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jeudi 29 novembre 2018

Du pourquoi des courants

Suite notamment à cette émission de France Culture, j'ai vu se dessiner un courant global, ou plutôt un carrefour de courants, dont je vais vous entretenir ci-devant. 

Au carrefour de ces courants se produit donc un confluent de forces, lequel a pour effet de reconfigurer le paysage politique général des pays concernés, et l'intérêt c'est qu'ils sont de plus en plus nombreux à s'aligner sur ce qui finit par devenir un modèle, au sens scientifique du terme, et non moral, bien au contraire. 

Ces deux courants agissent conjointement, en feed-back, en partant d'un état initial quelconque, une offre politique régionale diversifiée, pour aboutir à un état final toujours un peu similaire, c'est à dire une bi-partition. Cet élément est absorbant pour la relation considérée, c'est à dire que, quel que soit le paysage politique de départ, le phénomène agit comme une uniformisation qui rampe à présent tout autour de la planète, profitant de toutes les forces standardisantes, les agrégeant autour de lui comme un maëlström.

Le premier courant est une propension de l'animal humain à la jouissance, autrement dit à désirer toujours plus de confort gratuit obtenu sans effort. vous me direz, il faudrait être folle pour souhaiter payer pour en chier. Il est beaucoup plus simple de passer dans un garage chauffé attenant à sa maison, pour monter dans un SUV chauffé, ouvrir la porte télécommandée du garage, et rouler sous une averse de grêle, que de faire la même chose en mode "pauvre", c'est à dire prendre son courage sur le seuil en regardant le ciel, manœuvrer les serrures avec des doigts endoloris par le gel pendant que l'eau glacée vous coule dans le cou et envahit vos chaussures, avant même que vous n'ayez atteint l'endroit où vous rangez votre vélo. 

On peut faire le même constat avec la cuisine, la télé, les loisirs, inutile de raconter des 'histoires aux petits enfants de décroissants, il est beaucoup plus agréable de tourner un bouton pour avoir un bain chaud dans une belle salle de bains chauffée, avant de se glisser dans un bon peignoir éponge douillet, tiédi au sèche-serviette, que de se laver à l'eau froide dans une pièce glacée. Les hérétiques relèvent du club SM. Bien. 

Le passage d'une proportion élevée d'individus (un grand %) d'une société d'un de ces états à l'autre s'appelle "émergence d'une classe moyenne" (ECM). Émergence est un mot qui dit bien que le processus est dynamique. Nous ne parlons pas d'une (toujours très hypothétique) classe moyenne, mais de l'émergence de cette classe, ce qui est complètement différent. "Classe", quant à lui, est entendu au sens marxien.

Ainsi cette émergence se définit-elle par son avant et son après, son derrière-elle et son devant-elle, d'où elle vient et où elle va, c'est à dire non seulement son passé et son avenir, mais aussi ses hantises, ses attentes, ses rêves. 

Si on tient à les définir en absolu, le mieux est sans doute "petit-bourgeois", avec le sens qu'on donnait à "bourgeois" chez les intellectuels français lorsqu'il en existait encore, c'est à dire avant la chute de Vincennes. Pour ceux à qui cela n'évoque rien, on peut dire que le mot désigne avec une connotation de mépris la personne qui ne pense qu'aux objets et "services" (commerçants qui les vendent, restaurants, teinturerie, voyages et séjours de vacances...) qu'elle achète pour les consommer, en gros manger le plus possible, et vivre ainsi le plus longtemps possible pour le moins cher possible, et non au contenu intellectuel et artistique de sa vie (livres lus, expositions et concerts auxquels on assiste, art admiré, possédé ou critiqué...) ou au recul qu'on prend par rapport à sa classe (opinions, révoltes, choix de vie, aventures, risque, exploits romantiques, suicide...)

Le second courant est cette propension d'un système mercantile à produire ce qu'on lui achète, comme l'eau à s'écouler vers les vallées, ou les billes hors d'un sac, sauf que ces deux dernières images sont passives, tandis que le phénomène dont je parle est actif. On peut par exemple prendre l'image d'un revolver vide. Si un homme possède les cartouches correspondantes, il en garnira les logements vide du pistolet. La cartouchière attire la cartouche, qui voyage alors vers le barillet, puis vers le canon et enfin vers sa cible. Tous ces vides "appellent" successivement le plein de la cartouche.
Et pour mettre en route ce voyage, le tireur va se rendre à l'armurerie pour acheter. l'armurier aura préalablement fait rentrer des boîtes de munitions, aspirant à l'extrémité du tuyau de la chaîne de production. Le désir français siphonne la douleur de l'ouvrier chinois comme on aspire de l'essence dans un bidon pour dépanner une voiture, en faisant remarquer que le Chinois en vient à s'auto-siphonner. C'est une caractéristique de l'ECM à la chinoise.

