Rappelons que nous répondons à la question " Faut-il exploiter le peuple ?", et qu'
après s'être demandé pourquoi l'antisémitisme fonctionne aussi bien comme paratonnerre, nous avons vu que si la femme est l'ennemi nécessaire, et le noir l'ennemi visible,
le Juif est l'ennemi invisible, celui qui s'infiltre et qui s'insinue.
Le concile de Latran IV, tenu en 1215, stipule ainsi :
« Dans certaines provinces, les habits des
Juifsb et des
Sarrasins se distinguent de ceux des chrétiens, mais que dans d’autres, un degré de confusion se produit,
de sorte qu’ils ne peuvent être reconnus par aucune marque distinctive.
Comme résultat, par erreur, des chrétiens ont eu un commerce intime avec des femmes juives ou sarrasines.
De façon que le crime d’un tel mélange maudit ne puisse plus avoir d’excuse dans le futur, nous décidons que les Juifs et les Sarrasins des deux sexes, dans toutes les terres chrétiennes, se distinguent eux-mêmes publiquement des autres peuples par leurs habits. Conformément au témoignage des Écritures, un tel précepte avait déjà été donné par
Moïse (Lévitique 19:19
Lévitique 19 ; Deutéronome 22:5.11
Deutéronome 22)
7 »
Sous prétexte d'éviter le "commerce", on a un objectif de ségrégation. La suite de la page Wikipedia est édifiante :
Les
Ecritures ne disent pas ce que le concile en dit : en Lévitique 19:19, il n'est question que de l'interdiction d'accoupler des bestiaux de races différentes et de celle de porter des vêtements tissés de fils différents ; et en Deutéronome 22:5,11, il n'est question que de l'interdiction pour un homme de porter des habits de femme et inversement, et de celle à nouveau de porter des vêtements tissés de fils différents tels laine et lin.
Par ailleurs, le concile interdit aux juifs
b d’occuper des fonctions d’autorité, d’avoir des relations professionnelles et sociales avec les chrétiens, de sortir pendant la
Semaine sainte.
Juifs enchaînés et brûlés vifs, identifiables par la
rouelle sur leur poitrine et le
judenhut, imposés à Latran IV, 1515.
Ces décisions furent diversement appliquées suivant les pays
8, des règles plus détaillées furent décrétées localement après de multiples relances des papes successifs auprès des souverains.
En Angleterre, l'obligation d'un signe en forme de Tables de la Loi avait été décrétée dès 1218, mais semble avoir été fort peu respectée jusqu'en 1279
9.
Dans le Saint Empire, le signe distinctif fut le «
Judenhut » un chapeau particulier à bout pointu qui, au moins à l'origine, était considéré comme « un élément du
costume traditionnel, plutôt que comme un élément
discriminatoire »
10. Une loi à
Breslau datant de
1267 dit que puisque les juifs ont arrêté de porter le chapeau pointu qu’ils avaient l'habitude de porter, son port devient maintenant obligatoire
11.
Quand Innocent III eut vent des violences infligées aux juifs à cause du signe distinctif qu'il leur avait imposé et les ayant conduits à une exposition dangereuse, il écrivit aux évêques de France de « laisser les juifs porter des vêtements par lesquels ils peuvent être distingués des chrétiens, mais pas de les forcer à en porter de tels qui pourraient mettre leur vie en péril »
12 alors que c'est le fait d'être distingués des chrétiens qui les mettait en danger quotidien.
On voit donc que le texte édicté à la suite du concile cherche à éviter les "mélanges maudits", au rang desquels l'homme travesti, les tissus ou les fils métis, et l'union avec les Juives. Ces mélanges maudits ont lieu parce qu'on ne peut distinguer
a priori le Juif. De loin.
Il est d'autant plus inquiétant qu'il a cette capacité de mimétisme qui lui permet de se fondre dans son milieu, (cf. le grandiose Zelig de Woody Allen) et qu'ainsi je le découvre en ouvrant mes rideaux, installé pile en face de chez moi, au cœur de la cité, soudain devenu tumeur à extirper, et à expulser.
