Ce billet fait d'une pierre deux coups.
Destiné à égrener quelques généralités sur le monde de l'art en général, et à encombrer plus encore celui des réflexions sur l’œuvre en particulier, évitant soigneusement la musique, la danse et l'art dramatique, il sert également à soutenir le propos de ce billet, en lui adjuvant des références, externes et donc par là sans pour autant en alourdir le contenu.
On peut donc voir le texte ci-dessous comme une tentative pour identifier les axes selon lesquels il est possible de situer la position d'une œuvre. A fin de catégoriser cette position, ou pas.
On peut le voir également comme une tentative pour, ramassant les précédentes observations et monter cette fois selon un axe qui les transcende, plaider que la meilleure manière d'atteindre un objectif est de s'en éloigner (sphère dont le centre est partout etc.).
Le hasard (et l'intervention)
Une des modalités de présence du oui et du non, est le degré d'intervention dans le geste qui dispose les formes. A ma gauche, justaucorps rouge et cagoule jaune, le zéro absolu de l'intervention, c'est à dire la personne qui n'existe pas artistiquement.
Et je pense que c'est la forme d'art la plus répandue.
Il y a ensuite l'artiste qui remarque, qui sent fugitivement, et ne fait rien. Nous avons ensuite celui qui contemple, mais toujours sans intervenir. Nous avons ensuite le photographe, qui cadre, et indique par ce cadre une forme dans les nuages.
Puis, poursuivant le panorama, toute la gamme des "interventionnistes", ceux qui soulignent le nuage, le colorisent, ou répandent des substances ou des objets les uns sur les autres pour constituer des choses remarquables, jusqu'à cette tentative pour s'inclure soi-même dans un prétendu invisible, artiste chinois dont j'ai oublié le nom. Mais bon, sans fermer la portes aux heureuses coïncidences et accueillant les cadeaux du hasard avec une neutralité plus ou moins bienveillantes, le grand peuple des maladroits avec leurs complaisances, et des chanceux inspirés.
Enfin à ma droite, Zarak, tout de noir vêtu, représente les perfectionnistes qui reproduisent une photo touche à touche, font des puzzles ou des tesselles, de la broderie ou autre technique ne laissant plus au hasard qu'une place qu'ils souhaitent minime.
Et Dieu leur en donne autant. Non son sommeil, mais pendant leur sommeil.
Il y a autant de lumière dans la nuit que dans le jour, de matière dans l'être que dans le néant, et de richesse créative dans la contemplation que dans la création.
Les autres (et moi)
Évidemment, là vous allez hurler. Je vous entends d'ici : " Oui, "les autres", c'est vaste. D'ailleurs c'est qui ? Les autres avérés, les autres supposés, devinés, esquissés, entr'aperçus, sans parler du temps, la postérité supposée au moment de l'élocution, etc. ?"
Mais vous tirant une langue de vingt-cinq mètres de long se déroulant avec la nonchalance d'un jeune éléphant, je garderai cela en bloc, c'est à dire toutes les tentatives, avortées ou pas, avouées ou non-avouées, ou plus ou moins avouées, qui peuvent constituer tout, ou partie seulement des motivations que l'on se donne consciemment ou inconsciemment, ou concerner tout ou partie d'une œuvre, ou seulement son envers, ou motivations pour commencer de créer, pour continuer, pour cesser de créer, toutes les tentatives donc qu'on peut relever, associées à une œuvre d'art, qui feraient dire que son auteur a cherché à travers cette œuvre à dire, qui plus est à dire quelque chose, qui plus et à dire quelque chose aux autres, à parler aux autres, sans qu'on puisse dire si le contenu du message était dans l’œuvre ou ailleurs, ou pour partie ici et pour partie là.
Il s'agit, et les psys auraient sûrement beaucoup à nous dire là dessus, de noter la présence de cette sorte de comptoir, plus ou moins large, plus ou moins haut, plus ou moins flou, sur lequel l'artiste va poser son œuvre, comme le photographe vous pose les photos que vous venez de faire tirer, les laissant à votre jugement, et en premier lieu à votre reconnaissance, comme on vous fait reconnaître un cadavre à la morgue.