C'est ainsi qu'on voit ce second courant commencer à former avec le premier un phénomène de feed-back caractéristique du siphon : accélération du même phénomène dans le même sens, les deux courants contribuent à le renforcer, cette amplification augmentant la force d'aspiration des courants etc. : nous sommes toujours dans la dynamique. En effet, pour acheter, il faut disposer de moyens de paiement, ce que la classe moyenne possède plus que les pauvres, et pour se réaliser par  le consumérisme de masse, fantasme caractéristique de l'ECM, il faut acheter. La boucle se met en place.

Il s'agit maintenant de voir comment ces deux courants s'entretiennent mutuellement pour  créer une dynamique de reconfiguration politique. En effet, si ces courants étaient contradictoires, ils pourraient s'équilibrer, et anihiler mutuellement leurs forces et leurs effets. Or ici, agissant dans la même direction, leur résultante additionne leurs effets dans une direction commune.

Cette direction commune mène à la reconfiguration du paysage politique (RPP) opéré par le premier courant. RPP qui amène l'ECM, puis est entretenu par l'effet siphon de l'ECM.

Tout ce qui va suivre est brossé à grands traits, et donc prend le risque de tomber dans la caricature. Mais si on travaille sur les photos des fonds marins, les photos satellite nous rendent les détails flous. Cet essai étant à l'échelle mondiale, on doit effacer certaines disparités, et donc inévitablement être inexact "par endroits" (1).

En consentant à sacrifier cette finesse, on peut dégager un phénomène d'ampleur mondiale tout à fait amusant. 

 Que se passe-t-il lorsque l'ECM se met en place, à la fin du XXème siècle en Europe après la seconde guerre mondiale ? Elle trouve un paysage politique déserté par les forces politiques antérieures, basées sur les anciens piliers des sociétés : patrie, religion, et autres idéologies qui ont conduit aux guerres mondiales et dont la jeunesse ne veut plus entendre parler. Le village devient global, la terre appartient à tous, du moins à son locataire, lequel ira voir ailleurs si ça ne lui plaît pas, la planète étant alors infinie.

L'idée est désormais de s'épanouir dans la vie à travers la matérialité. Les premiers banlieusards sont éblouis du luxe des barres de HLM :  pour eux, chacun sa pièce, même minuscule, et une salle de bains avec de l'eau chaude, c'est le luxe. L'ECM est en route, le reste suivra : télé, voiture, pavillon. Éclatement des structures urbaines (2), le luxe c'est d'avoir tout en minuscule, la caravane est le futur du pavillon, on le voit aux USA, c'est maintenant bien implanté (3). La révolution numérique y pourvoira avec un écran qui occupe tout le mur. Pas de terrain, mais des pixels par millions.

Tout cela est connu, il s'agit des trente glorieuses.

C'est ce qui est en train de se produire en Turquie, en Inde, et en Amérique du Sud. Il y a un film magnifique sur le mariage d'une ECM-- de banlieue genre Lima. Cabane en parpaing, festin avec verres en plastique, c'est de toute beauté. Au début du film, défilé des voisins qui amènent des cadeaux, une télé, et je ne sais quel accessoire ménager à mettre dans la cabane en parpaings. Je me demande si ce n'est pas elle qui est engagée comme domestique chez une dame qui a cassé son piano. Donc, une classe moyenne avait pour passé le logement précaire, la rue sale, limite bidonville. Elle a pour avenir le pavillon, la voiture, les enfants qui font des études, et la balade au centre commercial le dimanche, à acheter des babioles chinoises.

Des centaines de millions d'individus sont en train de basculer dans ce modèle. En réalité, ils sont dans la misère comme avant : tout est acheté à crédit, et rien ne prend de la valeur, c'est moins cher de racheter que d'entretenir. Peu importe ce qu'ils achètent, l'objet n'est qu'un support pour le crédit qui va avec, ce qui permet de continuer l'expansion de la pyramide de Ponzi planétaire qu'est devenue l'économie mondiale.