C'est une évidence, et Patrick Boucheron
(1) le souligne encore, mais on peut le rappeler, le préalable à l'émergence de la barbarie nazie, ou de ses multiples avatars, c'est la
fusion du corps social. Comme pour des grains de métal qui entrent en fusion, chaque individu perd sa forme individuelle pour s'agréger aux autres et former une seule entité qui dit pareil, pense pareil, agit pareil, et pense et agit quoi ?
Les maximes et les ordres du fétiche du groupe. Je ne sais plus quel psychanalyste a très bien disséqué cela avec les événements de mai 68. Les gens entrent en résonance psychique collective, désignent le fétiche qui les guidera, et le suivent en vociférant. Le fétiche, emporté lui aussi par la transe collective dont il est à la fois le centre et le leader, devient fou, et cède à n'importe quel courant de pensée. J'essaierai de retrouver la référence.
Nous
avons vu également qu'une condition pour que l'individu se livre à la
transe collective de l'expulsion, est qu'il passe par cette phase de
culpabilité du "je ne fais pas ma part de travail dans l'entreprise de
nettoyage que mes pairs ont commencée".
L'individu perd sa forme individuelle sous les assauts de la culpabilité. La culpabilité est un mécanisme capable de dérégler, de faire vaciller et s'effondrer les personnalités les plus solides et les mieux structurées.
Mais qui a lu le Talmud sait ce qu'est un recueil de prescriptions hors raison. C'en est l'apothéose, la caricature, un au-delà du genre. Les interdits et les obligations y alternent dans ce qui est devenu pour une conscience moderne un ballet d'absurdités insoutenables. On interdit de mettre sa chaussette gauche au pied droit, et c'est tout juste si on n'est pas obligé de se mettre des bouchons de liège dans les narines à toutes les 17 de chaque heure, avant d'inverser les chaussettes, sauf les jours pairs.
Cet ensemble de prescriptions négatives comme positives est ce qu'on peut imaginer de mieux pour créer de la culpabilité. Celui qui s'estime dédouané parce qu'il a parfaitement rempli les consignes du Talmud, j'allais dire qu'il sorte du rang :) On est nécessairement toujours en deçà de ce qu'il faudrait faire, on est toujours, forcément, déjà-coupable.
Bien sûr, il serait atrocement cynique de mettre en regard ces deux culpabilités, et pourtant. Pourtant on est soumis à la tentation de le faire. Qu'il est malin, cet appel aux Juifs à bien vouloir se signaler, à suivre encore une consigne, eux qui en laissent tomber des tonnes en cheminant, tant leurs bras en sont chargés. Qu'il est fin, cet appel à la tentation de ne pas montrer sa judaïté, à la dissimuler, à ne pas l'affirmer, alors qu'on passe sa vie à la signer dans le moindre geste du quotidien. A se renier alors qu'on n'a jamais fini de l'endosser, qu'on n'a même pas commencé à enfiler le manteau, il faut le retirer.
Qu'elle est "déjà là", la tenaille mortelle ! Si tu te signales, je t'attrape. Si tu ne te signales pas, tu désobéis, tu te caches, tu dissimules quelque crime, tu me forces à aller te chercher au fond de ton terrier pour t'expulser. Si tu ne te signales pas, tu renies le tréfonds de ton identité, fait de prescriptions à se différencier, ad nauseam. Si tu te signales, tu t'exposes à disparaître.
Et l'autre culpabilité, en face. Ne pas faire sa part du travail. Laisser pulluler les rats, et là Bukowski surgit, dans sa maison, pendant que les camarades s'épuisent à les traquer, à renverser la situation (Elle est symétrique bien sûr : quelle surprise de découvrir, tout à coup, en face de chez soi, une kommandantur. Ils étaient donc là ?)
Ne pas faire sa part du travail, c'est avant tout, une fois que tous ont décidé ce qu'est le travail obligatoire, ne pas faire comme les autres.
Ne pas faire comme les autres, la dictature chinoise l'a bien compris, et les américains y accèdent, cela commence par ne pas dire comme les autres. J'ai entendu ce matin un témoignage bouleversant de Daije Sijie dans https://www.franceculture.fr/geopolitique/matieres-a-penser-ailleurs-la-chine-par-patrick-boucheron Émission Matière à penser du 3 mai 2019.
