Devise de mon vieil ami Franck, clochard et artiste de rue, véritable, non pas ces petits bourgeois de la bombe fluo. Bref, je voulais dire que parmi les innombrables traits de la bêtise qui accompagne la jeunesse de notre époque, il est en un montant, comme les trends de la Bourse, assez constituant d'un autre défaut, plus général celui-là, et qui est le défaut de méthode, ou l'incapacité à penser correctement, j'y reviendrai.
Ce trait donc, c'est de confondre la caractérisation formelle, et la caractérisation morale. Une petite fille, voyant une photo d'Hagrid (personnage de la série Harry Potter, ineptie à la mode chez les jeunes décérébrés, pléonasme) :
s'écrie : " Oh mais on dirait mon père". Ses camarades la tancent :" Tu es méchante, on ne dit pas ça de son papa". La fille éberluée se tait pour le coup, car quelques minutes avant, elle avait dit que son père pesait 144 kg, ce qui lui avait attiré une première volée de bois vert : " Tu es méchante, ça ne se fait pas, on ne dit pas ça de son papa."
Or il se trouve que tout ce qu'elle a dit, dans un cas comme dans l'autre est strictement vrai. Son père, sosie d'Hagrid, pèse cette masse Il ne reste donc plus à la petite fille, dans un tel monde, qu'à se taire, puisque la description de la réalité, l'énonciation de la vérité est réprouvée.
Le mécanisme est évident. Incapables de la mobilité de pensée nécessaire pour imaginer une personne différente d'une mannequin pour T-shirt et baskets, les petits camarades pensent qu'il s'agit d'une moquerie. Bien.
Là où c'est plus grave pour le peu d'avenir qu'il leur reste, c'est qu'on s'attire le même résultat en disant : " Cet homme est noir". Dites cette phrase en présence de porteurs de logos publicitaires textiles, et vous allez entendre : "Mais t'es raciste".
Bien entendu, l'homme est noir, au même titre qu'un vêtement ou un meuble, c'est comme ça. Le mécanisme est ici le même : "Il dit de cet homme qu'il est noir, or ce n'est pas bien, donc nous sortons le mot qui correspond à ce moment là".
Mais qu'est-ce qui n'est pas bien exactement, ici ? Il y a deux possibilités et elles ne sont pas complètement exclusives l'une de l'autre, elles forment un groupe.
La première c'est : " Il dit de cet homme qu'il est noir, or ce n'est pas bien de dire de quelqu'un qu'il est noir"
Ici nous avons l'expression d'une ignorance. Le jeune dit "black", il a vaguement compris qu'on disait cela pour être sûr de garder la bouche propre, ne pas risquer de prononcer les termes péjoratifs "négro" qui emmènent en prison, et signifier aux autres qu'on est dans le bon camp, donc dans le doute, il attribue la connotation raciste à tout ce qui n'est pas le bon terme, histoire d'être clean avec la censure. Crétin, apeuré, mais logique.
La seconde c'est : " Il dit de cet homme qu'il est noir, or ce n'est pas bien d'être noir. ". Et on finit le syllogisme par : " Donc c'est une insulte (mais pour le coup générale, et non plus raciste, cf. l'exemple d'Hagrid) que de le servir à une personne". Évidemment, on me dira que c'est un contresens évident, énorme, qu'il barre la route comme un camion en travers de la rue dans un hold-up avec John MacClane, mais tout de même, je pense qu'il en traîne comme une fumée dans le réflexe.
Et c'est là que j'y vois le retour de l'hydre.
En fait, pourquoi est-ce mieux d'être "black" que d'être " noir " ?
Parce que être "black", c'est être un cosplay, c'est être un personnage de WOW. Choisis ton perso, le nain à la hache, l'elfe agile, choisis qui tu veux, mais parmi la galerie qu'on te présente. Sois qui tu veux dans les 6 personnages que te propose la société.