Et la politique dans tout cela ? C'est là que, de tragique, cela devient grotesque. Ce mouvement va percuter de plein fouet le paysage politique en place, bousculer les anciens partis, faire voler en éclats les anciens clivages, et reconfigurer le paysage politique, peu importe ce qu'il était avant, dans une bipartition fondamentale.

La nature de cette bipartition s'explique très facilement par le mécanisme qui lui donne naissance : l'ECM. Lorsque vous êtes en transition dans la classe moyenne émergente, il n'y a que trois solutions : ça marche pour vous, vous devenez classe moyenne supérieure, vous stagnez et votre transit s'enlise, ou alors votre émergence rate, et vous devenez un laissé pour compte de la croissance.

Pour ce qui est de la première catégorie, vous devenez adhérent du système libéral, de l'économie de marché, des privatisations, vous achetez votre énergie, votre éducation, votre santé, le moins cher possible, et vous en avez pour votre argent.

Pour ce qui est de la seconde catégorie, on vous fait comprendre que c'est l’Économie qui ne marche pas aussi bien qu'on voudrait, et donc comme à toute Déesse capricieuse, il faut faire des sacrifices. Comme dans l'antiquité, vous n'aviez pas de bonnes moissons parce que le temple de la divinité n'était pas assez garni, de même aujourd'hui la déesse Economie de vous favorise pas de sa divine croâssance et de son divin emploâ parce que vous n'avez pas encore assez sacrifié votre vie de famille. Vous devrez travailler plus longtemps pour moins cher.
Si ça ne marche vraiment pas, on vous fait comprendre qu'il faut aller habiter un ghetto ou un bus médical passera de temps à autre.
Ces deux premières catégories se recrutent en centre ville et dans les banlieues.

Pour ce qui est de la troisième catégorie, les perdants de la mondialisation, on les recrute surtout en petites villes et zones rurales. Ils on l'avantage d'habiter parfois encore la maison de leurs parents, et peuvent donc garer leur voiture dans un vaste espace devant la maison, ce ce qui est un luxe inaccessible aux dizaines de millions de banlieusards. Pour le reste, c'est alcool et télé.

Leur destin est donc de tomber dans les bras des partis "populistes", dit-on aujourd'hui pour qualifier ces sortes de "pré-fascistes" dans le processus de décomposition de la démocratie qu'illustre cette dérive. Les partis "populistes", recueillent en France le vote d'une personne sur cinq, au pire. On parvient à occulter cette réalité pendant 1795 jours après chaque élection, c'est à dire qu'on met ce résultat sous le tapis au lendemain du second tour, jusqu'à un mois avant le prochain scrutin, où on rouvre la boîte à meuh qu'on avait rangée au dessus de l'armoire, on pousse les hauts cris, on fait tous la main sur le cœur un "pacte républicain", pour faire élire le candidat du néo-libéralisme et du consumérisme de masse, ou plutôt pour faire rater la marche au "populiste".

Ainsi, en premier les CM émergents ++ continuent-ils de pouvoir faire tourner la machine à crédit dans les supermarchés, en second les CM émergents - sont-ils priés de se serrer la ceinture pour rembourser la dette des précédents, tandis que les troisièmes seront renvoyés à leur ferme ou HLM, et ça tiendra bien encore 5 ans.

Ainsi le paysage politique, cette fois au sens large, civilisation, culture... est-il pulvérisé pour se réagréger autour de ces deux pôles ; une majorité vaguement souffrante, pleine d'espoir, qui trime pour s'en sortir, et une minorité dont on achète le silence à coup de prestations sociales.
Tout le reste sombre, la culture au sens large, c'est à dire les spécificités d'un peuple, et notamment ses savoir-faire. Tel peuple savait teindre les textiles, l'autre les tisser, un troisième les broder. Et cette spécificité permettait d'exporter les produits au delà du village, et de pousser ces savoir-faire.

Mais le consumérisme de masse ne peut pas fonctionner avec des peuples disparates, qui lisent des livres dans 36 langues différentes, qui fabriquent leur costume, qui font pousser leurs plantes, qui mangent ce qu'ils produisent.