Les frontières des modalités selon lesquelles ce geste de mise à disposition est effectué, de bonne ou de mauvaise grâce, ou inconsciemment, ne m'intéressent pas ici, je me contenterai, pour une fois, et pour vingt-cinq lignes à tout casser, mais je vous rassure, mes démons me rattraperont bientôt, d'évoluer dans une frange moyenne de certitude où elles existent et elles sont à peu près, d'une façon consensuellement constituée, et donc sur la plus large base moyennement fausse, admises.
Je voudrais, en contrepartie, me focaliser sur une zone précise de cet espace des autres qui est l'Histoire de l'Art. C'est à dire comment une créatrice " prend en charge", les œuvres et les artistes qui le précèdent. Vous allez me dire : " Encore faut-il, pour qu'elle décide de les prendre en charge ou pas, que ces artistes, ou leur œuvre, soient connus de la créatrice". Certes.
Mais l'aspect qui m'intéresse surtout, c'est un autre volet de la prise en charge, à savoir la prise en charge intérieure.
Une fois connus, comment, dans quelle mesure la créatrice décide de les prendre en charge. et par là je n'entends pas seulement comment sont intégrées les œuvres précédant chronologiquement, et issues d'autres artistes, plus ou moins consciemment, en tant qu'influence, dans sa pratique, mais bien plus la décision de " traiter le problème" soulevé par le prédécesseur.
En admettant en effet que la créatrice sache que Duchamp a sacré tout objet, que tout est oeuvre d'art, pourquoi en faire d'autre puisqu'elles sont déjà là ?
En admettant que la créatrice sache que Filioud et Weiner ont admis que l'oeuvre pouvait tout aussi bien exister dans sa version "non faite", la question est alors de savoir : " Que fais-je, moi créatrice, de ces événements ?".
C'est à dire est-ce que je feins de les ignorer, ou bien je les intériorise, et je vis désormais avec trois petits gardiens, avec mon Duchamp intérieur, avec mon Weiner intérieur et mon Filioud intérieur ?
Une fois que je vis avec mes 3 petits gardiens intérieurs, Caïn sous leur regard, que fais-je de cela ?
D'abord j'en fais un billet à soi tout seul, pour laisser celui-ci se finir.
La série : l’œuvre (et la précédente)
La série est un vaste problème.
Ce dernier commence avec la définition du sens même, comme on peut le lire ici, elle commence avec ce mouvement qu'est la création du sens. Ce saut de l'un à l'autre.
Le sens n'apparaît que lors de la comparaison d'une forme avec une autre. Mais lors du saut, et uniquement pendant le saut. D'où l'importance de la similitude et de la différence, que Foucault a justement placées au cœur du phénomène cognitif.
Ainsi la série commence juste après. Avec son lot de soucis. Il n'y a que deux solutions pour créer après avoir posé une première forme. On ne peut en effet que : soit revenir à la forme ancienne, ce qui nous amènerait à naviguer éternellement entre deux formes, ou bien dessiner une nouvelle forme. Une forme suffisamment-différente pour dire quelque chose, mais suffisamment-semblable pour que ce sens reste compréhensible.
Un des soucis est que le " juste après" ci-dessus suggère que les ennuis ne commenceraient qu' au second mouvement, alors que si prend en compte le zéro initial, c'est en réalité au premier qu'on s'exprime déjà par rapport au rien.
L'ensemble des pièces, produites ou non, par l'artiste fonctionne naturellement, et de facto comme une série. Mais la notion de " précédente" peut renvoyer soit à la pièce qui précède dans le temps, ou à celle qui précède dans l'histoire interne de l’œuvre.
Il est évident que l’œuvre que je crée aujourd'hui a pour précédente celle que j'ai créée hier. Elles ont entre elles une parenté certaine, puisque l'une ne peut pas complètement ne pas tenir compte de l'autre. Mais l’œuvre que je crée aujourd'hui a aussi pour précédente en influence une œuvre que j'ai créée il y a 20 ans, et elles peuvent être séparées par une dizaine d’œuvres qui s'intercalent chronologiquement sans interrompre la filiation.
