Il est resté " hiératique " au long des quatre années d'instruction, niant sa culpabilité, disant qu'il " n'y était pour rien".
En disant qu'il n'y est pour rien, il efface sa responsabilité, ce en quoi on doit l'écouter. Si l'on considère que le mobile retenu était l'argent, d'autant plus.
Décrit comme froid, insensible, l'homme ira juste après le crime voir le notaire pour l'héritage, et l'assureur, avec la liste précise des meubles détruits pendant l'incendie de la maison.
" Et tout ça pour 150.000 euros " dira un avocat. Si le coupable était un artisan en lutte pour la survie de son entreprise, cette somme permettait effectivement de résilier son engagement d'avec une montagne d'ennuis harassants, de se délier d'un contexte, avec lequel, au fond de lui, peut-être, il était intimement convaincu, n'avoir rien à faire. Il n'y était, effectivement, " pour rien".
Je pense que ceci devrait être médité par l'institution. Si l'engagement dans le contrat social n'est pas vérifié, si on ne s'assure pas non plus que le ressenti des acteurs montre un niveau acceptable de la sensation d'influencer son destin, on peut s'attendre à toute forme de " résiliation " du contrat, même les plus brutales.
Un engagement réel, sincère, et autant que possible enthousiaste. Non pas résigné, ce qui serait mauvais signe. Or cet engagement est la plupart du temps supposé, ou du moins jugé sur ses effets : l'entreprise artisanale de l'assassin, laquelle se porte mal à cause des difficultés de " l'Economie.
Maintenant, que faire de celui qui n'a d'enthousiasme pour rien ? On répondra que dans un monde qui le cultiverait comme objectif principal, ce cas ne se présenterait pas. Mais alors, un enthousiasme d'Etat ?
La dissociation de l'individu d'avec son être social est toujours près d'être déclenchée.
Comme elle en est toujours loin. Ceci signifiant simplement que la distance n'est évaluable dans le singulier que dans des conditions délicates. Mais retenons qu'elle est à tout instant, pour un nombre donné d'individus, alors près d'être défaite.
L'association entre l'être individuel et l'être social, une fois et pendant le temps de l'éducation, construite, est toujours près d'être défaite à la faveur d'une pression trop forte.
Il faut considérer sans doute que lorsqu'elle est à l'oeuvre, la dissociation présente à l'esprit du sujet non plus un seul moi comme chez les personnes associées, mais deux moi, l'un des deux, le moi social, devenant de plus en plus flou et lointain, jusqu'à pâlir et ne plus exister. Le moi individuel est laissé seul face à une horde d'ennemis avec lesquels il n'a plus rien à voir.
Toutes les stratégies de survie, tout le mensonge dont on est capable, sera alors mis au service du moi, pour sauver sa peau, pour se sauver d'un monde où l'on "n'est pour rien".
" Je n'y suis pour rien" n'est donc pas seulement le dégagement, une fuite dans l'irresponsabilité, qu'on ne veut pas retenir tant le crime ne semble pas mériter d'atténuation. A l'heure du crime, et pour toujours sans doute, il est et restera le témoin d'un processus accompli, une simple vérité de vécu.
Le moi solitaire sortira toujours vainqueur de la dissociation d'avec l'être social. Enfin pas toujours. Il peut aussi s'effondrer sous les coups de la violence qui pour épargner femme et enfants, retourne le poignard contre soi avant.
C'est alors dépression et cortège d'angoisses bien connu, qui accompagne la descente des longues files de pèlerins.
D'un simple point de vue financier, cela se tient. On peut se permettre de négliger l'enthousiasme individuel comme variable, parce qu'après tout, un petit crime par-ci par là, ça ne fait que conforter le public dans son bien-être, " on est bien mieux chez nous".
Il faut veiller néanmoins, si on veut continuer d'exploiter les gens et que le système soit rentable : si trop de gens finissent par ne plus avoir d'autre choix que de se partager entre dépression et violence, il faudra lâcher un peu de lest.
Mais de quel lest, et le lâcher où et comment ? Pas facile pour une institution débordée par l'urgence d'empêcher les protagonistes d'en venir aux mains.
Andrzej Krauze |
C'est curieux, parce que je vois dans le crime " sans mobile apparent", (le crime parfait) une sorte de symétrique de cela, comme votre crime était sans coupable, le mien est sans mobile. Sans haine, non plus, juste comme la consommation d'une limite.
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