Pour pouvoir rafler de la marge sans rien faire, le monde financier a besoin d'un seul citoyen mondial uniforme, qui s'habille avec les vêtements de la grande usine chinoise, qui mange les mêmes purées produites par la même machine en Pologne, qui roule pour brûler de l'essence avec la même voiture produite en Inde, et qui regarde le même film produit par la Silicon Valley.

Et c'est là que le deux courants trouvent leur synergie, qui fait que cet immense fleuve se déverse dans le même lit: la flemme. A part quelques excités, vite qualifiés d'hyperactifs, les gens devenus obèses et cardiaques sont de plus en plus dépendants du système de consommation qui, tout en faisant émerger leur classe, les plonge dans une passivité physique croissante, les englue dans une passivité mentale télévisuelle.

En fait, l'humain, le vrai, le génétiquement non modifié, sera bientôt une plaie pour l'usine à plastiques. Il faut le remplacer par un robot que ses multiples implants rendent dépendants à la machine, un débile qui ne sait plus se repérer dans son quartier, un décérébré angoissé à l'idée de faire trois mètres sans son smartphone. Plus le téléphone est intelligent, plus son porteur devient débile.

Plus il devient débile, moins il s'aperçoit que, élection après élection, le seul choix politique qu'on lui propose est entre un néo-libéralisme, capitalisme, appelez cela comme vous voulez, et un pseudo-fascisme de pacotille, avec ses ratonnades d'opérette dans les foyers et ses glorieuses croix gammées sur les cimetières la nuit, que les ligues diverses vont agiter comme le retour du grand méchant loup, et commises en réalité par des gamins de 14 ans qui s'emmerdent au point de faire n'importe quoi qui leur rapporte dix vues sur Instagram.

Car le problème du capitalisme est que la troisième population, celle des laissés pour compte, grandit inexorablement. Pour endiguer la violence qui casse ses outils de production, le capitalisme a donc engagé une impitoyable course contre la montre, dont les trois facteurs clés sont :

- Ériger toute revendication minoritaire en nécessité absolue, à condition que cela reste confiné à la cellule, au bloc, à l'étage, au bâtiment désigné. Par exemple on criminalise toute allusion aux critères ethniques d'une personne, de façon à criminaliser le monde extérieur, tandis qu'on remplit des prisons de femmes noires obèses, où on arrive à les faire tenir tranquilles avec un maximum de droits, pourvu qu'elles ferment leur gueule, et bouffent des chips gratuits en regardant la télé.

- Transformer biologiquement et génétiquement l'être humain en robot obéissant à son maître qui en contrepartie, lui monte et démonte ses pièces de rechange gratuitement dans le cadre de la CMUC.

- Séparer les classes pour qu'elles ne se rencontrent jamais. Les ECM++ doivent vivre dans un grand parc de loisirs. Ils doivent pouvoir aller faire du trekking à l'autre bout du monde, et ne rencontrer que allées propres, bâtiments lavés, gens sympathiques, bien élevés et propres sur eux, distributeurs de coca frais partout, avions à l'heure, hôtesses souriantes, loueurs de voitures qui prennent les valises, qui sentent bon, loueurs d'appartement originaux, sympathiques, fenêtres qui ferment bien, radiateurs qui marchent, cloisons silencieuses, pour pouvoir eux aussi mettre 5 étoiles au monde avec leur smartphone.

Ils ne doivent surtout pas croiser les paysans de la vallée d'à côté, expropriés d'une terre empoisonnée par l'usine qui extrait le minerai pour les écrans de smartphone.

Une fois le piège mis en place, le moteur de l'ECM peut fonctionner en boucle de renforcement, c'est à dire en resserrant le collet, avec les effets suivants :

- A chaque nouveau scrutin, la masse des mécontents menace de voter "populiste", et tout le monde se rassemble au second tour pour faire capoter le projet, avec 25 % des voix compte tenu des mécanismes électoraux. Ainsi la masse des mécontents pense avoir donné au pouvoir un "avertissement", et feint de croire qu'il va s'amender.

- Pendant ce temps là, c'est encore une mandature de gagnée. Rappelons-nous que nos dirigeants sont comme des braqueurs de banque : lorsque l'alarme sonne, ils ne se demandent pas s'ils ont bien ou mal fait, au contraire ils se hâtent de ramasser les derniers billets avant l'arrivée de la police.

