d'entendre sur une radio commerciale une émission rétrospective d'un crime commis en 1995, un père tuant 4 membres de sa belle-famille, attendant à leur domicile qu'ils rentrent les uns après les autres.

    Il est resté " hiératique " au long des quatre années d'instruction, niant sa culpabilité, disant qu'il " n'y était pour rien".

    En disant qu'il n'y est pour rien, il efface sa responsabilité, ce en quoi on doit l'écouter. Si l'on considère que le mobile retenu était l'argent, d'autant plus.

    Décrit comme froid, insensible, l'homme ira juste après le crime voir le notaire pour l'héritage, et l'assureur, avec la liste précise des meubles détruits pendant l'incendie de la maison.

    " Et tout ça pour 150.000 euros " dira un avocat. Si le coupable était un artisan en lutte pour la survie de son entreprise, cette somme permettait effectivement de résilier son engagement d'avec une montagne d'ennuis harassants, de se délier d'un contexte, avec lequel, au fond de lui, peut-être, il était intimement convaincu, n'avoir rien à faire. Il n'y était, effectivement, " pour rien".

    Je pense que ceci devrait être médité par l'institution. Si l'engagement dans le contrat social n'est pas vérifié, si on ne s'assure pas non plus que le ressenti des acteurs montre un niveau acceptable de la sensation d'influencer son destin, on peut s'attendre à toute forme de " résiliation " du contrat, même les plus brutales.

    Un engagement réel, sincère, et autant que possible enthousiaste. Non pas résigné, ce qui serait mauvais signe. Or cet engagement est la plupart du temps supposé, ou du moins jugé sur ses effets : l'entreprise artisanale de l'assassin, laquelle se porte mal à cause des difficultés de " l'Economie.

    Maintenant, que faire de celui qui n'a d'enthousiasme pour rien ? On répondra que dans un monde qui le cultiverait comme objectif principal, ce cas ne se présenterait pas. Mais alors, un enthousiasme d'Etat ?

    La dissociation de l'individu d'avec son être social est toujours près d'être déclenchée.

    Comme elle en est toujours loin. Ceci signifiant simplement que la distance n'est évaluable dans le singulier que dans des conditions délicates. Mais retenons qu'elle est à tout instant, pour un nombre donné d'individus, alors près d'être défaite.

    L'association entre l'être individuel et l'être social, une fois et pendant le temps de l'éducation, construite, est toujours près d'être défaite à la faveur d'une pression trop forte.

    Il faut considérer sans doute que lorsqu'elle est à l'oeuvre, la dissociation présente à l'esprit du sujet non plus un seul moi comme chez les personnes associées, mais deux moi, l'un des deux, le moi social, devenant de plus en plus flou et lointain, jusqu'à pâlir et ne plus exister. Le moi individuel est laissé seul face à une horde d'ennemis avec lesquels il n'a plus rien à voir.

    Toutes les stratégies de survie, tout le mensonge dont on est capable, sera alors mis au service du moi, pour sauver sa peau, pour se sauver d'un monde où l'on "n'est pour rien".

    " Je n'y suis pour rien" n'est donc pas seulement le dégagement, une fuite dans l'irresponsabilité, qu'on ne veut pas retenir tant le crime ne semble pas mériter d'atténuation. A l'heure du crime, et pour toujours sans doute, il est et restera le témoin d'un processus accompli, une simple vérité de vécu.

    Le moi solitaire sortira toujours vainqueur de la dissociation d'avec l'être social. Enfin pas toujours. Il peut aussi s'effondrer sous les coups de la violence qui pour épargner femme et enfants, retourne le poignard contre soi avant.

    C'est alors dépression et cortège d'angoisses bien connu, qui accompagne la descente des longues files de pèlerins.

    D'un simple point de vue financier, cela se tient. On peut se permettre de négliger l'enthousiasme individuel comme variable, parce qu'après tout, un petit crime par-ci par là, ça ne fait que conforter le public dans son bien-être, " on est bien mieux chez nous".

    Il faut veiller néanmoins, si on veut continuer d'exploiter les gens et que le système soit rentable : si trop de gens finissent par ne plus avoir d'autre choix que de se partager entre dépression et violence, il faudra lâcher un peu de lest.

    Mais de quel lest, et le lâcher où et comment ? Pas facile pour une institution débordée par l'urgence d'empêcher les protagonistes d'en venir aux mains.

    Andrzej Krauze