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jeudi 14 mai 2020

Bite my dick e-learning *

* Qu'on pourrait traduire approximativement par "télé-enseignement à la mords-moi-le-zob".

Il m'a été donné l'autre jour d'assister à une scène mémorable, le rendu d'un devoir grâce aux nouvelles technologies qui nous sauvent la mise en ces temps de pandémie mondiale de bérézina aiguë. Il s'agit d'une pucelle en classe de première qui avait rendez-vous en ligne avec son prof d'anglais pour ce que nous aurions sans doute nommé un "exposé", et qui était pudiquement rebaptisé un "appel". Sait-on ce que cela peut recouvrir, on n'est jamais trop prigent, comme disais Loïc le Floc'h. 

La téléapprenante, réalisant à 13h55 qu'elle a rendez-vous à 14h avec le prof, se dit qu'il faut faire quelque chose, n'ayant évidemment rien préparé. Branle-bas de combat. Mais d'abord, se coordonner avec Maïlis (orthographe variant selon les régions) la "partner", avec qui elle était censée "team up" pour produire.

On apprend que ladite Maïlis est "sous sa douche". Elle doit avoir un téléphone étanche, ou alors un grand nez. C'est cela qui sépare aujourd'hui les générations : j'ai toutes les peines du monde à trouver dans le département un pouce carré de terrain où me tenir pour que mon téléphone accomplisse ce pourquoi il a été prévu après tout, enfin selon mes critères de vieille peau, c'est à dire parler à quelqu'un et non pas seulement parler dedans, donc tandis que j'ai le plus grand mal à me connecter, ces jeunes sont joignables jour et nuit quelles que soient les circonstances, ils doivent avoir le Saint Esprit pour opérateur. 

A condition, toutefois de connaître l'âge de votre correspondant. Si c'est pour parler à une personne âgée, entre trente et quarante ans c'est le sms. En dessous, c'est whatsapp. Si vous voulez échanger une photo avec quelqu'un de quinze ans c'est insta ou snap, si vous voulez envoyer un coeur ou un smiley à quelqu'un  de douze ans c'est tiktok ou discord, et si vous voulez demander à  quelqu'une de plus jeune de se déshabiller, c'est télégram ou périscope.
Donc on convient avec Maïlis, depuis sa douche, de reporter à demain et on envoie un sms au prof d'anglais vers 13h59. Le prétexte est évidemment un gros "mytho"; Surfant sur la popularité des soignants, espérant que le prof va sortir sur son balcon pour l'applaudir, elle raconte qu'elle est à Paris pour s'occuper de sa grand-mère qui sort de l'hôpital, et qu'il ne saurait être raisonnablement question de etc. Elle propose de remettre à demain même heure.

A 14h05 arrive (par quel canal ?) un message à l'étudiante en 5G, qui montre que le prof, poireautant sans doute à la terrasse d'un café à Ibiza, s'énerve un peu : "Vous n'êtes pas là, ça fait plusieurs fois...", et ajoutant au grand dam de la pulicella : "Je t'ai envoyé un message sur Discord".

Je dis au grand dam parce qu'elle se reproche de ne pas l'avoir contacté directement sur Discord. Erreur d'appréciation sur le djeunizm de la cible. Mais ce qui me tue c'est le "je t'ai envoyé un message".

J'avoue que pour moi c'est le pompon. Je ne sais pas quel était le contenu du devoir en question, sans doute lire à voix haute une phrase de Haddy Potter, dire le mot "Haay Potter", ou peut-être simplement combien il y a de r dans le mot "Potter", toujours est-il que ces gens se tutoient !
A peine sortie de l'enfance, la gamine tutoie, en tenue légère, un prof qu'elle vient d'enfler sans vergogne, histoire de donner droit à la flemme qui gère désormais le cours de sa vie.