- Lorsque le pourrissement est assez avancé pour que le pays verse pour de bon dans le "populisme" dans l'espoir que ceux-là vont au moins éradiquer la mafia de la drogue, ce qui est un comble vu que ce sont les mêmes (voir récemment le Brésil), on  assiste à l'ouverture du dernier opus de la descente aux enfers : la mafia du business invite la police à se servir à la banque, et en matière d'opérations mains propres, la corruption s'étend définitivement à tous les secteurs grâce au népotisme, le tout dans une ambiance de répression accrue.

L'épisode final est bien sûr la guerre civile, avec prise de pouvoir des militaires, une ou deux générations de chaos, avant un retour de la prospérité à la "mort du dictateur", un patriarche à la Garcia Marquez, évidemment.

Certains pays, par exemple en Afrique, rejouent hélas en boucle la dernière saison depuis le départ des colons. On en dira tout ce qu'on voudra, il faut être de mauvaise foi pour ne pas convenir qu'on aurait pu en sortir par le haut, et instaurer une vraie démocratie.

Mais la démocratie ne marche que sur des gens prêts à se sacrifier pour le bien commun, et non sur des gens prêts à exterminer leurs semblables pour un peu d'or. Tant qu'une ou deux générations n'auront pas été éduquées "à la jésuite", avec une prise en compte de l'intérêt de la communauté à côté des appétits individuels, assurant à tous une prospérité durable, quitte à priver quelques exploiteurs d'une fortune considérable, donc tant que ce régime n'aura pas formé une génération de citoyens, fonctionnaires, et artisans raisonnablement avides, tenter d'appliquer la démocratie dans ces pays sera comme chauffer des œufs et de la farine séparément en espérant que cela va faire une tarte. Tant que le mélange initial n'est pas fait, tant que la pâte n'est pas constituée, elle ne peut pas cuire.

Un autre signe que le cercle vicieux est déjà en place dans nos contrées est que les hommes politiques n'ont plus envie "d'y aller". Dans le premier temps du pourrissement, les idéalistes baissent les bras, et laissent la place aux business men, qui se disent qu'on va faire du pays une entreprise. Quand il n'y a plus rien à gagner, les affairistes laissent la place à une espèce plus dangereuse encore, les idéologues passionnés. Ces derniers, psychopathes visibles (contrairement aux Picsou, dont la maladie se guérit parfois), n'ont cure de ne pas faire fortune. Tant pis, ce qu'ils veulent, c'est devenir le fétiche du groupe, et pour cela, il leur faut installer une psychose collective dans le pays.

Cela tombe bien puisque le pays est exsangue économiquement du fait qu'il a été essoré par les affairistes, et que les gens sont donc prêts à adorer tous les dieux (Baal est toujours le dernier dieu " civil" à arpenter les rues de la cité remplie, le suivant arpente en uniforme des avenues désertes). Il lui suffit donc de jouer n'importe quel air de flûte dans un climat paranoïaque, et tout le monde suit. On a vu ce que ça donne.

La bipartition devient alors atroce : l'idéologie du parti noie tout le corps social et le fige, comme la résine plastique envahit un objet et le bloque. Les zombies fonctionnent selon les directives d'une machine aveugle, les derniers hommes libres fuient par les égouts, bref, on connait.

La nouveauté aujourd'hui, c'est que d'une part le phénomène est mondialisé, et que d'autre part, l'outil numérique a fait son apparition.
Je ne dis pas que le vice n'était pas mondial, il l'a toujours été, puisqu'il est consubstantiel à l'humain mal éduqué. Non, il est "mondialisé". C'est à dire que la mafia peut creuser du ciment au Brésil pour alimenter les chantiers bidon en Inde et inversement. La volatilité des capitaux permet de pomper le carburant nécessaire à ce système, de façon de plus en plus vaste, rapide et sophistiquée. Plus une entreprise commerciale est internationale, plus ses racines font appel à des mafias capables de la servir à son échelle, c'est à dire au niveau mondial.

Voir par exemple l'expérience acquise par la mafia en Italie dans le traitement des déchets industriels et ménagers : ils sont maintenant prêts à offrir les services de ce modèle à une entreprise qui a un problème au niveau national. Demain ils pourront œuvrer au niveau mondial pour les entreprises qui le souhaitent, grâce à l'expérience acquise dans un pays.

