On m'a proposé d'être présidente du Monde, mais nous ne sommes pas parvenus à un accord quant aux avantages (couleur des montures des 3 paires de lunettes de soleil remboursées par la mutuelle, longueur de la trottinette de fonction etc.).
Marrie que ce projet achoppe sur des détails mineurs, je tenais à partager avec la population de la planète quelques points essentiels de mon programme.
Même si ce qui va suivre a un fort relent de saumon, leur rédaction n'a pas voulu de ce papier. Je regrette ce choix, mais je respecte leur ligne éditoriale.
Donc si j'étais présidente du Monde, je m'efforcerais d'avoir un programme qui ne plaise à personne.
C'est à dire que je prendrais soin de bâtir une société que tout le monde rejette, et où chacun se sente spécialement mal à l'aise.
Pourquoi ?
Parce que si les gens se sentent mal à l'aise et que j'arrive à les persuader que c'est de leur faute, ils s'en accuseront et il ne leur viendra pas à l'esprit de me remettre en question. S'ils sont heureux, épanouis par un système qui leur plaît et qui leur donne envie de faire mieux, ils risquent de le changer, et moi avec.
Mais comment mettre en place un tel projet ?
C'est plus simple qu'il n'y paraît.
Vous basez le développement de la société sur des idées fausses, par exemple que le bonheur vient par l'achat d'objets en plastique avec des piles qui permettent d'y faire clignoter de petites lampes en façade.
Si vous arrivez à laver le cerveau des gens suffisamment en profondeur, vous obtiendrez qu'ils y sacrifient le reste de leur vie, c'est à dire qu'ils acceptent de passer leur temps à acquérir une voiture qui leur permettra d'aller travailler, et d'acheter avec le fruit de ce travail, de l'argent donc, les produits que vous leur vendez.
Ainsi les gens auront absorbé leur vie, englouti tout leur temps disponible, et ne créeront plus rien par eux-mêmes.
Leurs facultés créatives diminueront, ils n'imagineront plus rien de nouveau, et la mécanique s'entraînant d'elle-même, ils seront de plus en plus disposés à acheter la prochaine version du joujou électronique distribuant automatiquement de la musique, oubliant ainsi d'apprendre par eux-mêmes à jouer d'un instrument, disposés à acheter des films faits par d'autres alors qu'ils n'apprendront plus à lire pour imaginer des histoires.
Bien entendu, l'argent que je gagnerai ainsi me permettra d'accroître ma puissance marketing et de développer mon programme.
Cette privatisation s'accompagnant d'un désengagement de l'Etat, j'aurai des fonds disponibles pour encourager le développement d'un tissu de micro-associations locales qui prendront le relais sur le terrain, et je prendrai soin de briser les chaînes verticales qui rassembleraient les gens autour de valeurs concernant un territoire plus grand que leur village.
Ramener la culture, la politique, à l'échelon le plus petit possible permet de ringardiser la culture et la philosophie, tout en laissant un fantôme de civilisation. L'être paraît donc socialisé, mais en réalité, il redevient un unicellulaire.
Il est donc enfermé dans une cellule où la seule solution pour se sentir bien est l'uniformité avec les autres cellules. Toute " asocialité", singularité, toute initiative réellement créative, c'est à dire favorisant l'apparition de formes de pensée nouvelles, doit provoquer le malaise d'être inadapté.
Or ne l'oublions pas, j'ai dessiné le système, dès ses axiomes de base, pour que tous s'y sentent mal à l'aise. S'y sentir bien est par définition impossible. Donc par un effet d'entonnoir, ce malaise va se glisser dans son contenant catégoriel qui est le péché d'inadaptation.
Il n'y aura donc, plus, et cela se fera aussi quasi naturellement, à associer cette inadaptation à une inadéquation dans les objectifs. En effet, à côté de l'exclusion sociale, qui punit l'inadapté de son refus de se plier aux règles, et dont la terreur prospective sert à garder le gros du troupeau dans le pré, il y a l'exclusion culturelle. Il faut que celui qui pense différemment, qui apprend à penser autrement, se sente également spécialement mal à l'aise, il faut qu'il se sente inutile.
Mais une fois que le sentiment de rejet aura été culpabilisé, le pari est gagné. Je crée une société dont les règles n'arrangent personne, et je crée un malaise chez tous. Ensuite je culpabilise ce malaise, en l'isolant sous forme de problème individuel : " Ce n'est pas la société qui te pose un problème, c'est toi qui lui poses un problème en étant inadapté", et ainsi je ventile le malaise en le projetant dans des catégories individuelles : tu es hyperactif, dépressif, anxieux, anorexique, hypertendu, hypotonique, pas assez ceci, trop cela, bref individuellement, tu n'es pas bien, tu es malade, alors on va rembourser tes médicaments, mais pas trop non plus, tu vas les payer toi-même.
Alors on me dira avec raison que sous cette apparente simplicité, des problèmes se posent.
Le plus évident est que ce grand nombre de malades, enfermés dans la cellule de leur tête, passant leur temps à culpabiliser de ne pas bien aller, va finir par se voir.
