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mardi 14 mai 2019

Dans leur livraison du printemps, Les Cahiers Chauves nous gratifient d'une entrevue avec John Moullard, écrivain et poète aussi rare qu'indispensable, pour la sortie de son prochain recueil de poésie, Nécessairement le Dernier.

"LCC - Vous avez eu beaucoup de chiens, pour donner un nom pareil à un livre ?

JM - J'avais pensé l'intituler Comment j'ai tenté de me débarrasser de l'idée, Nécessairement le danger, Comme une odeur de danger, Alerte au Chambon-sur-Dangeau (49300), Où trouver de la bonne andouillette en France ?, ou un titre dans le genre,  mais c'eût été justement trahir mon personnage, puisque le héros de l'histoire cherche à décrire une chose au départ vague et imprécise, mais sans lui affecter de mot. Un peu ce que Merleau-Ponty avait tenté avec un néant sans "néant" dans le Visible et l'Invisible, mais destiné à la communauté gay.

Donc, déjà, c'était dire que ce dont il cherchait à se débarrasser était une idée. Or ce n'est pas plus une idée qu'autre chose, du moins à ce stade vague et aprioritique des recherches. Mais en tout cas, il était hors de question de le tuer avec un mot. 

Ou de l'idée même d'écrire. Ce qu'il cherche, c'est ce dont il faut se débarrasser. Comme quelqu'un qui a un fer à repasser au fond de son sac de sport vide tout en vrac sur le tapis pour le sortir, John Moullard sait qu'un truc lourd le tire vers le bas, et se retrouve avec ses idées éparpillées par terre. (1)
Et, notons-le bien, ce n'est pas nécessairement un fer à repasser. Mais John Moullard a fait sienne cette intuition vieille comme l'humanité que s'il ne vole pas, c'est parce qu'il croit fermement qu'il ne le peut pas. C'est cette certitude qui l'en empêche, ce fait d'être sûr, en soi. Et ça ce n'est pas une idée, c'est l'adhésion même à l'être, c'est antérieur à l'idée ou même à la perception. Ce fait d'être sûr, sa certitude, est comme une corde qui l'attache à un bien justement noté corps-mort, ces masses de fonte attachées au bouées pour amarrer les bateaux dans les petites rades de Provence entre 1713 et 1986.

LCC - Dans le dernier opus des Carnets d'un Homophobe, vous écrivez : "Ce qui est agréable, chez la femme, c'est le corps, chez l'homme c'est le cerveau". Vous ne trouvez pas que vous y allez un peu fort, tout de même ?

JM - Ecoutez, ce n'est pas de ma faute si ce que j'apprécie chez un homme, c'est sa conversation et chez une femme son état de conservation. Ce dont je jouis, chez un homme, c'est son esprit, et chez une femme son corps. Après, si elle est intelligente, tant mieux, notre séparation est ainsi d'autant plus rapide et amicale, puisque nous convenons que nous avons eu le meilleur, et que nous pouvons maintenant nous comporter normalement et se téléphoner si on a quelque chose à se dire, et pourquoi pas, dîner ensemble, sans attendre ce supposé miracle qui ferait que tout à coup on se mettrait à s'entendre.Si c'est pour fonder un foyer, élever des enfants, et qu'on n'a pas les moyens d'acheter une maison assez grande pour avoir chacun son aile, encore, mais sinon pourquoi tant d'efforts de part et d'autre, s'user à s'ajuster...

Non, en fait c'est surtout pour le jeu de mots entre l'article défini et indéfini LA femme / chez UNE femme.

Maintenant lorsqu'un peintre réalise un tableau, il nous vous viendrait pas à l'idée de lui dire là où il faut mettre du rouge, du bleu, ou bien lui interdire de mettre du jaune. Ce que je ne comprends pas, c'est d'où leur vient l'idée que, en tant que poète maintenant, cela change la donne, et que c'est eux qui devraient me dire où je dois mettre tel mot dans mon poème, ou m'empêcher de mettre tel mot à tel endroit. Sinon, qu'ils écrivent mes poèmes, Staline aussi avait une administration pour cela.

LCC - Heureusement, vous êtes tout à fait inconnu.