Avec l’Evangile selon Yong Sheng, l’écrivain et cinéaste Daije Sijie, auteur de Balzac et la petite tailleuse chinoise (Gallimard), revient sur l’histoire de sa jeunesse et pose la question de l’identité, entre littérature et persécution. L'écrivain raconte comment son grand-père, pasteur chrétien, fut déclaré "ennemi du peuple", et à ce titre, exposé au pilori, un écriteau en béton lui sciant le cou par le fil de fer de suspension.
Le sommet de la folie, c'est lorsqu'il dit : " Non seulement les voisins venaient le battre, mais encore une partie de la famille, ayant appris sa disgrâce, vint de fort loin pour l'insulter et lui donner des coups de pied". En un clic, le pasteur était devenu Juif, et les chinois nazis. Un minuscule décret avait suffi à faire basculer le tableau. Et la souffrance conduisant souvent à la folie, il n'est pas impossible que le pasteur chrétien se soit dit qu'il méritait son châtiment, ou qu'en tout cas par là il imitait NSJC. Plutôt que d'abjurer sa foi, il souffrait, sans possibilité de choix, cette fois.
Alors les Juifs qui ont fui, en Europe ou aux USA, ont-ils eu le sentiment d'avoir le choix ? Evidemment, la question est de pure forme. La tenaille se refermait chaque jour un peu plus, et parfois, ce n'est "ni l'heure ni le lieu" de proposer un débat sur la différence invisible.
La différence invisible qui, on l'a vu, conduirait si elle était négligée, à souiller la pureté, et ce faisant à participer à l’œuvre du Malin. Il est clair que la différence souille l'uniformité de la répétition. Seule la répétition fonde le schème, le rend discernable sur le fonds. Seule la répétition peut conserver ou ramener l'âge d'or.
Si on était tant soit peu Sheldrakien, il y a là un beau motif pour l'hypothèse de la causalité formative. Le champ morphique du pogrom, observable dès Latran IV... et dont le germe est à n'en pas douter dans le comportement du Christ.
La société disloquée, qui se cherche, qui court comme un canard perdu, se cherche un chef. On le reconnaîtra à certains signes, et on lui dira qu'on est prêt à certains signes. Lui seul peut bouger ce qui est enfoui dans la pierre, et les murs se couvriront d'inscriptions pour lui signifier que son avènement est attendu partout, qu'on est prêt, qu'on attend ses ordres pour enfin savoir où on va, afin qu'il se sente investi d'une grande confiance.
Car il faut une grande confiance en soi pour oser proférer des horreurs dans un micro. Il y a cet instant où il va décider de sauter sur l'estrade pour se mettre à hurler dans le micro, mais il faut que la foule soit prête, il faut qu'il ait senti juste avant qu'elle est à point, qu'elle a fondu, qu'elle est devenue une, malléable, qu'elle a envie qu'on la prenne, qu'on la malaxe, et qu'on l'envoie conquérir le monde au péril de sa vie.
Ivre de bonheur, la foule va enfin savoir où elle va. Après tant d'années d'errance, de supermarché en crédit perdu, de faillite en chômage, enfin les choses vont redevenir comme au bon vieux temps. On saura ce qu'on fait le dimanche, parce qu'on saura qu'il faut manger cette bonne dinde que la femme personne de type 1 a préparée. On ira par les chemins le cœur léger travailler aux champs pendant ce temps là.
Tout sera si simple, redevenu si limpide. On en aura fini de ce monde où on se bouchait les oreilles pour ne plus entendre la cacophonie des hurlements, de l'avis de chacun, des avis de saisie, des mensonges de tous, quand on ne sait plus qui croire...
On en aura fini avec ce cauchemar de ne jamais savoir ce qu'on paye, pour qui on travaille, où va l'argent, pourquoi on n'a plus rien. L'homme a besoin de choses simples, tangibles, de voir dans ses mains le résultat de son travail, et les femmes aiment leurs enfants. On peut jouer avec ça pendant quelques années, pour leur faire acheter des voitures à crédit, mais ça a toujours une fin. Et toujours la même fin.
Disons, un peu toujours le même type de fin. La frustration de 1923, elle mijote sous nos yeux, il suffit d'aller un peu plus à l'Est...
