Je repars donc sur ma question :" En quoi, dans le meilleur des régimes démocratiques tel que nous le connaissons par exemple dans notre cher pays, la France, suis-je concernée par les lois de cette république ?"
Nous avons vu dans
le précédent article sur le sujet que la réponse " parce qu'elle s'applique à vous " est tautologique et injustifiable. La répression fonctionne, mais sur une base illégitime. On réprime l'écart sans avoir assis la norme (la norme serait de justifier ce sur quoi on se base pour référer le prévenu au référentiel dont lui reproche de s'être écarté).
On a vu aussi que, considéré que je n'ai jamais demandé à avoir la nationalité française ni aucune caractéristique de ce genre, tout me fut imposé par des justifications en cascade.
Dans le présent article, je vais aborder les raisons pour lesquelles j'ai intitulé cette série " de la distance de soi aux autres". Aborder n'est pas solder.
La "distance de soi aux autres", c'est un espace intérieur que je parcours dans la latitude qui m'est laissée, celui de la rencontre entre moi et les autres (du moins la représentation que je m'en fais dans cet espace, bien entendu). J'emploie "le moi" au sens du moi freudien
(1), et je dis " les autres " pour éviter l'expression " le monde."
En effet, on dit d'une personne psychotique qu'elle est dans " son monde", et ce monde est noté comme étant un monde interne à la personne, propre à sa construction délirante, voire hallucinatoire, et non pas " le monde " des honnêtes gens.
Inversement, si l'espace " des autres " (le mien vu de leur point de vue) coïncide avec ce qu'ils perçoivent quand je dis " le monde". Alors " les autres " se perçoivent comme situés dans " un monde " qu'ils partagent avec moi, et ils disent que je suis en bonne santé.
Autre postulat de départ avec lequel on ne peut je pense qu'être d'accord : nous naissons psychotiques, et même autistes.
La lente médiation de ce qui advient à nous par nos perceptions, la perlaboration d'une représentation de ces perceptions médiatisées, la patiente construction d'un édifice d'interprétation de la façon dont s'agencent ces représentations est un processus qui fait aller la " frontière " psychotique, la membrane de l'unité fusionnelle mère enfant de l'origine, depuis l'extérieur vers l'intérieur. Elle est centripète, elle envahit par l'extérieur, faisant régresser le territoire psychotique jusqu'à un noyau " équilibré", bref, je n'y connais rien donc je ne m'étends pas là-dessus.
Toujours est-il que notre moi ne peut s'y retrouver qu'en composant, en
négociant avec cet envahissement de l'extérieur pour en retirer des satisfactions " culturelles" dont Freud a assez décrit le caractère ambigu, mais passons aussi, là n'est pas mon propos.
Mon propos est que la santé mentale découle de la construction du moi et d'une identité, donc une limite que j'oppose à cet envahissement du dehors. Mon identité, par individuation, se construit sur le refus d'admettre que tout l'extérieur est moi, et ce dans les deux sens : je fais régresser mon moi, qui occupait avant tout l'espace, vers l'intérieur, mais par là, il conserve une " aire" légitime. Il y a les objets, et il y a moi, et un dialogue doit s'instaurer, dans lequel je suis acteur, mais aussi auteur. Je pense que tout le monde ne peut qu'acquiescer à cela tant je ne fais que répéter ici de la psychologie de base.
Par exemple, si quelqu'un vous dit qu'il agit au nom d'un mot qui représente pour lui une vraie entité animée de la volonté de ses participants, que cette entité vivante est symbolisée par des objets inanimés, s'il tente de vous convaincre de vous joindre au groupe, vous allez soupçonner cette personne d'un délire psychotique ou d'appartenir à une secte.
Si maintenant on vous demande d'adhérer aux concepts de patrie, de nation, qui ne sont rien d'autre que des entités intellectuelles, donc des mots, et d'incorporer ces concepts, de les intégrer pour agir selon les valeurs associées; si on vous demande de croire que des objets comme un drapeau représentent quelque chose, alors là d'un coup, on ne vous demande plus d'adhérer à un délire collectif, mais au contraire, vous passez du côté des gentils patriotes et des bons citoyens, vous adhérez à des choses valorisées positivement. Mais vous avez simplement intégré les croyances de la secte des patriotes, vous les avez " rejoints" comme le cytoplasme de deux cellules fusionnent.