Soie le nègre sympa, le gros rigolo, le petit bigleux, le gros musclé, le Superman, le Dark Vador, mais surtout, reste bien dans la galerie des personnages de Disney, des figurines, mugs, T-shirts et potiches immobiles au dessus de la cheminée qu'on t'as vendus. Sois ce que tu veux dans la limite de ce qu'on t'autorise comme fantaisie, c'est à dire le catalogie des produits dérivés.
C’est une chose qui m'avait frappée il y a très longtemps, cette injonction faite par la société anglo-saxonne à sommer l'individu de se choisir un costume pour la vie. Tu veux faire de la gym ? Ok, alors tu seras Monsieur Muscle qui joue dans tel film, tu porteras tel type de jogging, telles chaussures, tel type de sac, de vêtements, de lunettes, de voiture, de maison, de femme, d'amis, d'opinions, de tout.
Tu veux faire de la musique ? Ok alors tu seras le saxophoniste séducteur de tel film, tu porteras tel type de blouson, tel chaussures, tel type de sac, de
vêtements, de lunettes, de voiture, de maison, de femme, d'amis,
d'opinions, de tout. Tu iras voir ces spectacles, t'abonneras à ces chaines de télé etc.
Chaque fois que je voyais un américain, je voyais un exemplaire de ces 6 modèles de personne entre lesquels ils doivent choisir, comme dans les pays de l'Est, quand il devait choisir entre deux ou trois modèles de voiture. C'était toujours un des mêmes.
Mais surtout ce qui était incroyable, c'est qu'une fois une partie du costume adoptée, il fallait être cohérent, et tout le reste devait suivre. L'idéal du moi, c'est le cosplay, c'est de devenir Sailor Moon, de s'effacer totalement au prodit du personnage. On ne s'habille pas "juste à côté" du cow-boy de Toy Story, on achète son costume.
Mais surtout ce qui était incroyable, c'est qu'une fois une partie du costume adoptée, il fallait être cohérent, et tout le reste devait suivre. L'idéal du moi, c'est le cosplay, c'est de devenir Sailor Moon, de s'effacer totalement au prodit du personnage. On ne s'habille pas "juste à côté" du cow-boy de Toy Story, on achète son costume.
Être "black", c'est comme être "gay", c'est acheter le costume, ça veut dire vous avez le droit de vous déguiser, mais vous choisissez le costume dans le catalogue, soyez ce que vous voulez, mais pas de vagues, vous restez dans votre page. Être un "black", c'est être un noir sage, domestiqué, qui a tourné le dos à sa véritable identité, en échange de l'égalité des droits, il a gagné le devoir de fermer sa gueule.
Être un "gay" c'est être un pédé sage, bien coiffé dans son coll en V, qui encule bien sagement son petit copain pacsé, et qui ne fait pas de bruit le matin dans le parking avec sa Zoé. Il fait désormais ce qu'il veut dans notre belle démocratie, mais il ne fait pas complètement ce qu'il veut. Faut que les voisins disent qu'ils ne font pas d'histoires, qu'ils sont comme les autres. Bon, on ne les a pas encore invités à dîner, parce qu'on n'a pas préparé les réponses aux questions des enfants, mais bon...
Bien sûr, il ne s'agit pas de régresser, et de souhaiter en revenir au fouet ou à la prison qui ont encore cours dans certains pays. Il s'agit d'inciter à exercer un regard vigilant sur la conquête de certaines libertés. Lorsqu'elle se démocratise, cette conquête se banalise et cette banalisation s'accompagne d'une soumission et d'une standardisation qui précèdent la marchandisation, comme le marchand portugais le jésuite, l'un emmène l'autre dans sa cale.
C'est le remplacement d'un modèle de société par un autre, c'est comme ça, c'est le sens de l'Histoire. Les Grecs avaient déjà professionnalisé le statut d'aimé dans les relations entre un ado et son parrain plus âgé. C'était aussi devenir un modèle social.