Précisons qu'en effet, tout ceci se déroule alors qu'elle est en pyjama (ou les choses qui en tiennent lieu, et que ma mère eut reproché à une courtisane balinaise de porter à table) devant les croquettes au chocolat mises à tremper pendant qu'on laisse à Maïlis des messages vocaux (pas des sms) qu'elle trouvera sans doute entre le démêlant fortifiant revigorant à la vitamine B12 de kéramide expurgé après-shampoing et ce vernis à ongles à paillettes carrem trop kawaï au goût pamplemousse-fraise qui vous dispense d'autre éclairage pendant les randonnées nocturnes..

Et le prof la tutoie, n'ayant sans doute pas acheté le mensonge, mais contraint d'abdiquer, comme toujours, pour conserver un reste de lien, sans doute. Pour se ménager l'amitié de ses ouailles, le curé ne donne que ce qu'il a, l'absolution. 

Voilà.

Voilà la restitution d'un devoir en classe de première en mai 2020. La même journée, sa sœur, en classe de seconde, nous régalera à son tour puisqu'à la question de savoir ce qu'elle fait en histoire, elle avouera après une longue recherche intérieure : " Je ne sais pas, j'ai oublié". 

Ah si, le Moyen-Âge. Et quoi au Moyen-Âge ? C'est vaste, rétorquons-nous. Elle aura au moins appris cela. "On nous a demandé d'étudier un tableau". Un tableau, au Moyen-âge, tu veux dire une fresque, ou une enluminure ? Oui, c'est ça, une enluminure. Et qui représente quoi, tirée d'où ?

Alors là nous allons trop loin. On dépasse les bornes de la 5G, et l'intercession de St Google n'y fera rien, on n'en saura pas plus sur ce passage du programme d'Histoire de seconde. Au Moyen-Âge, on faisait des tableaux, c'est déjà pas mal pour l'année scolaire, faut pas les surcharger non plus, ils sont fatigués par les 4520 épisodes de manga qui les ont tenus en haleine jusqu'à 3 heures du matin sur le téléphone.

Je ne ferai aucun commentaire, car il n'y a aucun commentaire à faire. Comme celle de la Grèce antique ou de Rome, notre civilisation se dissout pour évoluer vers une autre forme, petite motte de terre usée par le courant du temps. Une élève à qui je demandais si ses cours de latin (qui consistent à lire Harry Potter, est-il besoin de le rappeler ?) étaient assortis d'étude de la civilisation, ce qui était systématiquement le cas à mon époque, m'a répondu "Je ne sais pas ce que c'est, donc je ne pense pas".

Je note simplement le gouffre entre la débauche de technologie, les serveurs et les satellites mis en œuvre d'une part, et l'inanité, la vacuité totale du contenu échangé. Tous ces commutateurs internet pour ne rien dire, pour dire le rien, pour dire qu'on n'a rien fait, qu'on est sous la douche, en pyjama, pour ne pas dire le rien. Le sommet de la technique, le vide du contenu.

Pour connaître un peu le prix de la maintenance de ces joujoux, je me demande comment deux gamines à poils et un prof perdu peuvent payer cela... Comment ces millions de gens n'échangeant rien peuvent payer le fonctionnement d'appareils hors de prix, et demandant un entretien de poule de luxe ? 

Sous mon pull tricoté maison, tandis que je constate qu'après des années de pratique, il me faut une semaine pour filer, tisser ou broder le début de quelque chose, je me demande comment ces "ados" illettrées au corps de déesse peuvent parler dans un téléphone à mille balles, payer les boules Loesch dont elles parfument leur bain, les croquettes bio éthiques responsables qu'elles jetteront dans l'évier une fois en soupe, les chaussures à 1200 francs qu'elles font apporter par le ballet feutré des 4L jaunes électrifiées, des camionnettes brunes, blanches... et bientôt par les drones qui en profiteront pour signaler à la police si elles sortent de leur zone pour le footing ? 


Je relis déguste en ce moment Les Grands Chemins de Giono. Cette mention sera mon commentaire.

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