JM - Exactement. Préserver son anonymat est la seule chance aujourd'hui de pouvoir échapper à la censure de chaque petit crétin analphabète qui se croit investi de la mission de devenir auxiliaire de la police de la pensée à toute heure du jour et de la nuit, et de vous dénoncer sur les rézosossio.

Ma cour d'admiratrices sait très bien se plaindre lorsque je ne dépasse pas assez la limite des souffrances de l'acier ou de leurs bretelles de soutien-gorge, lorsque le poumon étouffe dans le dépresseur, et je n'ai besoin de rien moins que de l'impression de ces décérébrés qui donnent leur avis alors qu'ils n'ont pas l'orthographe, toujours déjà-déplacés puisque, leur orgueil gonflé de leur inculture, plus ils sont bêtes et plus ils vous assènent leurs poncifs avec conviction.

C'est une des grandes avancées d'Internet que de permettre à des millions d'abonnés incultes de répéter à longueur de temps, et sans avoir la moindre idée d'ailleurs qu'ils s'en rendent coupable, ce que le moindre des grecs baillait déjà avant la sieste. Et de prendre cela au mieux pour leur opinion, au pire pour une chose de leur invention.
Au moins autrefois, on savait cela parvenu au certificat d'études et on la bouclait en attendant d'avoir quelque chose à dire.

Une des caractéristiques du crétin, c'est de ne pas connaître, et hélas, on ne peut pas lui en vouloir, les bénéfices de l'éducation. Et de croire que penser, c'est comme digérer, ça se fait tout seul et que chacun est équipé à la naissance. Il faut avoir beaucoup lu, beaucoup écouté, pour discerner ces fines strates de qualité de la pensée, et pour entendre, dans un discours, l'intelligence de celui qui parle.

Rien d'étonnant à ce que la foule traîne Jésus au lieu de Barrabas sur la croix, et livre un des leurs au lieu de virer les Romains, rien d'étonnant à ce qu'ils mordent dès qu'on leur met de la psychanalyse et de la philo dans l'oreille, au lieu de se taire et d'écouter. Penser demande de l'éducation, et on n'a pas accès à la fleur de la littérature et de la poésie parce qu'on sait en prononcer les phrases, ce dont ils ne sont même plus capables, de même qu'on n'a pas accès à certaines musiques au prétexte qu'on a le conduit auditif débouché.

C'est triste à dire, mais tout ceux qui ont étudié le savent, hélas on ne devient humain qu'après avoir frotté et limé sa cervelle à celle d'autrui bien longtemps. Et ceux qui l'ont fait le savent, et le savent pour l'avoir fait, et ceux qui ne l'ont pas fait ne le savent pas, parce qu'ils ne l'ont pas fait, et voilà.

Et on peut toujours donner le pouvoir aux imbéciles, cela les persuadera, si besoin était, qu'ils ont raison, mais ne les rendra pas intelligents ie. éduqué, cultivé, ce qui est la seule définition de l'intelligence qui tienne (2). Mais le peuple, qui sait où est son intérêt, à savoir que ses enfants soient éduqués par des gens intelligents, virera un jour les imbéciles qui ont confisqué le pouvoir, la dictature de la bêtise s'effondrera pour laisser place à quelques heures de lumière, comme ce fut le cas maintes fois par le passé.

Entre temps, je vous garde les Lagarde et Michard bien au chaud, pour quand vous viendrez les demander en pleurnichant. Et comme Jésus, on ne pourra même pas vous taper dessus pour se soulager un peu. Engeance de vipères...

(1) Cette métaphore a valu le prix Nobel de poésie en 1932 à John Moullard. Il se murmure que Derrida l'avait tatouée sur toute la surface du dos, et que lorsqu'il voulait draguer une gonzesse en boîte, il abaissait sa chemise sur la phrase fatale au moment de "Alexandrie, Alexandra".

(2) Et non ces tests de QI pour débiles inventés par des ingénieurs physiciens-psuchiatristes américains obsédés par la figure divine du carré hachuré, tests qui installent des centaines de jeunes crétins (et leurs parents) dans la certitude que Dieu les aurait munis d'un "haut potentiel" comme le ministère équipe le punicier molicipal d'une patraque, alors qu'ils n'ont pas atteint le niveau de CP à 14 ans.



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