De ce titre barjavelien est désignée la période actuelle, par l'un des lycéens du petit groupe où j'ai l'habitude de prendre la température, comme on dit chez nous. L'échantillon est bien faible, mais déjà édifiants sont les résultats ramenés par la sonde qu'on y trempe.
Mes questions portaient sur 3 points : le ressenti global sur l'enseignement à distance, les devoirs par correspondance, et les impressions laissées par le futur.
Le ressenti global pourrait être illustré par l'image d'un bateau dérivant lentement dans la brume, et s'éloignant d'une île près de laquelle il était à l'ancre. Les passagers du bateau, voient l'île s'éloigner un peu chaque jour, sa silhouette disparaître et se fondre dans la brume, sans réaliser que ce n'est pas l'île qui s'éloigne, mais leur bateau partant à la dérive.
Peu soucieux du fait, ils jouent sur le pont où la brume les emmitoufle et les isole, plancher qui glisse dans l'espace ouaté des heures de jeux, sans repères autres, dans la douce quiétude d'un cocon familial fait de Minecrafteries et d'Animalcrossings, que les bons repas que Maman a tout le temps de préparer, ou ça et là, les films et les discours du central-autorités, là-bas sur le continent, mais qui arrivent dans la même boîte à images que les coubs, les vines et les pranks, animes et youtouberies, tout sur le même écran, tout pareil.
Peu soucieux du fait, ils jouent sur le pont où la brume les emmitoufle et les isole, plancher qui glisse dans l'espace ouaté des heures de jeux, sans repères autres, dans la douce quiétude d'un cocon familial fait de Minecrafteries et d'Animalcrossings, que les bons repas que Maman a tout le temps de préparer, ou ça et là, les films et les discours du central-autorités, là-bas sur le continent, mais qui arrivent dans la même boîte à images que les coubs, les vines et les pranks, animes et youtouberies, tout sur le même écran, tout pareil.
Ainsi collégiens et les lycéens voient-ils, depuis le pont douillet du bateau familial, s'éloigner l'île du système scolaire, cette terre ancienne où l'on allait, avant, sacrifier à des dieux improbables via d'inutiles trajets en car.
Les moyens mis en place pour assurer la continuité de l'enseignement n'ont pas fonctionné. Pour ce qui est des devoirs, chaque professeur a improvisé sa procédure, et pour ce qui est des retrouvailles collectives, elles sont mortes de leur belle mort, personne ne s'y retrouvant, dans tous les sens du terme, et ce dès le début. Faute d'évaluation du système, chacun se congratule de sa bonne volonté. On est contents de l'élan de solidarité. La communauté humaine retrouvée pataugeant dans ses velléités, c'est bon comme le pain chaud.
Matière par matière, jour après jour, les images de la terre ferme se sont effritées, les amarres distendues, les câbles coupés.
Il ya bien eu une tentative de conférence collective, mais la directrice n'était pas prête. Les élèves ont contemplé les maisons des autres, inaugurant leur premier trip cam voyeur. La directrice a reporté encore. Les gens ont coupé la caméra petit à petit pour éviter aux autres de se délecter de leurs pantoufles trouées. Première et dernière tentative de rassemblement en ligne.
En fait, la période où l'on suivit les consignes, au début, fut surtout l'occasion de tenter d'installer de nouveaux logiciels. En arts plastiques, entre autres, on a installé une application. On a ainsi pu faire sur la tablette ce qu'on faisait sur son téléphone, retoucher des photos, et appliquer des filtres, vert, bleu, rouge, puis on s'est lassé. C'est amusant cinq minutes mais ça fait des années qu'on se fait des têtes de chien sur son téléphone, on est au point en arts plastiques, pas de souci.
En Histoire, comme en bien d'autres disciplines, le professeur est soupçonné de déficience intellectuelle grave. Ces soupçons ne demandaient qu'à être confirmés. Ainsi cette collégienne qui a décidé que le prof d'histoire radote, parce qu'il leur fait étudier le moyen-âge depuis plus de deux semaines.
Il tourne en rond, on va donc se sortir soi-même de cette boucle temporelle où il s'est laissé piéger. Je lui fais remarquer que le moyen-âge, c'est long, et qu'il y a peut-être matière à une longue étude, mais cet argument ne tient pas devant la certitude de la pathologie cérébrale du prof.