Tout cela pour observer qu'on revient à ce que je disais sur la similitude de la construction sociale et celle du langage : de même que l'utilisation collective d'un mot tend à en faire, à fin de pouvoir l'utiliser, une chose consensuelle mais "consensuellement fausse", comme en dézoomant d'une carte, on trouve un nom en grosses lettres qui désigne "vaguement" une chaîne de montagnes, de même les positions sociales, on pourrait dire les "valeurs positionnelles symboliques" forment dans la représentation sociale un modèle simplifié, une sorte de jeu de molécules, ou de planétarium dans lequel, pour exister, on doit devenir la figurine simplifiée de son personnage.
En la rendant observable, on fixe la particule sur une valeur absolue de son état, de même que si l'on veut rendre un concept "comestible" pour l'épistémé, on doit en faire une représentation simplifiée. Cette représentation prend alors une valeur symbolique. On se fige dans un petit soldat de plomb, mais au moins on peut apparaître sur le champ de bataille.
Pour revenir à Hagrid, on pourrait faire observer que lui aussi est un personnage de film. Mais c'est le repoussoir, le gros barbu, sale et libre dans sa cabane, l'anti mannequin de Tshirt, casquette et baskets, l'anti CBI. Et pourtant, on en a besoin pour définir l'anti-héros. Et puis il sauve tout le temps les enfants. Comme si le destin des autres figures paternelles étaient de devoir tomber dans le côté obscur de la force et de les persécuter "sans responsabilité", figurines elles aussi manipulées par le fatum.
Le consumérisme n'a fait que reprendre l'entreprise des soldats de plomb. On n'est plus sergent de ville, on est gardien de la paix, mais peu importe. Ce qui compte c'est d'accepter l'aliénation, d'accepter l'emprisonnement dans une catégorie. Le serial killer tue parce que son personnage le fait. Hannibal Lecter justifie et sanctifie Nordal machintruc. Il a au moins une place dans la société, et on peut se demander si ce n'est pas pour cela qu'il tue des gens, pour en avoir une à tout prix.
Cela me rappelle l'histoire du sens des prénoms. Il y a des pays dans lesquels les prénoms donnés au enfants signifient quelque chose. Il faut appeler sa fille "fleur de ceci" "pétale qui vole", "nuage de machin qui pleut dans la salle de bains depuis le plafond du voisin".
Bref, j'imagine l'étonnement de ces gens face à nos prénoms.
- Cela signifie quoi, " Jean-Pierre " ? " Rien". "Rien ? " - Rien. (Bon, il y a l'histoire des saints)
C'est comme si on leur disait : " Et alors votre fille, elle est quoi ? Hermionne, Arwen, Galadriel, "Rien, Personne", et votre fils, c'est quoi son métier ? " Rien, il travaille mais c'est un métier qui n'a pas de nom". Ah bon.
"Et votre fils il fait quoi ? " - Rien
"Et votre fils, il est quoi ?" - Rien.
On ne peut pas "être" n'importe quoi. On ne peut "être" qu'un des attributs qui va derrière, ce qui se résume à une des figurines du catalogue. Pour en revenir aux trois aspects, dire "Je suis une tomate" est tout à la fois un signe de délinquance linguistique, épistémologique et sociale. C'est porter atteinte à un consensus qui possède une syntaxe souterraine, une logique causale dans la taxinomie, et un aspect moral dans le fait de ne pas violer ces conventions.
Et écrire un article qui commence dans les Étincelles Abandonnées et qui termine dans le Pistolet à Colle, ça mérite le fouet :)
Remarque, je peux m'absoudre en disant que j'illustre la colle qu'il y a entre Hagrid et une tomate, ce qui justifie le nom du Pistolet à Colle.