Si le système fonctionne aussi bien, c'est qu'il a pour le servir l'entropie négative de l'univers, rien que ça. Il est plus facile de salir que de nettoyer, tout le monde le sait. Ainsi, tous ceux qui mettent la merde sous le tapis trouveront le sens naturel des choses pour les aider. C'est là que nous revenons au premier point. La paresse naturelle de tout être vivant le pousse a adhérer au système mafieux, qui est toujours plus bénéfique pour lui, et toujours plus délétère pour la communauté.

Du moment qu'on lui enlève ses ordures, le citoyen se fout pas mal de savoir que ce sont d'autres pays qui servent de poubelle, et que ses propres enfants porteront des masques à gaz pour respirer. Il s'en fout éperdument parce qu'il a appartient à l'ECM, et que nous avons vu que, quelle que soit l'une des trois catégories à laquelle il appartient, il est coincé par le système.

D'où l'intérêt qu'a le système à passer toutes les classes à la moulinette, pour les mettre sur le tapis roulant qui ira nourrir l'ECM : les nobles, c'est fait depuis longtemps (et puis ils ne produisaient qu'un chevalier, un samouraï ou un artiste de-ci de-là..), le clergé n'en parlons pas, restent les intellos de gauche, ou plutôt ex-intellos d'ex gauche, ceux à qui les philosophes à lunettes carrées à la mode reprochent d'avoir existé, puis disparu.

Le France fut avec l'Italie et quelques autres pays européens un magnifique exemple de pays producteur d'intellos, qui emmerdent le système et lui mettent des bâtons dans les roues. A peine le clergé neutralisé, ils ont repris le flambeau de l'idée que pour être heureux, il faut vivre dans une société heureuse, et que ça, on l'obtient mieux en aidant les arts et les lettres qu'en bouffant des chips devant la télé en niquant les autres pays et ses propres enfants jusqu'à la garde.

Heureusement pour l'industrie de masse, l'intellectuel est en train de disparaître au profit de "l'enseignant chercheur", version numérique du savant, prié de trouver ce qu'on lui demande, c'est à dire des moyens de faire de l'argent avec tout sous peine d'être viré par la boîte qui sponsorise son labo.

Après la spiritualité, c'est l'intelligence qui a été sacrifiée sur l'autel du "ça ne sert à rien", ce qui veut dire "ce n'est pas rentable". Il ne manque plus que la liberté, que le citoyen, on l'a vu au tout début de cet article est prêt, en vertu du premier principe à échanger contre du confort. Pourvu que sa flemme soit satisfaite (cf. le vaisseau spatial dans le film Wall-e), l'être humain abdique sa liberté. Pourvu qu'il ait le choix entre des chips goût poulet braisé ou bacon, il se fout pas mal qu'on lui donne le choix de voter entre guignol capitaliste 1 et guignol capitaliste 2, ou entre Poutine et Poutine, ou bien que le Grand Commandeur prenne la tête de l'Empire du milieu sans leur demander leur avis et les déporte s'ils ne sont pas d'accord.

L'autre facteur, c'est le numérique. Lors d'un récent reportage sur une agression, j'ai entendu qu'on ne dit plus les caméras de "surveillance", mais les caméras de "protection". Les caméras ne protègent rien ni personne, à part les fabricants de caméras de la faillite, et encore. Pour le reste, c'est le symptôme de la société qui a échoué dans sa mission à éduquer les citoyens. Plutôt que de compter sur des citoyens bien élevés, on les surveille en train de faire des bêtises, plutôt que d'avoir des lycéens bien élevés qui apportent des manuels dans leur cartable, on installe des portiques pour détecter leurs flingues, bref on transforme la rue en antichambre de la prison, on étend l'univers carcéral à la cité entière, le système constituant en permanence les preuves numériques contre le citoyen déjà-délinquant, mais heureusement repéré par le système.

Car, et j'en finirai là je vous rassure, c'est bien là le point. Je ne plaisante pas avec mon histoire de Jésuite. Au moins ils leur apprenaient à lire, même si c'est pour lire la Bible. La clé de toute la machine, la clé ultime c'est l'éducation, qui fait que le citoyen ne voit plus les enjeux de ce qu'on lui propose, n'a plus accès aux sites terroristes de "fake news" qui racontent des bêtises sur les caméras de protection, bref, le citoyen idéal, c'est l'illettré, l'analphabète à qui Google présente le produit qu'il cherche avant même qu'il en ait tapé le nom, même s'il le prononce mal.