Là où le bât blesse pour moi, c'est que si les adventistes du 7ème jour du grand nuage violet me demandent d'adhérer à leur délire, je peux refuser. Quant à l'administration, si elle me demande de participer à son hallucination collective ou du moins à sa représentation organisée d'entités inanimées qu'on a dotée de personnalité (l'état vous ordonne de faire ceci ou cela, au nom de la nation, de la patrie, du peuple réunis sous les lambris, que sais-je), ce n'est pas sous forme d'une proposition.
On ne me donne pas le choix, du moins pas d'autre choix que d'être acteur, dans le bon sens, d'un scénario dont je ne suis pas l'auteur. On me demande de " jouer un rôle", et bien.
On ne me demande pas si je me sens concernée ou pas par la vision collective mise en place par ces lois, et que la police et la justice sont chargées de finir d'appliquer, dans ce que l'anglais appelle le " law enforcement".
Les lois de la république, et l'immense barnum qui va avec, sont la seule représentation du monde à laquelle je sois forcée d'adhérer.
Or nous avons vu que la construction du moi demande une liberté de l'individu à pouvoir opposer ses propres valeurs aux propositions envahissantes de l'extérieur. L'individu qui obéit passivement à toute injonction est aussitôt diagnostiqué comme clivé, réfugié dans un monde intérieur imaginaire, malade.
Or le citoyen obéissant est vu par la démocratie comme le citoyen " normal", l'autre étant un délinquant à rééduquer.
Voilà je pense posés quelques éléments qui permettent au lecteur de s'orienter dans ma perspective : La distance de soi aux autres est un espace sur lequel coexistent plusieurs histoires entre " moi " et les autres..
Un premier calque est pourrait-on dire " l'histoire individuelle ", celle qui a lieu lors de la construction du moi, une histoire entre le bébé et sa mère, puis les parents, les proches, les premiers éducateurs, tout ceux qui vont contribuer à la mise en place de ce moi.
Cette première histoire, le jeune enfant va réaliser au cours de son passage qu'elle est " emprise " au sein d'une seconde histoire, celle de la société
(2). Jusqu'ici, sa volonté s'opposait à une liste fermée d'individus : si je ne peux pas faire ceci ou cela, c'est parce que ma mère, mon père, mon instituteur, mon camarade me fait savoir que cela ne leur plaît pas que je le fasse.
Très tôt l'enfant va " anonymiser " l'interdiction à l'aide de l'expression " ça se fait pas ", qui peut désigner soit un interdit perçu comme collectif, soit fantasmé comme collectif, projeté, et que l'enfant tente en la circonstance d'appliquer à son propre cas pour dénoncer ce qui lui semble une injustice qui lui est faite.
Mais petit à petit, l'enfant va réaliser qu'à côté de ces codes territoriaux tacites, existe le fameux corpus des lois de la république. Et qu'elles s'appliquent lui comme à tous. Brusque élargissement de l'assise. Le consensus disparaît dans le processus de représentation, les pratiques électorales, et la frontière de ce consensus disparaît à l'horizon.
Le dilemme résultant est une distorsion d'échelle. Sur le mètre qui me séparent des autres dans mon espace corporel, je dois projeter l'image de l'ensemble du dispositif social. Ce qui régit mes rapports avec mon voisin est surdéterminé par une vision fantasmée par d'autres, mais qui s'applique néanmoins à moi avec la minutie millimétrique des menottes, et autres violences policières, en cas de remise en cause.
Comment espérer que cette projection se passe bien dans tous les cas ? Tous ceux qui ont eu à faire une projection publique d'un film ou de photos savent qu'il y a une combinaison entre la taille de l'image, les dimensions du local de projection, le recul du projecteur, bref, soit ça fonctionne, soit il faut changer quelque chose.
