Si vous lisez un traité sur la gravitation, l'objet du traité, à savoir cette force, n'est pas dans les équations et les démonstrations, elle est partout, mais au dehors. Si vous lisez un traité sur l'irrigation, vous ne vous attendez pas à voir dégouliner les pages. Il ne vous viendrait pas à l'idée de chercher de l'eau dans le livre, ni des plantes. L'objet d'un discours n'est pas dans le discours. Or cette confusion est répandue en art, mais elle est particulièrement nocive quand on l'applique à l'art du XX ème siècle, lorsqu'on cherche la raison d'une oeuvre dans cette oeuvre.
Imaginez un dispositif constitué de deux sphères : l'une de un mètre de diamètre, en mousse ultralégère, et l'autre de dix centimètres de diamètre, très lourde, genre boule de pétanque en pire. Les deux sphères sont reliées par une tige rigide.
Le barycentre est ce que j'entends par là : Le centre de gravité de l'ensemble est situé dans un point difficile (par rapport au cas de deux boules identiques, où il est au centre) à situer instinctivement, car il est très proche de la petite boule.
Dire qu'il est très près de la petite boule, c'est dire qu'il est éloigné de la grande. C'est dire qu'une petite chose est si importante qu'elle attire à elle l'intérêt de la chose, elle l'aspire comme une marée.
En fait ce point n'est " nulle part", l'intérêt n'est pas vraiment dans une des choses. Le barycentre est aussi ce point central du tore, qui est extérieur au tore, figure chère à la Vilaine Guillemette.
L'endroit où il faut mettre le doigt si on veut conserver une juste représentation de l'ensemble, c'est sous la petite boule, ou pas loin.
Donc, ce que je veux dire, c'est que de même pour son oeuvre, elle constitue, par ce point quasi invisible qu'est la vidéo de Gina Pane où elle cogne sa tête contre un tableau. La raison absente.
On cherche en vain, dans l'oeuvre de ses contemporains dans la grande boule, la raison de ces oeuvres. La raison, l'explication, elle en est là, dans cet instant, dans ce déclic.
Gina Pane a ouvert la porte, les autres se sont engouffrés dedans. ce que disait Malraux de l'imprégnation est en partie vrai, il suffit qu'un artiste ait vu cela une fois pour être imprégné de la liberté que contient ce geste, et qu'il l'insuffle dans son travail.
Citons encore Guillaume : " Il ne faut pas que tout cela me fasse oublier que je suis arrivé au tore à cause du fait que son barycentre se trouve à l'extérieur de lui. Le sens est à la forme ce que le barycentre est au tore. Il lui est donc " extérieur". Sauf qu'il faut bien, justement, qu'il communique avec sa forme pour des raisons d'équilibre du système.
C'est donc la même erreur symétrique que de chercher l'explication du travail de Gina Pane dans la vidéo. La raison de ce qu'elle fait, l'influence, en est à chercher dans l'oeuvre de ses collègues. C'est ainsi que fonctionne l'art, comme un seul espace où les pensées communiquent entre elles, mais où d'un centre d'intérêt peut rayonner une importante énergie d'inspiration, qui ne se voit pas en termes de surfaces sociale dans le marché de l'art, mais qui apparaît à celui qui se penche sur ce qui irrigue secrètement (et pas toujours consciemment) la création du futur.
Et je pense que l'art de la performance tel que l'ont pratiqué Gina Pane, Marina et Esther est d'un poids sous-estimé pour comprendre les forces motrices du planétarium de l'art au XXème siècle, les raisons pour lesquelles on fait "comme ça".
Pour lesquelles les autres font comme ça. Cette raison, elle est à chercher dans le mouvement de tête contre le tableau. Regardez cette détermination, cette conviction, la certitude de donner le tempo de quelque chose qui se lit dans cette oeuvre. Elle décrète que la décision esthétique est désormais étendue à cette gamme d'outils, tout comme Duchamp avait décrété que la frontière de l'art passsait désormais par dessus l'objet quotidien, que l'art annexait désormais cet objet. Gina décrète que l'art annexe désormais tout décision, qu'elle est maintenant à la disposition de l'artiste.
Pour info, le barycentre du tore :
est sur l'axe qui comprend le point rose. Il est donc le point sous lequel il faudrait mettre le doigt pour porter le tore, ce qui ne fonctionne pas non plus. Éternel "non plus" de la solution toujours repoussée, intellectuellement découverte et inapplicable en réalité.
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