Ainsi le critique avertit ne lira pas un unique saut, mais plusieurs.
Et à ce titre, il est plus simple, plutôt que de lire la série dans toutes ces dimensions, que l'artiste se plie à la contrainte de faire sa série d'affilée. Ainsi les filiations se superposent à la chronologie, elles s'inscrivent les unes dans les autres en appauvrissant les sauts possibles, dans leur contenu, puisque la maturation de la filiation n'a pas eu lieu.
La série a donc une dimension sociale, maintenant avérée dans la pression effectuée par le corps social sur l'artiste. Elle lui enjoint de produire une œuvre sous forme de série rapide autour d'un thème.
Cela me ravit dans la direction et dans la mesure où cela apporte de l'eau à tous mes moulins, mais cela me chagrine dans la mesure où c'est un appauvrissement, un étiolement, plutôt, de la volonté herméneutique.
On semble dire à l'artiste : " Nous n'avons pas le temps, ni le courage, de comparer une œuvre unique à l'ensemble des œuvres produites précédemment, vous comprenez mon bon, cela commence à s'entasser sérieusement. Alors, vieux, faites-nous une petite série bien tournée, et nous pourrons discuter vite fait autour de vos trois bidules. Allez, hop, et rappelez-moi demain pour me donner le thème."
Ainsi, comme dans les séries télé où le " climax" de l'épisode sera de savoir si Sandy a donné rendez-vous à Arnulf au bar, non-événement dont l'insignifiance totale aurait fait écharper le scénariste dans un film conventionnel, mais qui tient une horde de zombies en haleine dans l'attente de la résolution, au sein d'une série, possède-t-on, dans une suite d'images quasi-semblables, des variations minimes sur lesquelles s'appuyer pour un commentaire qui serait ailleurs tombé dans le vide.
Le jeu de la souricière, pour les enfants, leur permet d'évoluer dans un espace quasi-vide, et de faire le singe quelques instants, le temps d'exercer ses muscles. On finit toujours par faire le cochon pendu dans une souricière, parce que c'est la position qui procure le plus de sensations pour le minimum d'effort, avant de sortir en titubant dans une simple réalité devenue pourtant trop grande, trop riche.
La réalité, justement contient une autre complexité, puisque la " réalité extérieure" est triple. Cette dernière notion, encore largement inexplorée, recouvre d'une part la réalité en tant qu'extérieure à moi (et que je la suppose indépendante de moi, susceptible d'exister sans moi, ce dont je n'ai, je le répète, aucune preuve infrangible), d'autre part la réalité en tant qu'espace où se meuvent les autres, en tant qu'ils pourraient exister en dehors de moi, le substrat de l'intersubjectivité, pourrait-on dire, en ce qu'il entame (mais si peu) ma résistance précédente, et enfin bien sûr la synthèse des deux précédentes.
Lorsque je me bats contre la réalité, je dois donc d'abord me battre pour me prouver à moi-même qu'elle existe en dehors de moi, me battre pour admettre que les autres s'ébattent dans cet espace ainsi évidé hors de moi, et enfin me battre pour me persuader que je suis en droit de leur communiquer ainsi, à eux, mes impressions concernant cette réalité tierce qu'ils semblent également avoir admis (mais il doivent, ou devraient, faire ainsi s'ils veulent m'en convaincre, ou " ils n'en useraient pas autrement s'ils voulaient m'en persuader", etc. perseverare diabolicum, je sais :)
Soi-même
A tout seigneur, tout honneur, nous finirons par la pièce manquante du puzzle, celle qui renvoie à la " réalité", comme on vient de le voir par la plus ou moins consciente représentation que sa plus ou moins consciente conscience fait au sujet de la réalité " extérieure".
Celle qui renvoie au hasard, lequel appartient aux éléments de cette catégorie alors définie, lequel semble tour à tour nous servir et nous contrer, et que nous nous employons à circonvenir à l'aide d'idées bien connues comme la volonté, la chance, la grâce etc.