Le mécanisme est enclenché, les démocraties commencent à filer aux conservateurs leurs tickets pour un tour au micro. Certes nous avons un lourd passé socialiste et humaniste. Savoir combien de temps il tiendra, c'est comme prédire combien de temps tiendra une digue. Elle cède grain à grain, comme tous les phénomènes de l'histoire. Ces phénomènes qu'on ne voit pas bouger, les enfants grandir, et qu'on n'a le choc qu'avec ceux qu'on voit tous les ans. "Mon Dieu qu'il a grandi". "Mon Dieu comment en est-on arrivé là ?"
Mais on ne peut pas remonter le temps, on ne peut pas revenir il y a une semaine, au moment où la tempête s'est formée. Au temps où il y avait de petits nuages, tout le monde était sur la plage, on the beach, à faire du beach volley. L'idée c'était d'avoir une "bonne situation".
Même Jean Yanne s'est fait avoir. Il se gausse dans un sketch qu'il faille faire " dans le social". L'idée c'était d'avoir un bon poste, de monter une boîte, de faire construire la villa, ou entretenir la maison de famille. C'était d'aller à la cantine à midi, et sur la côte en été. Le tout c'était de savoir si on était plutôt Renault ou Citroën. On achetait le lave- vaisselle Miele parce que c'était de la qualité allemande. On allait bouffer du homard entre beaux-frères dans un petit resto avec vue sur la mer. Le reste...
Je couchais déjà, en 1970, dans ces maisons de famille, et j'ai connu encore en 2010 les dirigeants d'un groupe de formation PL, dont le siège était non loin du petit manoir adorable de la Banque de France, partis de là assez tôt pour être attablés le vendredi en début de soirée devant la mer avec les crevettes et le petit blanc frais en apéro. Les 30 glorieuses, elles crachent encore de la retraite en toussant leur QE, croyez-le bien...
En 1975 il y avait encore à Madrid des prisonniers du régime dans les geôles franquistes. Fallait avoir l'oreille fine pour les entendre.
Donc pour résumer, l'antisémitisme et le Juif se trouvent facilement, parce que le Juif est l'ennemi invisible, culturellement disposé à la culpabilité, et que le déculturé en voie de fascisation se cherche un moyen de faire sa part du nettoyage.Ce qui fait donc que l'antisémitisme est un bon candidat au pharmakon, c'est qu'on met la frontière où on veut.
Dans
cette émission, il est cité un spectacle,
Le Retable des Merveilles dont les organisateurs, comédiens désargentés, disent aux spectateurs qu'ils vont voir une scène merveilleuse, mais seuls les non-juifs pourront voir à quel point c'est beau. Du coup, tout le monde, de peur d'être qualifié de juif, s'exclame devant une scène vide (cela me fait penser à l'esthétique des Marx Bros d'ailleurs).
Donc, d'un côté comme de l'autre, on est
sommé de se déclarer. On est dans un régime autodéclaratif du positionnement, qui prouve bien que l'objet est invisible. On met donc la frontière où bon vous semble. C'est d'ailleurs l'absurde de ces listes de noms, de ces certificats de non-juif, de cette comptabilité grotesque, kafakaïenne : elle ne sert à rien d'autre qu'à sculpter les pour et les contre.
Tous les régimes fascistes avouent d'ailleurs le ridicule dans le tragique. Tous frôlent le comique, et les humoristes s'en emparent. Lorsque vous êtes puissant, que vous pouvez envoyer la police rafler quelqu'un, vous pourriez le faire arbitrairement. Non, les régimes fascistes ont toujours besoin de se justifier, c'est par là qu'ils avouent que leur existence est pathétique.
Il faut toujours avant de vous appréhender, qu'ils vous aient étiqueté quelque mot sur le vêtement : Juif, résistant, délinquant, contre-révolutionnaire... Il faut que votre nom soit sur une liste, et que cette liste ait un nom.
Après, comment décidaient-ils de qui était Juif ? Bonne question, aujourd'hui encore, elle se pose, et heureusement la technologie progresse, on a maintenant en ligne des sortes de "
juivomètres"
(2).
Donc nous sommes bien dans une logique du visible et de l'invisible.
Le roi est nu, les habits neufs de l'empereur sont invisibles, mais par une mystérieuse contagion, personne ne le dit.
