De l'art, ou du cochon, comme disait Thiéfaine.
Il est des artistes qui se sont fait une notoriété en reliant leur pénis à leur bouche par un tube. Ils en furent punis, dans un pays hostile à ce genre de pratique.
Leur gloire a grandi du fait de cultiver un côté transgender, et des apparences cross, en habillant et en maquillant un corps qui s'y prêtait, dans un pays qui réprouve ce genre de pratique.
Se peindre en enfant. Trouver un filon, reconnaissable, comme un logo, qui tiendra lieu de style.
D'autres ont ajouté des couches de peinture à des tableaux, mais seulement une fois par jour, mêlant par là la performance à leur pratique de peintre.
Cela suffit-il à faire de l'art ? Cela suffit-il à faire quoi ?
C'est comme si on disait que les vagues suffisent toujours à atteindre le rivage, puisque la plage est ce-qui-est-atteint-par-les-vagues.
La bonne longueur, pour les jambes, c'est quand elles touchent par terre.
Alors cela suffit-il ? Oui, la preuve, puisqu'ils sont dénommés artistes.
Je suis allée au FRAC de Rennes découvrir l'exposition Ulysses.*
Il faut voir le parcours des migrants. C'est poignant. Ces types font un parcours de milliers de kilomètres avec leurs seuls habits sur le dos, ils déjouent tous les pièges de la police, affrontent les chaleurs du désert et les fureurs de la mer avant d'arriver "chez nous".
Ces gens ont vécu autant que nos "aventuriers", ils ont rusé, enduré, surmonté.
Heureusement, et j'en suis fière pour mon pays, quand ils arrivent ici, on leur dit " Toi qui as franchi toutes ces épreuves, et pour avoir résisté à tout cela, pour avoir traversé à pied des continents sans parler la langue, sans un sou, tu dois avoir une sacrée personnalité, viens, tu vas faire partie des forces vives de la nation.
Viens on va d'abord te réconforter, t'habiller, te remettre d'aplomb, tu dois être fatigué des épreuves d'un si long voyage. Puis on te mettra en contact avec ta communauté, pour que tu retrouves ta langue, tes racines, tes usages, tes chansons à boire. On les aidera à te trouver du boulot"
C'est émouvant, ces paysages de Calabre, et ces collines de Gibraltar, où l'on entend les cigales, et où on devine les migrants, cachés.
Est-ce que c'est de l'art, de filmer des policiers marocains ? C'est un documentaire, mais un peu plus. Pas tout à fait une fiction non plus. C'est entre les frontières, comme les migrants.
Ca se donne à voir, ça se donne à s'accepter comme un témoignage du siècle, quelque chose à monnayer. Il y a les cartes postales avec leur ciel de deuil, qui absorbe tout, qui boit un passé déjà englouti, qui l'absorbe une dernière fois.
Et c'est bien, pour se préparer à la version photo des lieux abandonnés. Des ports. Tout ce qui s'en va de l'époque des épices, des départs, des " arrière-pays", pour devenir des zones désaffectées, des zones de transits de container mécanisés, et des " fronts de mer " pour investisseurs immobiliers.
C'est un tragique basculement qui nous est donné à voir. Depuis un temps qui a encore ses vestiges, des lambeaux accrochés aux rivages, le souvenir des coutumes, des usages, des bordels à marin et de l'hospitalité, hop d'un coup la chaloupe bascule vers les zones de fret, entre les villages déserts. Avec pour espoir les rails de sécurité de l'autoroute transmanche.
Le blues, comme un balai. Tu peux t'en servir pour cette performance de tout repeindre, sous prétexte de balayer la poussière.
Étrangement, on nous avait laissés, enfants, face à face
Tes clairs naufrages sont devenus des yeux de femme
Étrangement, nous sommes restés depuis, main dans la main, nous regardant
C'est marrant parce qu'un peu plus tard, j'ai vu les images de houle dans le film de Manoel de Oliveira consacré au P. Vieira.
Petites billes vertes de cire amère, saupoudrées de sable tiède. En même temps qu'être près du garage, là où on ne sait pas que nous nous tenons volontiers, un pied dans la flaque fraîche du robinet qui goutte.
Oh et puis après tout, si cela les fait vivre, le temps de leur vie, qu'ils trempent donc leur trompe d'éléphant dans l'encre, je m'en irai déambulant aux grèves, jusqu'à ce que le vent emporte mes souvenirs, ton souvenir, tout.
* Je passe sur le cheval en carton, je vais encore dire des bêtises. Quant au dispositif à leds, si le Frac l'a acquis, je me demande ce que ça donne une fois rangé en réserve après l'expo. Un paquet de transfos entourés de fils... C'est bizarre, tout de même.
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