En plus il leur a demandé de commenter la robe de Philippe-Auguste sur une image, comme s'il y avait quoi que ce soit à en dire... Non décidément, il est fou, mieux vaut s'éloigner du sujet.
Il tourne en rond, on va donc se sortir soi-même de cette boucle temporelle où il s'est laissé piéger. Je lui fais remarquer que le moyen-âge, c'est long, et qu'il y a peut-être matière à une longue étude, mais cet argument ne tient pas devant la certitude de la pathologie cérébrale du prof.
En plus il leur a demandé de commenter la robe de Philippe-Auguste sur une image, comme s'il y avait quoi que ce soit à en dire... Non décidément, il est fou, mieux vaut s'éloigner du sujet.
Et retourner à la quête de clochettes dans Animal Crossing, ça c'est du sérieux, si on veut acheter une pelle en or.
En Latin, le prof aussi est débile : il leur a donné un livre à lire, et chaque élève doit le passer au suivant après lecture. Mais comment veut-il qu'on se passe le livre avec le confinement ! Là-aussi, on laisse tomber, c'est ingérable. Au fait c'était quoi, ce livre ? Harry Potter, comme d'ab (1). En latin ? Ben oui, les sorts sont des citations latines, c'est bien connu. Mais oui, voilà...
Donc, terminé pour le latin.
Donc, terminé pour le latin.
En Français, on étudie " le théâtre ". Bien ! Voilà qui commence bien, et quel auteur étudiez-vous, ou quelle période ? Aucun, aucune.
En fait on doit écrire soi-même une pièce de théâtre. Ah, bon. Le défi là-dedans était en fait d'arriver à installer Word pour pouvoir ouvrir un document. Et la pièce alors ? Eh bien c'est un croisement entre l'Avare et Animal Crossing, genre une fille qui vole une cassette de clochettes, on croit que c'est elle, mais ce n'est pas elle. Bien. Enfin, apparemment, elle a lu l'Avare. Ou alors la version Harry Potter de l'Avare..., ou rien.(2)
En fait on doit écrire soi-même une pièce de théâtre. Ah, bon. Le défi là-dedans était en fait d'arriver à installer Word pour pouvoir ouvrir un document. Et la pièce alors ? Eh bien c'est un croisement entre l'Avare et Animal Crossing, genre une fille qui vole une cassette de clochettes, on croit que c'est elle, mais ce n'est pas elle. Bien. Enfin, apparemment, elle a lu l'Avare. Ou alors la version Harry Potter de l'Avare..., ou rien.(2)
En SVT, miraculeusement soutenue par la Grâce, elle parvient au site comportant la leçon. Arrivée là : " J'ai vu une espèce d'intestin d'abeille, un intestin de guêpe ou de mouche, c'était dégoûtant, j'ai refermé l'onglet. Exeunt les Sciences Naturelles...
La gymnastique ne nous épargne pas le ridicule, puisque le devoir comportait deux consignes : la première, créer une chorégraphie, se filmer avec son téléphone et l'uploader sur YouTube. Pour une fois que le sport et les technologies numériques convergent, mais hélas non. Ayant vaincu par forfait, la chorégraphie ne sera pas portée à l'écran. "Non mais tu me vois faire une chorégraphie, n'importe quoi".
La seconde consigne consistait à regarder un match de ping-pong sur Youtube. "Pourquoi du ping-pong ?" N'ayant pas obtenu la réponse à cette question, elle n'est pas allée regarder le match. So much pour le sport.
La Géographie, j'ai oublié le sujet, mais je suppose que c'était du même tonneau. Aller regarder une vidéo sur Youtube, je pense.
Ah si, les maths, j'allais oublier. Ce prof est d'ordinaire assez déconsidéré, car il a un fort accent étranger (comme de plus en plus de médecins et d'enseignants). C'est charmant, mais on ne comprend rien à ce qu'il dit (Là c'est assez vrai, j'ai vu des extraits de sa prose). Les mathématiques ont donc été reléguées dès le second cours, au mois d'octobre au rang des cantiques inutiles. Qui a besoin des maths pour jouer à Animal Crossing ?
En plus, ce prof a eu le malheur d'avouer qu'il ne maîtrisait pas le processus de transmission des devoirs. Résultat, une page d'exercices mal scannée depuis un manuel. "C'est tout jaune, on voit rien, et en plus on ne comprend rien à ce qu'il dit". Terminé pour les mathématiques.