Ici même nous avons la carte de la langue. Peu importe la vérité. Ce qui importe, c'est le consensus.
Peu importe que je voie ce que tu vois, et finalement, que nous voyions la même chose. Ce qui importe, c'est ce que nous en dirons, ce que nous dirons qu'elle est ou n'est pas.
Je dis "la carte" parce que ce qui est non dit, c'est ce qui est invisible. Et ce qui est invisible, c'est ce qui n'existe pas, et ce qui n'existe pas, c'est ce qui est tu. Au niveau collectif, le "sujet tabou" fonctionne en invisibilisation de l'objet interdit, celui dont on ne parle pas puisqu'il n'existe pas. Celui dont on ne parle pas
pour qu'il n'existe pas, mais sur lequel on s'extasie pour prétendre qu'il existe !
Si ce n'est pas la définition de la mise en spectacle, ça.. On crée une image factice de la chose, sa représentation dans le quatrième espace, l'espace collectif. Dans cet espace, la réalité est rapiécée. Toute représentation est factice, parce qu'elle est sociale.
L'objet est représenté affublé d'une légende. Soit "en dire du mal", soit "en dire du bien". En dire "Qu'est-ce que c'est et qui le dit ?" est une question dont le contre-pouvoir de sédition a été perçu très tard par le pouvoir capitaliste. Heureusement, la privatisation des universités est en bonne voie et on va pouvoir rattraper le temps perdu.
En effet, jusque dans les années 70, le capitalisme bon teint des Européens, voyait le professeur comme un mal nécessaire. De gauche comme tous les improductifs, le professeur permettait néanmoins de produire les élites et de justifier les nominations népotistes aux rares postes de réel pouvoir de l'oligarchie.
A côté des savoirs utiles tels que la métallurgie, la médecine, ou l'industrie aéronautique, qui permettaient le développement de l'économie française en vendant des avions aux pays africains sous-développés, on tolérait des savoirs inutiles tels que les sciences humaines. La littérature restant pour les filles le moyen de combler un peu cette période de rêverie à la recherche d'un mari après le bachot. Ils ignoraient qu'il existât de l'enseignement de philosophie, ou alors comme refuge pour les ultra-gauches à col roulé, les casseurs de Vincennes.
Mais à partir des années 80, les exploiteurs organisant le pillage de la planète et l'aliénation de ses habitants réalisèrent que effectivement, derrière leurs manœuvres économiques en apparence simples : "avoir une bonne situation", "faire une grande école", il y avait une vision du monde. Le fait qu'une certaine opposition se manifeste, résistant par mauvais esprit de sabotage et de nihilisme orchestré par la drogue et les sectes, prouvait quelque part qu'il y avait un esprit à l’œuvre dans leur entreprise.
Sans trop comprendre quelle visiondumonde pouvait bien soutenir le fait de refuser avoir une bonne situation, mais enfin, la tentative de soulèvement des beatnicks, des hippies et des yéyés l'avait prouvé, ça existe, les classes exploitantes se dirent que le mieux était de gazer les petits au nid, c'est à dire de mettre au programme des universités des choses utiles, préparant les futurs cadres à devenirs des exploiteurs à leur tour. Il suffit pour cela de privatiser les universités, et les dirlos des constructeurs de voiture viennent pantoufler aux Etudes avant leur retraite.
Et pour privatiser les universités, c'est facile, il suffit de prouver qu'elles ne sont pas rentables. Comme elles n'ont pas été conçues pour l'être, ce n'est pas difficile. Si vous prenez une école, deux classes, les maîtres et soixante gamins, et que vous pleurez que ce n'est pas rentable, tout le monde va rigoler. Avec un hôpital ou une université, ça passe.
Si au pire, l'école ou l'établissement résiste encore, vous lui coupez les subventions, vous diminuez les effectifs, vous lui collez des normes incendie de niveau T4 pour les amphis, et vous lui amenez chaque année plus de bacheliers analphabètes. Normalement, au bout de quelques années, cela devient intenable, et on fait un partenariat avec Nestlé, pour que les enfants apprennent à fabriquer des glaces, on va en avoir besoin avec le réchauffement climatique. L'université touche un pourcentage sur les glaces, on la rebaptise Nestlé-Sorbonne Business Unit Arena, et ça roule, les dépenses publiques baissent enfin, la dette devient respirable, on l'a échappé belle.