J'ai écrit une nouvelle où un Google-like système prive petit à petit les ordinateurs de clavier, pour les remplacer par un jeu de touches limité à quelques icônes. C'est exactement ce qui est en train d'arriver. Le citoyen doit chercher " restaurant", "hôtel", "alimentation", "lecteur mp3", en appuyant sur des images, tout le reste retournera "résultat non trouvé".

Pas de clavier, pas d'alphabet, partant pas de mot, pas de possibilité de sortir du jeu d'icônes. 5000 ans d'histoire balayés en deux décennies.

Après deux générations de citoyens décérébrés aux tablettes, lesquelles fort heureusement font leur entrée à l'école, qui pensera à demander "pourquoi" ? Pourquoi quoi ? Pourquoi demander pourquoi on ne trouve que les restaurants ? Que pourrait-il y avoir d'autre ? Je ne sais pas, moi, je ne peux pas le savoir, je ne l'ai jamais vu puisque ce n'est pas sur Youtube, la vidéo a été supprimée.

Les gens qui prônent le spirituel ? Fake news. Un avis différent ? Site terroriste, effacé aussi. Mon compte ? supprimé pour non respect des conditions. Ma demande d'explications ? Sans réponse.

Au vu de divers indices, comme l'ardeur des braves gens de Crimée à mourir pour " leur patrie", qui n'est plus qu'un ramassis de supermarchés vides comme tous les autres sur la planète, je me dis qu'il y en a encore pour quelques siècles de barbarie, si ce n'est plus.

On pensait qu'Internet allait éveiller le Chinois, mais ce sont bien les dirigeants chinois qui ont baisé Internet. Le fascisme fait tourner la machine pour lui, à son avantage. Et quand il n'y aura plus de livres, vous pourrez chercher mon nom sur Google, ça fera monter votre cote de délinquance par les algorithmes, et vous aurez pour toute conséquence un accès restreint à Internet.

Je vous laisse méditer là-dessus, buvez de l'eau minérale tant qu'il y en a encore, respirez tant ce c'est gratuit, fumez la cigarette du condamné avant que votre capteur intelligent ne vous dénonce à Google, idem pour vos comprimés stockés dans la boîte à cachets intelligente qui signale à Google que vous n'avez pas pris vos narcoleptiques pour oublier ce que j'ai dit.


(1) C'est ce qui a froissé Einstein lorsqu'il a récusé la mécanique quantiques pour des raisons de "variables locales". cela peut paraître incroyable, mais c'est ce problème d'échelle qui est en jeu.

(2) Tout cela est très bien chuchoté par Godard dans Deux ou trois choses que je sais d'elle. C'est le big bang de l'ECM.

(3) Un phénomène à étudier est la variation de taille des voitures. Elles ont étréci à partir des années 60, on oublie les Chambord, Versailles, calquées sur les formats US d'avant-guerre. Le minimum sera dans le début des années 80, avec la R5, les premières Clio et Twingo Depuis, les voitures regonflent comme des chips extrudés. Comparer le temps de travail pour changer les pièces d'un phare de R5 : ampoule, verre, réflecteur achetés séparément, avec le changement d'un phare aujourd'hui, bloc d'un mètre de long.Aujourd'hui un phare de Twingo est aussi gros que la première version de la Twingo.





5 commentaires:

  1. Vous êtes trop bon, comme d'habitude :) Je vais peut-être suivre ce fil car il se développe naturellement dans plusieurs directions. Il y a eu notamment sur FC (un an... ?) une émission fort intéressante sur l'ECM en Turquie.

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  2. L'article était long, je ne pensais pas le lire jusqu'au bout, et puis si, il est bien.

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    1. Merci infiniment, vous me rassurez. C'est vrai que je suis long, et ce pour un tas de raisons, bonnes selon moi, mais je sais que c'est ce qui cause ma perte, parce que je "perds" le lecteur, non pas comme les parents du Petit Poucet, ce serait plutôt le contraire. Merci donc, de me dire qu'il y a parfois une personne pour qui le voyage valait le coup.

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  3. D'ailleurs je signale que je prépare un article dont une partie fera un peu suite à ce billet, mais ce sera dans Alerte Rouge.
    https://rougecentral.blogspot.com/

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