Il faut dire que cette année, entre les grèves, les transports, le feu, la peste, et le choléra, ils ont eu quelques cours de chaque matière, mais rien de bien grave.
Voilà.
Non, j'avais oublié la "techno", non, pas le bruit de fin du monde qui accompagne cette nuit d'été où votre père, risquant sa Clio à peine payée dans un ex-champ de betteraves sous les ordres aveuglants des vigiles, a compris qu'il va falloir désormais trouver le moyen d'avoir l'air cool à l'idée que sa petite fille, maquillée comme une voiture volée et habillée comme une héroïne des adaptations de Jarry par Averty qu'il aurait peur d'aborder la nuit dans la rue, a décidé qu'elle avait l'âge de se faire fourrer par un mec défoncé, dans un camping-car, au milieu de la nuit, dans un ex-champ de betteraves, avant, ou pendant, que la caravane des parents cahote à nouveau sur le champ de bataille, où pèse encore, non lavé par le jour, le lourd silence désintéressé qui suit ces moments où l'important était de rester en vie, non pas cette techno là, l'autre, celle qui s'occupe des systèmes vis-écrou, des ressorts des porte-mines, et qui permet de trier rapidement dès la cinquième ceux à qui le manque d'impatience lié à l'absence d'imagination permettra de dessiner correctement un ressort de porte-mine, talent précieux, des autres auxquels il faudra trouver un métier où les échecs sont sans impact sur le monde réel, c'est à dire la quasi-totalité du troupeau de "jeunes".
Non, j'avais oublié la "techno", non, pas le bruit de fin du monde qui accompagne cette nuit d'été où votre père, risquant sa Clio à peine payée dans un ex-champ de betteraves sous les ordres aveuglants des vigiles, a compris qu'il va falloir désormais trouver le moyen d'avoir l'air cool à l'idée que sa petite fille, maquillée comme une voiture volée et habillée comme une héroïne des adaptations de Jarry par Averty qu'il aurait peur d'aborder la nuit dans la rue, a décidé qu'elle avait l'âge de se faire fourrer par un mec défoncé, dans un camping-car, au milieu de la nuit, dans un ex-champ de betteraves, avant, ou pendant, que la caravane des parents cahote à nouveau sur le champ de bataille, où pèse encore, non lavé par le jour, le lourd silence désintéressé qui suit ces moments où l'important était de rester en vie, non pas cette techno là, l'autre, celle qui s'occupe des systèmes vis-écrou, des ressorts des porte-mines, et qui permet de trier rapidement dès la cinquième ceux à qui le manque d'impatience lié à l'absence d'imagination permettra de dessiner correctement un ressort de porte-mine, talent précieux, des autres auxquels il faudra trouver un métier où les échecs sont sans impact sur le monde réel, c'est à dire la quasi-totalité du troupeau de "jeunes".
Donc ce pauvre prof de techno avait eu le malheur de leur demander d'étudier un "pont". Oui, un "pont". Et il avait aggravé son cas en choisissant non pas un truc bien chamarré, une vedette comme le Pont-Neuf, non une obscure passerelle introuvable sur Google, et donc hors du champ humain. Ce travers, conjugué à la tâche de devoir installer "Publisher" pour créer le document du devoir, a scellé le sort du projet. Direction les archives.
C'est pas une fille qui a deux ponts reliant la ville dont elle est maire à la map d'Animal Crossing qu'il faut embêter avec ça, non mais...
Voilà le mois de mars d'une année de cinquième. Rien, ou presque. Des échos, de vagues échos dans la savane, par dessus les hautes herbes. Flonflons de cours emportés par le vent... Accents lointains d'une fête foraine. Cela me rappelle Le Grand Meaulnes.
Tenteront-ils de retrouver le domaine ? Pas sûr... On aurait envie de chercher un responsable, une responsabilité partagée, mais même pas : ce n'est même pas une faute, on ne pèche contre rient, c'est comme après les accidents de voiture, le constat sur les épaves, l'état d'une civilisation qui se demande ce qu'elle fait là, sur le toit en travers de l'autoroute, et cherche des raisons de faire quelque chose.
Dans un futur incertain, les cours reprendront. Un jour, peut-être. Mais c'est pas sûr. Émergeant du brouillard, la côte de l'île réapparaîtra. Quand ? On ne sait pas. Quant à ceux qui ont des examens, ils guettent les nouvelles comme Noé le retour de la colombe, ou bien ils utilisent une boule de cristal.
