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jeudi 11 février 2016

L'art textile, ça dépend.

En guise d'étrennes, je m'en vais vous offrir mon opinion sur une partie du petit monde de l'art textile, et certains des œuvres présentées  Je ne vise pas les artistes, bien sûr, ils ne savent pas ce qu'ils font.

Je disais donc que ce qui m'a frappé lors de ce balayage, c'est la pauvreté récurrente de l'inspiration, qui aboutit à des productions répétitives dans le propos, et donc bien sûr dans la forme. En gros, c'est donc " toujours la même chose".

Mais on peut soulever le couvercle des apparences et espérer un discours qui nous révèle des intentions cachées qui n'auraient pas su se frayer un chemin jusqu'à l’œuvre. Las, du côté de la médiation, c'est pire, l'indigence fait qu'on recouvre pudiquement la nudité ainsi dévoilée.

Lors de cette exposition présentée comme un parcours initiatique vous serez à même de vous interroger sur la démarche de portrait de l’artiste et le résultat du fruit de son travail. "

N'est-ce pas ? " Le résultat du fruit de son travail"... Ça envoie du lourd, tout de même.

Si on prend les productions présentées dans l'ordre, on assiste à un défilé affligeant de gens qui " s'inspirent d'objets ou de notions du quotidien", qui " s'appuient sur une pluridisciplinarité des techniques. ", résumés de démarches où règne la tautologie " des séries qui se comprennent par le nombre et la répétition", d'une désespérante banalité " où les notions d'universalité et d'individualité sont intimement liées.".

Je passe sur les " ça bouscule/joue avec " les codes. Les pauvres, ils sont nerveux comme un unijambiste à un concours de botteurs de cul.

On sait que c'est la loi du genre que de n'avoir rien à dire. Il est d'autant plus triste que cela renvoie au vide des productions elles-mêmes. Malgré la volonté affichée, il s'agit toujours d'artisanat, de travaux de dames qui pensent qu'il est osé de broder un zizi parce que c'est " ancré dans son temps", demi-vulgaires comme il y eut jadis des demi-mondaines, qui se disent que cette hardiesse leur ouvrira les colonnes de la presse friande de croustillant (la bite est le dernier moyen de promotion pour une femme), à défaut de les élever au rang d'artiste, comme les peintres l'on fait il y a un siècle lors de l'émancipation de la représentation figurative. Créer, on ne voit pas bien ce que c'est, mais choquer, ça peut rapporter un peu. Si on peut faire les deux d'un coup...

  A travers mon processus de création, je montre une de mes préoccupations sur la frontière entre l’artiste et l’artisan, en ouvrant « des ponts » entre ma recherche artistique et la tradition ancestrale que suscite le travail de broderie. Je m’approprie la tradition en la modifiant, en lui donnant comme résultat une création complètement inattendue, c'est-à-dire que j’invente de nouvelles techniques basées sur le métissage et la fusion. Bien que l’on y voit une conduite vers une pratique féminine traditionnelle, cette technique domestique n’est pas l’unique intérêt de ma démarche. En effet celle-ci m’a permis aussi de mettre en valeur ce qui est habituellement marginal, c’est-à-dire le travail artisanal. C'est une recherche qui conjugue alors les techniques traditionnelles et la création contemporaine.

Certes, mais à part travailler avec des matériaux de rebut et grapiller des références dans quelques traditions funéraires précolombienne, en quoi consistent la " recherche ", " l'artistique", et le " contemporain " ?

Dans les ISBA, ils ont plus de moyens, ils font des zizis en porcelaine, c'est ravissant.

On aurait aimé faire une exception pour Certaine, pour qui on avait une tendresse grâce à son dîner de famille, mais si je tombais d'accord avec ce genre de propos : " Elle me permet de réinvestir une pratique domestique longtemps cantonnée au rang d'artisanat, liée à l'histoire de la condition des femmes. Loin des revendications féministes menées par les artistes femme du XXème face à la domination des hommes dans l'histoire de l'Art, ma pratique de la broderie tend à jouer avec cette image surannée de la femme d'intérieur occupée à de menus travaux tout en la déplaçant et en l'inscrivant dans une recherche artistique contemporaine.", ce serait à condition qu'on me montrât en quoi consiste la recherche artistique censée circonscrire la pratique artisanale. Dire n'est pas faire, en la matière.

Remarquez le déplacement de "  la domination des hommes dans l'Art " vers " la domination des hommes dans l'histoire de l'Art ". Le crime devient commis par celui qui relate.

Et là, on atteint au coeur du système. Car s'il se trouvait quelque esprit avisé parmi mes lectrices, ne me dirait-elle pas : " Mais ce que vous fustigez là n'est il pas votre programme ? Ne pourriez-vous pas reprendre la citation ci-dessus à votre compte ? ".
 
Si fait, c'est pour cela que je fouille la plaie, c'est bien pour trouver la frontière, la ligne de démarcation, entre la question rhétorique bourgeoise, dans laquelle se complaît (inconsciemment) une partie des artistes, et la vraie question, celle qui n'a pas de règle, comme le dit la dame, et vous pouvez vous abonner à la chaîne, c'est cool.

