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samedi 7 décembre 2019

De l'autre côté de la ligne (le deuxième verre) II

Suite donc à cet article http://nahatzel.blogspot.com/2019/12/de-lautre-cote-de-la-ligne-le-deuxieme.html , nous allons nous intéresser à la question de la responsabilité individuelle dans le crime, celle qui est requise afin d'être punie. 

Elle suppose, elle sous-tend, elle appelle de ses vœux, que le coupable ait un choix. Il avait le choix de ne pas faire le mal, et il a fait le choix de le faire, donc il est bien coupable, et donc il faut assouvir notre besoin de le faire payer, et de lui faire à notre tour ce que nous pensons qu'il a fait. La Justice ne fait qu'accomplir une soif de vengeance, nous l'allons montrer tout à l'heure.

Je vais tenter de montrer que si nous avons le choix de punir, il n'en est rien pour le criminel, et donc, à travers un petit exemple, puis un plus long développement, que nous sommes plus coupables que lui, puisque les seuls à commettre vraiment le mal en conscience, comme tous les gens qui prennent l'avion alors qu'ils savent que c'est un crime qu'on ne peut décemment plus commettre.

Le petit exemple c'est celui du deuxième verre de l'alcoolique. Prenons au départ une personne qui n'est absolument pas alcoolique. Elle a le choix entre boire un verre d'alcool, ou pas. Elle exerce ce choix.

Alors vous allez me dire deux choses : la première, c'est : "Que signifie alors la ligne qui va de un verre à deux verres, puis à trois, si elle n'est celle dessinée par des choix successifs ?". La seconde chose relève de la thérapie possible lorsqu'on étend l'exemple depuis l'alcoolisme vers d'autres crimes.

Nous allons maintenant en venir à la première.

"Qu'est-ce qu'est cette ligne que l'alcoolique franchit en buvant le deuxième verre, celui pour lequel vous nous dites qu'il n'a pas le choix alors que nous la voyons comme telle ?" me direz-vous. 

Je répondrai par une image, car cela me semble bien illustrer la situation telle que vous la représentez.

La personne avance sur un chemin : 

 

Elle a bu un premier verre d'alcool. 


Elle fait maintenant face à un choix matérialisé par la ligne : soit elle fait le choix de ne pas boire son deuxième verre,

 

Elle fait alors demi-tour, et c'est vert : c'est considéré comme la bonne attitude


Soit elle fait le choix de passer outre l'interdiction, elle fait le choix de boire son second verre, elle passe à l'acte et vous la condamnez parce qu'elle a fait le mauvais  choix.

Je pense que ce schéma représente de façon honnête votre raisonnement.

Ce qui me semble pécher dans cette représentation, c'est une chose qu'on pourrait matérialiser en disant que votre erreur vient du fait que vous voyez le paysage comme homogène des deux côtés de la ligne.

Lorsque je dis "votre erreur", je veux dire que vous vous faites une représentation de l'intériorité de la personne qui est inexacte, c'est à dire qui ne correspond pas à ce que la personne dépendante vit intérieurement. 

Vous pensez que, intérieurement, le paysage est homogène pour la personne en avant et en arrière de la ligne, et c'est normal, vous pensez ainsi parce qu'il l'est pour vous. En d'autres termes, vous projetez sur une personne dépendante les choix dont dispose encore une personne qui n'est pas malade. Mais c'est exactement comme si vous pensiez qu'une personne en fauteuil a le choix de sauter la ligne.

Le paysage est homogène pour vous des deux côtés de la ligne, en avant et en arrière, cela signifie qu'en avant comme en arrière, la situation est la même : vous avez encore le choix. On pourrait matérialiser ceci ainsi :

 

Vous vous déplacez dans un espace homogène avant et après la ligne, et, à la place de la ligne vert clair, vous auriez pu faire la courbe vert foncé : après le second verre, vous avez encore le choix.
Voici ce que je vous propose comme représentation de l'intériorité de l'alcoolique :


C'est un alcoolique "bénin". Il n'a pas le choix de boire le premier verre, il en a trop besoin. Mais il a encore le choix de ne pas boire le second. Je vais donc représenter la ligne de choix bordée de deux zones différentes. En amont, la zone froide de l'hiver est compulsive : il faut boire le premier verre pour pouvoir passer dans la belle zone chaude et confortable de l'été que constitue la période d'après le premier verre. Donc on n'a pas le choix, il faut quitter l'hiver pour l'été, c'est trop inconfortable. 

Et donc, il a encore le pouvoir de faire demi-tour après le second verre. 


Quelques mois, ou années plus tard selon le cas, le piège de la dépendance s'est refermé : la personne n'a plus le choix pour le premier verre, mais plus pour le second non plus, ni pour le troisième. 

 

Et au troisième, la volonté est suffisamment annihilée par l'alcool pour que la question ne se pose plus jamais. Il n'y a plus de choix. 


Après le troisième verre, la personne est vaincue, l'ennemi a gagné une fois de plus, et demain sera pareil. La seule solution pour ne pas trop souffrir est de boire beaucoup à nouveau, et la zone de choix s'est enfuie loin dans le paysage, là où on n'ira jamais que muni des n verres précédents, c'est à dire infiniment vulnérable au n+1ème...

"Impossible" n'est pas le nom d'un choix récusé, c'est le nom d'un endroit où il est n'est plus possible de se tenir, celui où l'on choisit. Et c'est de cet endroit que vous jugez le criminel, que vous le jugez responsable de ne pas prendre la bonne voie. C'est comme si vous reprochiez à une personne en fauteuil de ne pas faire le choix de prendre un couloir qui part du premier étage. Son problème n'est pas de faire le mauvais choix, c'est de ne pas avoir accès à ce choix.

Mais grâce à mon plaidoyer, maintenant je l'espère, votre empathie pour cette personne s'est mise en route. Vous admettez qu'elle ne peut faire autrement que de boire ce verre, et vous admettez qu'elle ne pourra vraisemblablement y arriver seule. Il lui faudra une aide chimique pour le sevrage, et une aide humaine pour l'accompagner sur ce chemin.

Et maintenant que cette empathie s'est mise en route, nous pouvons poursuivre le chemin dans le crime. Mais vous comprenez que boire n'est plus depuis longtemps un acte dont la culpabilité peut être relié à une quelconque responsabilité, mais au contraire un acte dont la compulsivité est relié à une vulnérabilité.

C'est un acte qui tente de réparer une impossible blessure, acte de réparation dont l'échec approfondit la blessure, comme une personne qui tenterait de cicatriser une plaie en y passant un papier abrasif. Jour après jour, la plaie s'enflamme et sa soif augmente. Elle veut de plus en plus d'eau et on lui passe de plus en plus de papier de verre.

Un jour elle devient béante, un braiser si intense, elle veut qu'on la noie dans la paix réparatrice, et pour étancher cette soif, pour éteindre cet incendie, le malade devra prendre le risque de se tuer en buvant jusqu'au coma.

Il n'a plus d'autre choix



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