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mardi 21 avril 2020

Réservé à la consultation sur place

Résumant dans un simple geste l'étrange dialogue qu'il entretenait avec l'autorité depuis son enfance, sa main s'avançait en tremblant vers les livres dont le dos était marqué d'un point rouge. 




Il ne fallait pas voir là une tentative hésitante pour se lancer le défi d'arriver à l'emprunter tout de même, ni même de se faire refouler, ni même de provoquer le refus, ou la confrontation, non, c'était simplement le fait de prendre justement celui-là, alors qu'il savait très bien, alors qu'on le lui avait marqué, choisir, tout de même, pour exprimer son choix, fût-ce voué à l'échec, celui-là.

Ils les avaient simplement rendus plus précieux encore. Et ils se gardaient pour eux les livres les plus précieux. A part bien sûr les anciens, ou ceux qui étaient en réserve. Il leur suffisait de mettre un point rouge pour se le garder pour eux, tout de même c'était quelque chose. Dans une bibliothèque, en plus.

Une bibliothèque universitaire, c'est un peu au laïc ce que la cathédrale est au catholique : là sont les Espèces, là on communie. On y chuchote dans l'adoration des très-hauts auteurs. Il y a les Saints, ceux qui ont une étagère, voire un rayon. A Rennes2, ils sont bien fournis en Freud, mais Lacan est mal traité, je trouve.

Enfin, j'exagère, bien sûr. J'ai horreur des gens qui parlent ou font du bruit dans les bibliothèques. Sacrilège. Même dans les petites boutiques vitrées où l'on a le droit de travailler en groupe. C'est mal isolé. Et puis tout le monde pianote maintenant, on se croirait chez Pigier.

Je me mets toujours dans l'endroit le plus sombre ou le plus silencieux. Sauf à la Sorbonne, quand je picorais la Grande Encyclopédie, dont les in-folio sont à même le sol, j'allais juste au banc le plus proche, en faisant, comme ses volumes, le tour de la salle. Je me souviens avoir passé une journée des plus agréables sur " Eon", et notamment le chevalier.
J'ai toujours rêvé d'habiter une bibliothèque. D'avoir mon appartement attenant avec duplex au dessus, sur le toit-terrasse, auquel j'accède, une fois le public parti, par une porte dérobée. Avec la complicité des bibliothécaires.

Et là, je ne peux même pas emporter un "point-rouge"... La vie d'ici-bas est bien imparfaite... Quant à ceux qui empêchent la liberté d'expression, ils prétendent décider du fonds. Et de quel droit ? 

Du droit du plus fort, on l'a vu, le seul qui tienne, on l'a vu aussi.





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