C'est le remplacement d'un modèle de société par un autre, c'est comme ça, c'est le sens de l'Histoire. Les Grecs avaient déjà professionnalisé le statut d'aimé dans les relations entre un ado et son parrain plus âgé. C'était aussi devenir un modèle social.
Tout cela pour observer qu'on revient à ce que je disais sur la similitude de la construction sociale et celle du langage : de même que l'utilisation collective d'un mot tend à en faire, à fin de pouvoir l'utiliser, une chose consensuelle mais "consensuellement fausse", comme en dézoomant d'une carte, on trouve un nom en grosses lettres qui désigne "vaguement" une chaîne de montagnes, de même les positions sociales, on pourrait dire les "valeurs positionnelles symboliques" forment dans la représentation sociale un modèle simplifié, une sorte de jeu de molécules, ou de planétarium dans lequel, pour exister, on doit devenir la figurine simplifiée de son personnage.
En la rendant observable, on fixe la particule sur une valeur absolue de son état, de même que si l'on veut rendre un concept "comestible" pour l'épistémé, on doit en faire une représentation simplifiée. Cette représentation prend alors une valeur symbolique. On se fige dans un petit soldat de plomb, mais au moins on peut apparaître sur le champ de bataille.
Pour revenir à Hagrid, on pourrait faire observer que lui aussi est un personnage de film. Mais c'est le repoussoir, le gros barbu, sale et libre dans sa cabane, l'anti mannequin de Tshirt, casquette et baskets, l'anti CBI. Et pourtant, on en a besoin pour définir l'anti-héros. Et puis il sauve tout le temps les enfants. Comme si le destin des autres figures paternelles étaient de devoir tomber dans le côté obscur de la force et de les persécuter "sans responsabilité", figurines elles aussi manipulées par le fatum.
Le consumérisme n'a fait que reprendre l'entreprise des soldats de plomb. On n'est plus sergent de ville, on est gardien de la paix, mais peu importe. Ce qui compte c'est d'accepter l'aliénation, d'accepter l'emprisonnement dans une catégorie. Le serial killer tue parce que son personnage le fait. Hannibal Lecter justifie et sanctifie Nordal machintruc. Il a au moins une place dans la société, et on peut se demander si ce n'est pas pour cela qu'il tue des gens, pour en avoir une à tout prix.
Cela me rappelle l'histoire du sens des prénoms. Il y a des pays dans lesquels les prénoms donnés au enfants signifient quelque chose. Il faut appeler sa fille "fleur de ceci" "pétale qui vole", "nuage de machin qui pleut dans la salle de bains depuis le plafond du voisin".
Bref, j'imagine l'étonnement de ces gens face à nos prénoms.
- Cela signifie quoi, " Jean-Pierre " ? " Rien". "Rien ? " - Rien. (Bon, il y a l'histoire des saints)
C'est comme si on leur disait : " Et alors votre fille, elle est quoi ? Hermionne, Arwen, Galadriel, "Rien, Personne", et votre fils, c'est quoi son métier ? " Rien, il travaille mais c'est un métier qui n'a pas de nom". Ah bon.
"Et votre fils il fait quoi ? " - Rien
"Et votre fils, il est quoi ?" - Rien.
On ne peut pas "être" n'importe quoi. On ne peut "être" qu'un des attributs qui va derrière, ce qui se résume à une des figurines du catalogue. Pour en revenir aux trois aspects, dire "Je suis une tomate" est tout à la fois un signe de délinquance linguistique, épistémologique et sociale. C'est porter atteinte à un consensus qui possède une syntaxe souterraine, une logique causale dans la taxinomie, et un aspect moral dans le fait de ne pas violer ces conventions.
Et écrire un article qui commence dans les Étincelles Abandonnées et qui termine dans le Pistolet à Colle, ça mérite le fouet :)
Remarque, je peux m'absoudre en disant que j'illustre la colle qu'il y a entre Hagrid et une tomate, ce qui justifie le nom du Pistolet à Colle.
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