Évidemment, on pourrait inventer que c'est à quel point l'artiste est hanté par son œuvre, habité, ce qui peur se dire que le sujet est accaparé par le signifiant de l'Autre, livré à la construction de son délire protecteur.

" Que nous reste-t-il ? ", me direz-vous. Hélas pas grand chose. Je serais curieuse de savoir ce que Ben Vautier pense aujourd'hui de ses propres propos. Il assignait en 1994 à l'art un programme de d'auto-néantisation assez général, qui a d'ailleurs été fidèlement suivi quant à la destruction des objectifs. Ce qui est assez curieux, c'est que lorsqu'on lui demande ce que Fluxus n'est pas, il répond en gros " le carriérisme".

Si l'art n'a plus aucun objectif aujourd'hui, et au sens de Hervé Fischer, son histoire a disparu, l'essentiel reste bien de faire carrière sans objectif, et en cet objectif, Fluxus a échoué à imposer ses vues. Il a été englouti dans l'auto-destruction assignée comme programme. Le terroriste a sauté avec sa bombe.

Mais comme Ben le dit lui-même, c'était prévisible. Il n'y a pas de retour après le point de non-retour d'une néantisation. Ce qui paraissait à nos ancêtres de la plus haute importance, ce qui n'était exécuté que par les hautes instances de la société, ce de quoi dépendait l'avenir, la confiance, le bonheur et la prospérité, la bienveillance des dieux, et son rite associé, le sacrifice humain, n'ont aujourd'hui plus aucun sens.
Le sacrifice animal, sa version soft pour chef de tribu, a presque disparu, n'en subsiste plus que le gigot du dimanche et la dinde de Noël. Possible qu'il en soit de même pour l'art d'ici quelques années.

Qu'après un paroxysme dans une période associée aux élites, puis sa démocratisation dans les tribus de province, il n'ait plus aucun sens. Il est dans sa nature de le prévoir, et c'est peut-être ce qui s'opère sous nos yeux, à voir les glaneuses et les électroniciens s'emparer des miettes du festin, aller râcler dans tous les coins des raisons de faire de l'art.

Et c'est peut-être là que les paroles de Ben étaient prophétiques, que sa résurrection soit dans le non-professionnalisme. Si l'art par mail est une coquetterie, la pratique reste, malgré sa volonté de tuer le grand ancêtre Duchamp à placer à côté de cet annonciateur de la métamorphose, du déplacement du centre de gravité de l'art depuis l'objet vers le geste (le mouvement, chose qui a lieu " entre").

La figure étant le big-bang, le nexus, l'oeil de Soron, la porte des étoiles. Toutes ces petites mains exécutent sagement les prédictions de Filliou et de son grand prêtre Ben. L'avant-garde est à la frange, évidemment, puisque nous l'éclairons rétrospectivement en tant qu'avant-garde, une fois l'histoire de l'art accomplie. Son Annonciation se trouvait nécessairement quelque part.

La question que cela pose, en tout cas à moi, c'est la suivante : " Si on admet qu'il est difficile qu'un mouvement d'esprit individuel échappe au modèle d'une figure de style, peut-on en dire autant des mouvements collectifs ? "

Je reformule. Prenons la liste des tropes " de base " (inversion, complément, etc.) .Peut-on imaginer voir un propos ou une pensée exécuter un mouvement qui ne relèverait pas peu ou prou d'une de ces figures ? Paraphraser, se contredire, filer la métaphore, généraliser, peuvent être vus comme des faits de discours qui illustrent ces tropes.

Maintenant si nous prenons les mouvements collectifs, peut-on dire que ces mouvements suivent la même logique, c'est à dire qu'ils ne sauraient fonctionner autrement qu'en suivant l'un de ces modèles : succession des modes = brûler ce qu'on a adoré = adopter l'attitude contraire, inversion etc.

Pour poursuivre la question, je dirai " A-t-on besoin, et si oui qui, que l'art et son histoire aient une suite ? Est-ce que cette question doit se poser dans la perspective d'une figure de style (négation...) ? Ceux qui pensent que la réponse est "non" peuvent effectivement en conclure que l'art, et donc son histoire sont terminés.

" Que nous reste-t-il ? ", insisterez-vous. Peut-être une mise au jour conscience de ce que nous avons refoulé grâce à l'art. Ce que l'art a permis de faire passer du côté inconscient, la scène étant non dicible parce que débordant la capacité d'encaissement brute, la médiatisation immédiate qui aurait permis de la laisser telle quelle dans la conscience, ou parce que la scène n'était pas encore dicible, faute de savoir la mettre en mots.

La scène c'est quoi ? C'est un phénomène social. C'est un signal que la société envoie à ses membres (les individus, à travers leurs corps sociaux constitués) sous forme d'une représentation, qui en tant que message, est toujours à interpréter, même si le message à interpréter, c'est qu'un contenu non-déchiffrable (ou non encore déchiffrable, ou rendu comme tel par une volonté supérieure) peut aussi faire l'objet d'un message.

J'ai parfaitement le droit d'envoyer un télégramme ayant pour texte " dkjfsjqsdfqsg" , toute la problématique de l'herméneutique se mettra en marche, en bloc, comme pour n'importe quel autre contenu.

Le tout est de ne pas se décourager. Ou bien si, vaut-il mieux finalement se décourager ?

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