Pour revenir à la représentation de la réalité faite de vieux chiffons rapiécés, ces morceaux du costume d'Arlequin sont cousus ensemble par une proximité topologique, et non structurale. Par exemple, au chiffon qui représente la municipalité est cousu non pas le chiffon du dessous ou du dessus dans la taxinomie (le canton, le département...), mais le morceau de chiffon voisin dans le registre de la représentation, c'est à dire celui des manouches, de la bande de roms dont les caravanes viennent
toucher le morceau de tissu voisin, celui de la commune, auquel il est cousu.
Ainsi la conversation peut passer de la critique des manouches à celle de la municipalité qui gère mal le problème, elle peut voler par dessus les sujets et les contaminer tous, en faisant fi de toute réalité (laquelle est que chacun fait ce qu'il peut).
C'est l'espace du langage, celui de la représentation, l'Autre rebâti en notre inconscient, comme le navire passé par le goulot de la bouche et des oreilles, et remonté à l'intérieur de l'esprit. Il a repris tout son volume.
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La morale entre en vous pliée sous forme de langage, pour passer par la bouche et les oreilles (3) |
Si on parle, c'est pour faire exister la représentation factice, pour cautionner l'incautionnable même. Je prouve ma fidélité en abdiquant ma vérité, je délègue ma liberté, j'aliène ma vie. Voilà la promesse que fait celui qui tagge une croix gammée, il adresse un appel à un gars qui se sentirait dictateur, il lui dit : "Nous sommes prêts". Les chevaux sont sous les ordres du starter.
Rien de tel pour sonder vos fidèles que le coup des habits invisibles. Allez dans le peuple, on vous fera le coup avec la haine de l'art : ce tableau, c'est de la connerie, c'est de l'arnaque, des charlatans qui baratinent le riche gogo, ça se voit non ?
Là, la force de la culpabilité va ronger le sujet comme un acide, dissoudre sa volonté. Vous aurez beau être rédac chef du magazine
Artpress, vous allez vous sentir envahi par une douce chaleur, une étrange ivresse, une pénombre cotonneuse au cœur de laquelle vous entendrez votre voix dire "C'est vrai, la plupart du temps, c'est de la daube inutile, de l'arnaque pour riche qui veulent pouvoir dire qu'ils l'ont payé cher, alors que c'est fait en deux minutes et que personne n'aime.
Ruse suprême, on vous a fait le coup des habits neufs de l'empereur
au nom de la vérité !
Tandis que vous bredouillerez vos vagues approbations, les nazis à côté hurleront que bien sûr, qu'on brûle ce tableau de merde et son créateur avec. Eux n'attendront pas pour apporter leur soutien immédiat, enthousiaste et bruyant à leur chef de section, qui offrira la bière. Par votre mollesse à adhérer, votre peu d'empressement à coopérer, à hurler que le tableau est laid, vous vous êtes dénoncé vous-même.
Et le pire, c'est que vous l'avez fait non comme un guerrier, fracassant les crânes à coups de glaive, se préparant au festin du Vallhöll, mais comme un lâche, qui se fait pipi dessus en avouant à contrecœur, par trouille de la répression.
C'est en mettant la pression de la violence physique dès le niveau du langage que le fascisme avance, c'est en faisant venir clapoter les vaguelettes de la torture au bord de vos lèvres qu'il vous terrorise et commence à vous gagner.
C'est quand vous dites comme tout le monde que vous annoncez aux autres et au chef votre degré de soumission, que vous êtes prête, disponible et lubrifiée, attendant de vous faire monter par la bête, parce que vous savez que de toute façon c'est fait. Alors la seule solution, c'eût été de sodomiser l'autre avant. Mais l'autre, on ne sait pas qui c'est (je vais y revenir), c'est trop tard.
Puisqu'on ne sait pas exactement qui est qui, il faut donc charger une administration de classer le monde que ces impuissants terrorisés ont fabriqué devant eux, afin de pouvoir en industrialiser le traitement, des " Autres", ces invisibles dont on ne sait rien, mais qui vont servir de caution, qui vont vous servir à prouver votre obédience au système.