Or il est évident qu'au départ,
ça ne fonctionne pas. Il est évident qu'au départ, je veux tout pour moi, les autres ne sont là que pour s'effacer ou me servir. Lorsque je découvre que les autres ne sont pas à mon service, ne sont pas que des prolongements de ma volonté, alors une régression du territoire de ma toute-puissance s'opère. Mais il faudra qu'elle s'arrête avant que j'aie peur qu'elle progresse trop, et ne me laisse plus de place.
Il va falloir une adaptation. C'est donc à l'individu qu'on va demander de s'adapter au plus vite pour que ça fonctionne un peu tout de même. Or on demande à l'individu de s'adapter en quelques années, tandis que l'esprit des lois, lui, met des années ou des dizaines d'années, voire des siècles à s'adapter. Et encore, on ne lui " demande " pas. On lui impose de jouer sans pouvoir accepter ou refuser les règles.
Nous connaissons tous nombre de cas où nos rapports présents avec le voisin sont régis par des lois qui ont des siècles de retard par rapport à un contexte réel qui évolue rapidement. Même si ce n'est encore qu'un détail.
Infondée, la pression législative est en outre toujours en retard par rapport au milieu où j'ai grandi, et aux extensions progressives que j'ai construites à partir des quelques contrats
de gré à gré établis au début de l'enfance.
Une restriction infondée, mal mesurée, inappropriée, non consentie et décevante
(3), est donc opérée de force sur les frontières du moi de la personne sur laquelle elle étend son emprise. C'est là la définition d'un viol.
Là où la propriété est vol par préemption d'un espace interdit à l'autre, et " justifié " par les lois qui protègent la propriété par la force, la loi mise en oeuvre lors de l'interpellation et de la détention est viol par emprise forcée d'un moi collectif halluciné sur celui d' une individualité à laquelle le collectif impose de régresser pendant la période de soumission du viol. (D'où que c'est de l'intérieur que les prisons imploseront)
Les cyniques rétorqueront que c'est bien là la terreur grâce à laquelle on espère empêcher l'individu de contrevenir à la loi. On rappelle à l'individu les régressions qu'il s'est imposées enfant de peur de perdre l'amour des autres, et on lui laisse entendre qu'il suffit de continuer à se comporter ainsi. On m'accordera que si cela fonctionne pas mal pour la quiétude de la quasi-totalité des soumis parce qu'ils sont nantis d'une contrepartie acceptée, il reste que premièrement ces derniers volent et violent dès qu'ils pensent que ça ne se voit pas, et deuxièmement du point de vue philosophique, c'est indéfendable.
C'est indéfendable, parce que le petit chef de guerre dans les pays prétendument " chaotiques", à qui le quidam moyen est contraint de faire allégeance ne procède pas autrement (Cf. les prisons improvisées du petit chef de quartier, où on leur fait réviser le Coran, dans la ville où une ambassade UK avait sauté, il y a quelques années, Egypte ?). Ni le petit fonctionnaire corrompu à qui je cède, et dont les exemples pullulent de par le monde.
Ces pratiques ont tendance aujourd'hui d'ailleurs à s'étendre de l'adulte vers l'enfance. Dans les écoles primaires en France, les enfants sont publiquement évalués à l'aide de points de couleur. Les roses (gentils) ont des droits étendus, les autres ne peuvent plus emprunter de livres. Ils sont punis par des sanctions inappropriées en cas d'écart de conduite (Le rapport entre un trouble du comportement et l'interdiction de lire ?). Tout cela pour éviter d'avoir à faire correctement le travail d'éducation.
Autre exemple, l'évaluation professionnelle chez l'adulte. L'évaluation se fait par formulaires quantifiés qui comprennent le " savoir-être ", c'est à dire le degré de maîtrise de son mécontentement, donc sa soumission canalisée. Cela évite le rapport humain et permet de se retrancher derrière des critères quantifiés " objectifs". On désobjective l'humain (au sens de relation à l'objet) pour ne plus avoir affaire qu'à des rapports chiffrés.