On va finir par entendre des questions telles que : " Pourquoi les psys ne participent pas à la politique ? "
En effet, le scandale pourrait éventuellement confirmé par les psys. Pourquoi ne les entend-t-on jamais que pour tenter de se démêler des accusations d'incompétence quand ils ont laissé filer un meurtrier au lieu de le faire encabaner ?
Pourquoi n'entend-t-on, je ne pense pas me tromper, quasiment jamais, les psys sur les grands media ? En tant que sociologues, j'entends, en tant que remonteur d'informations, collationneurs, alors qu'on est au courant minute par minute de l'état de santé de chaque joueur de football ?
Pourquoi la pratique médicale psy est-elle cantonnée à une sorte d'acte commercial, comme le fast-food ou la prostitution ? Je t'achète un service, je paye, c'est entre adultes consentants, personne ne se plaint, tout le monde est content, donc la personne publique ne s'en mêle pas.
Pourquoi faut-il attendre d'un type tue quelqu'un pour que cela sorte du cabinet ? J'entends bien le souhait des médecins, et avec raison ils s'opposent à l'ébruitement de ce qui s'y passe. Ils ne sont pas des auxiliaires de police j'entends tout cela.
Ce que je ne comprends pas c'est qu'ils deviennent bien des auxiliaires de justice, mais trop tard. Seulement quand les gens sont devenus alcooliques, fous, assassins, suicidaires...
Vous avez raison.
Il faut que la prise en charge psychologique et affective de l'individu soit faite le plus tard possible. En effet, elle devient alors impossible, coûteuse, et il faut repasser dans le circuit médicament. On a pu jusqu'ici juguler le phénomène en inondant les organismes d'antidépresseurs, d'anxiolytiques, de coupe-faim, de cosmétiques (rouge à lèvres...), de drogues (alcool, tabac) à doses massives et en amenant les gens à payer pour les drogues qui compensent le mal-être dans lequel on les fait vivre, ce qui contribue à faire tourner l'économie;
Si, comme on le fait pour la santé physique, on suivait l'enfant au plus tôt pour détecter les problèmes. Si, comme on le fait pour la santé physique, on surveillait l'environnement affectif de l'enfant. Si, comme on le fait pour la santé physique, on se posait la question de savoir pourquoi un enfant est malheureux ou déséquilibré, cela présupposerait que la société a pour devoir de rendre les gens heureux.
Le fait qu'on néglige la santé psychique et affective des enfants le plus longtemps possible, le plus tard possible, jusqu'à ce qu'il ne soit plus temps qu'avec des châtiments physiques, comme on battait les fous, jusqu'à ce que tout ne se résolve qu'en termes de suicide et de prison, prouve que le devoir pour la société de rendre les gens heureux n'est pas à l'ordre du jour.
Pire, que ce n'est pas un objectif.
Et ne vous croyez pas à l'abri, les riches, avec vos belles maisons, vos belles voitures, et vos vacances au soleil. Vos stérilités de couple, vos AVC, vos cancers, vos crises cardiaques, parkinson et autres ne sont que les punitions corporelles pire encore de vos corps, de votre malaise plus profondément enfoui encore.
Vous avez raison, mille fois raison. C'est un facteur de risque et j'y veillerai.Quant je serai présidente, je veillerai à ce que tous, enseignants et élèves, soient évalués régulièrement pour que tous se sentent également mal à l'aise, et qu'ainsi le malaise social ne me soit pas imputé.
L'individu se dira : " Je suis mal à l'aise parce que je ne suis pas assez performant pour contribuer efficacement au développement de l'économie et de la croissance, je doit me corriger avec l'aide des médicaments".
Un autre risque de mon système est qu'il engendre sa perte faute de combattants. En effet, ces hordes de dépressifs ne deviendront plus bons à grand chose et ils iront grossir les rangs des chômeurs. Je ferai supporter ce poids aux systèmes publics locaux (autrefois appelés Etats) mais cette résistance a une limite.
Pour pallier cela, je fragmenterai le travail en petites tâches individuelles, afin que ces dernières puissent être exécutées par des personnes sous-qualifiées que seront les zombies sous anxiolytiques, trop heureux d'avoir un quart de temps à quelques euros par mois pour oser se dire " Mais qui suis-je pour réclamer plus que ce qu'on veut bien me donner ?".
Il faut donc mapper toutes les activités professionnelles sur des procédures, que les gens suivront pas à pas, assistés au besoin par des systèmes d'information qui les guideront, corrigeront leurs erreurs, et reporteront les indicateurs des tableaux de bord sur la performance du système d'assistance par ordinateur. J'étendrai ce CAM (Computer Assisted Management) du haut en bas de l'échelle, de façon à ce que seule une Elite Coders aient besoin d'accéder aux patterns de design du système.
Bien... Je crois que tout est bouclé. Chimiotiser toutes les thérapies et procéduraliser l'espace de décision, il y en a pour un quinquennat à tout casser.
Je suis prête pour le prochain, aaaaaaaaaaaaaattachez vos ceintures, et si vous voyez dans votre tête un panneau " autorisez-vous le programme de Natacha à s'exécuter ?", cliquez sur ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii, et vous aurez une double dose de tramadol gratuite dans votre prochaine injection.
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