Celle qui renvoie aussi et surtout aux autres, et notamment à leur présenter la façon que nous avons de nous représenter ou de ressentir la réalité extérieure. Le partage de subjectivité que nous permet la représentation de la réalité, de mettre à l'épreuve cette représentation, de la mettre à l'épreuve de l'intersubjectivité.
Quelles que soient les frontières entre moi et le monde, et les frontières entre moi et les autres, l'interface d'échange sera "problématique". La commune humanité que je vais avoir à gérer avec le monde et avec les autres, que je naisse riche ou misérable, aimé ou torturé, se posera en gros à moi dans les mêmes termes.
Et quelle que soit ma façon de répondre à ces problèmes, elle aura maille à partir avec la création. Quelle que soient la nature de ma relation avec les autres, au monde, que cette relation se déroule dans la souffrance ou dans le confort, dans la gêne ou le désarroi, une partie de la réponse, et des échanges se déroule sur le mode esthétique.
L'esthétique de la respiration, ou celle du temps. Je dispose (ou non, je meurs sous le couteau qui me tranche la gorge) de temps pour respirer. Esthétique des plaisirs simples : On me laisse boire et manger, et ainsi de suite, tous les étages du confort.
Qu'il s'agisse la plus mince pellicule de liberté donnée au prisonnier de se retourner sur le sol de sa cellule, jusqu'à la plus grande latitude donnée au milliardaire Roussel pour écrire certains de ses livres, il y a un espace d'échange où je propose à l'autre de se communiquer nos "représentations de la réalité", des façons de se mettre en contact direct avec un extérieur, que ni lui, ni moi, ne connaissons.
Bref, de ce soi-même, il faut encore décrire trois versions, celui qui se pense dans le présent, se remémore son passé, et se projette dans l'avenir.
Et comme on le verra, on aurait, presque, pu écrire que la création artistique a pour objet de nous connecter à la réalité par une autre voie que celle du langage articulé. Par une autre voie, c'est à dire en passant par dessus les catégories assignées par la représentation des mots et l'édifice ainsi construit.
On aurait pu, car on le voit ici, il faut ce méfier de ce mode de pensée.
Il faut s'en méfier par ce qu'il superpose deux univers. Il les superpose parce qu'il restreint l'un des deux, les plus grand, de façon à le faire coïncider avec le plus petit. Et cette erreur est commune à notre représentation de l'univers par la science, laquelle est facilement trahie car elle se soumet à notre représentation par le langage. La représentation par l'art, elle, lutte pour réouvrir l'espace initial qui est senti, comme toujours existant, par l'être en nous qui préexistait à sa colonisation par le langage articulé.
Cette restriction est basée sur l'illusion qui nous aveugle et qui nous interdit de voir que tant que nous utilisons pour échanger sur la réalité, des outils qui ont sur la réalité les mêmes présupposés cognitifs, nous échangerons à l'intérieur de l'espace des possibles définis par ces outils, et nous resterons dans l'illusion de partager une réalité extérieure commune, au lieu de cerner les limites que cet outil cognitif nous permet d'avoir sur la réalité " extérieure".
La relativité et la physique quantique sont des brèches dans cette certitude. Et la venue de l'Observateur est le messie de la pensée moderne. C'est comme une voile qui fasseye au vent, et qui s'est retournée.
Je fais juste observer qu'elle est contemporaine du retournement artistique, la pensée moderne devenant en art celle de l'aventure intérieure, au moment de dé-représenter ultimement la réalité, au choc égal de la vision asiatique, qui a fini de bouter la position sujet/objet hors de soi :)
Alors vous allez me dire que non contente de ne pas traiter mon sujet initial, je l'ai perdu de vue, en ce qui concerne le fameux focus sur la prise en charge.
Certes, je vais donc y revenir. Mais vous allez voir que j'avais besoin de ce détour. C'est parce que je vais isoler les éléments de réponse sous la forme de trois courants, qui se jettent l'un dans l'autre, car les influences se " réinjectent " les unes dans les autres.
Pour simplifier, nous allons caricaturer un peu. Il le faut.
Dans quelques instants, ce sera le jambon
Les fleurs des Dieux,
Je gobe de lumineuses
Initiation pantalon
Pantalon !
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