Et c'est là que j'en arrive à mon sujet. N'y aurait-il pas un moyen d'introduire dans l'éducation des enfants, et dans le fonctionnement politique de la société, des éléments qui fassent que tout cela se passe mieux ?
Que serait un " mieux " et qu'est-ce que j'appelle " faire correctement le travail d'éducation " ?
Le mieux serait que tout rapport d'un être à un autre soit un gré à gré, et non régi par contrat imposé depuis l'extérieur de la relation. Le mieux serait aboutir à un système qui soit meilleur dans les deux sens que peut prendre le trajet dans l'espace interpersonnel :
- aller vers l'autre autant que possible, accueillir l'autre dans sa différence la plus grande comme une richesse.
- avoir toute liberté de ne pas participer à un rituel social, à se retirer du jeu, et à pouvoir facilement et efficacement arrêter l'autre dans ses tentatives d'emprise sur soi.
Autrement dit, parvenir à ce qu'on ne m'impose rien, et qu'on ne m'incite pas à m'imposer à moi-même quoi que ce soit en quoi je ne me sois pas pleinement et sciemment engagé, et que j'ai la liberté totale de remettre en cause tout engagement.
Le travail d'éducation serait de parvenir à ce que chacun intègre cette façon de fonctionner, que chacun puisse discuter de ce contrat social jusqu'à temps qu'on ait épuisé tous les litiges. On va me répondre que c'est trop cher, les gens n'ont qu'à se payer des précepteurs, et tant pis pour les autres.
D'autres me diront que pour le coup, c'est moi qui suis en plein délire, et qu'aucune société ne peut fonctionner si tout individu peut à tout instant remettre en question les conventions sociales pour déplacer la ligne de ce qui lui semble applicable à son propre cas en la circonstance. C'est le fondement même de la règle qui semble battu en brèche.
Cette flexibilité est pourtant inscrite dans la loi même, par exemple avec la notion de " légitime défense". Or pour reboucler une dernière fois sur l'origine de cette réflexion, les psychothérapeutes vous diront que certains passages à l'acte violent ont bien pour origine la perception d'un danger imminent pour le moi, contre lequel l'acte violent semble la seule défense possible pour protéger l'intégrité du moi.
Ce que je me demande, c'est s'il y aurait moyen de réduire le risque d'apparition de comportements considérés comme pathologiques, par une éducation appropriée de ce réflexe de protection, ou sa propre défense enjoint d'outrepasser les règles de la vie en commun. Et si oui, bien sûr, comment la pratique des arts textiles de manière accompagnée pendant l'enfance pourrait contribuer à cet objectif.
Voilà ce que je vais examiner maintenant, mais il me fallait poser le décor correctement, pour faire entendre dans quel cadre je situe ma réflexion.
Et bien entendu quand je dis " considérés comme pathologiques", j'entends les moindres de ces désordres, c'est à dire le malaise en société, dans le cadre familial ou scolaire. Et plus encore, dans la mesure où la médiation de l'apparition de ces problèmes contribue à soulager les souffrances de l'individu, contrecarrant ainsi les tendances à l'aggravation du risque d'apparition de " réelles " psychopathologies chez l'adolescent, et évidemment, l'adulte, citoyen et .... futur parent.
A suivre, donc.
(1) Je ne dis pas que les deux se superposent, et certains usages que j'en fais ici peuvent choquer si on ne prend pas garde à cette nuance.
(2) Plus tard encore, l'individu se rendra compte que les idéaux sont " figés " dans les canaux fermés de l'action politique, comme les aspirations spirituelles sont " gelées" dans les structures religieuses du monde.
(3) Je ne dis pas qu'il y aurait au cours d'un viol quelque espoir déçu, je dis que c'est le viol qui constitue en lui-même une déception d'être protégée de l'agression par quelque puissance protectrice. La loi me "déçoit", en ce qu'elle est censée me protéger du viol, et non pas me violer. C'est pourquoi toutes les autres constructions de type féodal, depuis le clan des " grands frères du quartier " à la mafia, proposent également (sans tenir la promesse) protection en échange de la soumission.