Aussi l'insulte antisémite de langage est-elle une sorte de première garantie donnée à ce titre. Vous vous êtes peut-être déjà trouvé dans une assemblée qui rit franchement d'une blague vraiment raciste. Là vous avez senti le mur. Il suffit à ce mur d'avancer pour vous coincer contre le mur d'en face, vous étouffer dans un tout petit espace, et finir par vous asphyxier.
Pour le dire autrement, si vous ne combattez pas le racisme tant que vous êtes libre de le faire, et vous ne le serez pas longtemps, vous contribuez à faire advenir le jour où vous ne pourrez plus le faire. Et cela commence par avoir le courage de dire ce que vous pensez, même si ce n'est pas le consensus.
Et même si le consensus, c'est de répéter le mot anti-racisme :)
C'est pour cela que je dénonce comme perverse la manip qui consiste à vider de sa substance la lutte contre le racisme, en l'utilisant à mauvais escient, pour de mauvaises raisons, pour laisser le flot de la colère aller ailleurs. Mais encore une fois, j'ai été un peu long, je dois couper.
Un mot avant de finir : la carte avec ses trous d'invisible n'est pas que dans l'image, elle est aussi dans le son.
En 1975 il y avait encore à Madrid des prisonniers du régime dans les
geôles franquistes. Fallait sacrément s'être bouché les oreilles pendant les quarante dernières années pour le pas le savoir. La contradiction, c'est que le silence de la presse, c'est aussi un magnifique indicateur. Plus vous contrôlez les media, et moins on entendra parler de vos opposants, surtout de ceux qui croupissent dans les prisons.
Qui titrait dans les années 70 sur l'ordure fasciste qu'était Franco ? Pas grand monde... Et rien ne fait tant le pouvoir du dictateur que la soumission de ses administrés. Rien ne fait tant le pouvoir de l'exploiteur que la docilité des salariés, toujours en posture de présentation, prêts à recevoir la semence du patron, à en prendre de la graine, à connaître la recette pour devenir riches eux-aussi.
Mais il faut couper.
(1) Voir dans cette magnifique leçon, comment la religion du produit, le commerce s'est emparé des lambeaux de la transe liturgique pour faire répéter à une société de consommation hébétée les mantras des marques.
https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/pourquoi-migrer-1213-que-pouvons-nous-apprendre-des-migrations-mexicaines-observees-par-douglas
Lien provisoire parce qu'il y a un truc bizarre. Ce n'est pas le bon titre, je leur ai signalé.
On peut aller sur le site :
et cliquer sur le 2 : "Anatomie de la gloire", jusqu'au "mantra des
marques" pour ré-entendre, enfin, ce que décrivait Voyer dans "Enquête
sur la nature et les causes de la misère des gens. "
(2) je suis tombé sur cette page au hasard mais j'adore la formulation :
Verdict: Borderline Jew.
Je connais des gens qui utilisent cet outil sérieusement, sans avoir pris la peine de lire la faq, où les auteurs du site avouent qu'ils sont juifs et qu'ils décernent les notes au feeling :) Je me suis rué sur la notice de Sacha Baron Cohen, bien sûr.
Ceci dit, les auteurs ont fait une fiche sur Adolf Hitler, qui n'en sort pas indemne, puisqu'il est caricaturé en... travesti, eh oui. Ils n'ont rien trouvé de mieux que de le faire passer, à travers les fausses confidences d'Eva Braun, pour un tapette impuissante (qui aimerait qu'on lui mît une brosse dans le cul ?). Luttez contre les stéréotypes de genre, ils reviennent par la fenêtre.
Eva: Okay, fine. You see that sequine dress?
Helga: Yeah... It's a little garish. Looks like something from the circus!
Eva: (whispers quietly)
Helga: I can't hear you!
Eva: IT'S ADI'S!
Helga: No way!
Eva: Yes way! He puts it on, and makes me wear this clown wig...
Helga: Adi... Your Adi?
Eva: And then I take this poker and... (whispers into Helga's ear)
Helga: HA HA HA HA! I would have never guessed!
Eva: I know, I know! Okay, I go again! Truth or dare?
Helga: Truth! No, wait, dare!
Eva: See this hairbrush? I want you to take it and stick it...(whispers into Helga's ear)
Là ce n'est pas clair. Helga est bien le prénom de la fille aînée de Goebbels mais bon...