Ou du marc de café...
Ou Pornote...
Ou rien.
Faire un cursus pour qui, pour quoi, de toute façon ? C'est pas ça qui va nous aider à trouver les fossiles dans Animal Crossing. Alors ? Actuellement, on lui livre la bouffe pour l'essentiel, et pour le reste, elle va avec sa mère, payée par l'Etat à élever ses enfants, ce qui est tout à fait normal, "au bio".
Netflix rassemble toute la famille devant le poste. Et pour ce qui est des vidéoconférence, on fait comme d'ab, les trucs qui marchent très bien facetime, whatsapp, les Skype, enfin ce qu'on fait avec mamie et les cousins depuis des années. Elle met le téléphone filmant le plateau, et bouge les pions pour sa cousine. Faire ça avec un prof, ce serait comme se retrouver avec son CPE dans sa baignoire, portnaouak.
C'est une parenthèse en famille, le temps suspendu d'un paradis retrouvé, comme les obligations et les devoirs. Facultatifs. Pas le vide angoissant de l'absence estivale, non, car reste la tension salvatrice de l'époché.
Suspendues à un hypothétique retour à un hypothétique normal, les coronavacances, c'est les vacances, en mieux.
(1) J'ai en effet dans le même groupe une lycéenne qui, en sports, avait pour sujet les arts du cirque. Bon, jusque là, ça se tient. Afin d'illustrer les arts du cirque, ils avaient bien entendu choisi de monter une sorte de spectacle sur... Harry Potter, gagné. Un conseil, quelque soit la matière, propose de lire Harry Potter, c'est gagnant. A mon avis, le prof se dit : " Ils aiment bien ce truc là, ça va les motiver, pendant ce temps là je serai sûr qu'ils ne cassent pas un truc dans un coin".
La tâche principale d'un prof aujourd'hui étant d'éviter l'émeute et la destruction corollaire des biens mobiliers du lycée, il faut les occuper à quelque chose qui leur plaît, comme les gremlins.
On connaît le problème depuis longtemps au catéchisme, tâche ardue. Car la matière est hors des notes de l'école, mais la présence obligatoire, l'enseignant n'a aucun pouvoir de coercition, pas de levier en termes de passage de classe.. etc. Un peu comme feus les TAP.
Une année qu'ils étaient censés étudier la Bible, ce sera la seule occasion de leur vie, un enseignant se plaint à un confrère que pour éviter le souk (en plus ces crétins avaient autorisé la bouffe en classe, donc on se jette des trucs à la tête, principale occupations de ces petits babouins), il les avait envoyés jouer dehors.
"Foin du programme", lui répond son collègue, moi je les installe devant des vidéos de la vie de Jésus, comme ça ils se tiennent tranquilles.
"Sédater" le môme pour qu'il se tienne tranquille, l'expression vient des Ehpads, où les aide-soignantes "tassent" les vieux pour pouvoir les toiletter sans se faire mordre. La boucle est bouclée, de sa naissance à sa mort, on ne sait plus quoi faire du citoyen.
Soit que, petit macaque qui ne veut rien faire d'autre que jouer sur sa DS, on le laisse scotché à son écran pour qu'il ne casse pas les meubles, soit que devenu alzheimer, il ne puisse plus rien faire d'autre, il faut mettre le citoyen sous hypnose 5G, parce qu'il emmerde le peu qui reste à avoir été élevé avec la volonté de foutre les mains dans la merde pour 1000 euros par mois qui travaille, et on les applaudit bien fort.
L'écran n'est finalement que l'interface d'hypnose, sur lequel on fait tourner la spirale pour faire passer les contenus, les messages... Parfait, c'est parfait.
Il faut leur faire boire du coca, histoire qu'il soient surexcités, histoire qu'ils demandent l'écran pour se mettre sous hypnose. Parfait, parfait...
(2) J'ai eu, depuis l'époque de la rédaction de cet article, un retour sur la restitution de ce devoir. Sur 3 classes de cinquième, le nombre des élèves ayant rendu une copie se situe entre 8 et 13 pour des classes entre 24 et 26.
Ce qui signifie que les élèves ayant rendu un devoir expressément obligatoire, en pièce jointe par mail, donc une procédure accessible à tous, se situe entre 1/3 et la moitié. La prof a piqué une colère adressée à tous les parents, mais qui est restée lettre morte.
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