Ils ne sont pas non plus parvenus à l'exempter de violence :
(3) en cherchant des images du passage d'un bateau dans une bouteille, le terme de recherche m'a mené sur cette page.
https://www.lorrainebeaulieu.com/oeuvre-14
Comme je ne voyais pas l'intérêt d'avoir réalisé ce stupide objet en plastique, ni de le présenter dans une huche, ni quoi que ce soit de ce ramassis d'objets aussi inutiles que la voiture, le parking... je cherchai quelque mot de médiation culturelle qui me renseignât sur l'intérêt de cette démarche, et je suis tombé sur cette page :
https://www.lorrainebeaulieu.com/publications
Où l'on peut lire :
MÉMOIRE PRÉSENTÉ À LA FACULTÉ DES ÉTUDES SUPÉRIEURES DE L'UNIVERSITÉ LAVAL DANS LE CADRE DU PROGRAMME DE MAÎTRISE EN ARTS VISUELS POUR L'OBTENTION DU GRADE DE MAÎTRE ÈS ARTS
Comme artiste investie de préoccupations environnementales, je considère les rapports entre ART-NATURE-CULTURE intimement liés. La NATURE est présente DANS L’ART, et L’ART DANS LA NATURE, depuis que nous prenons conscience des limites de la Terre. Plusieurs mouvements et évènements artistiques en font foi, à commencer par le Land Art, l’Éco Art et l’Art environnemental, pour ne nommer que ceux-là. Les filiations de ma pratique avec ces mouvements artistiques enrichissent ma réflexion sur les particularités de ce thème de création.
Les journaux, les revues d’information de même que les bulletins de nouvelles télévisées sont un apport important pour nourrir mon propos artistique. Mes perceptions de l’actualité environnementale ainsi qu’une résidence effectuée en Antarctique ont inspiré le travail de création pour la fin de cette maîtrise. Ce projet, RAFRAÎCHIR L’IDÉE DU MONDE, se compose de la production de trois interventions; deux œuvres sculpturales et une autre technologique (Web cam), présentées en galerie et dans l’espace public.
Mots clés : actualité écologie assemblage nature société communication
Là aussi, le roi est plus que nu, il est dépecé, quoi. Cette horde de crétins incultes se congratulent autour d'un monticule vide où ils répètent les courants d'air de France Info sans comprendre ce qu'ils disent, c'est vraiment pathétique.
Le grade de "maître ès arts", ceinture noire troisième dan de bolo-bolo... Pathétique. Mais là, pareil, interdit de dire.
Les bâtiments, les plates-bandes, l'art, le parking, tout est carré, lisse, bien propre. le monolithe gris à l'entrée, avec le baratin convenu, c'est pathétique. Mais bon, au moins, les gens qui ont fat cela sont-ils des artistes.
C'est comme le dernier clip de PNL. Les gens ne disent plus : " C'est génial comme musique", ils disent :" C'est génial, ça a fait 70 millions de vues en dix secondes". Enfin si, quelques uns, mais bon, la chorégraphie, dont le motif essentiel est le doigt d'honneur, y est sans doute pour quelque chose.
J'ai remarqué que cela devient un peu la grimace à la mode quand on vous photographie. Ça fait sérieux, comme autrefois les gens croisaient les bras sur les photos. C'est curieux cette manie de désirer avoir l'air d'un parrain de la mafia tchétchène, on se demande de quoi ils manquent pour demander toujours ce costume au Père Noël.
Vous allez me dire, mais comment faire mieux que 70 millions de vue en une seconde ? Simple, il suffit de multiplier les écrans.
Par exemple, poursuivant ma navigation sur le thème de la bouteille bretonne, je suis tombé sur cet écran :
J'y reviendrai, mais ce qui m'intéresse ici, c'est la petite vidéo en vignette, un
festival de vidéos sur site extérieur, pardon,c'est interdit maintenant, on doit dire un video mapping festival, incrustée en bas à droite, que j'ai visionnée sans avoir rien demandé. Il suffit de faire cela 140 millions de fois, et j'aurai deux fois plus de vues que le Père Noël PNL, en un rien de temps, ce qui suffit de nos jours pour vous sacrer génie universel.