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mardi 7 janvier 2014

De l'utilisation de la lumière

Je voudrais tenter ici de préciser ce que j'entends par la prise en charge du passé en histoire de l'art, ou autrement du " pourquoi " d'une production artistique.

Prenons par exemple l’œuvre réalisée en 1963 par Dan Flavin, The Nominal Three (To William of Ockham) :



La lumière colorée est ici le véritable matériau. L'installation évoque les zips de Newman et le titre laisse entendre que Flavin a utilisé le rasoir du philosophe pour ramener les problèmes de la conception artistique au concept fondamental de la couleur pure et désincarnée. Plusieurs de ses oeuvres des années 60 portent le titre générique Hommage à Tatlin, et en 1966, il créa la première d'une série d'installations où des tubes sont situés en travers d'un angle de la salle afin de remodeler l'espace en faisant disparaître le coin. L'artiste Mel Bochner (né en 1940) disait de Flavin qu'il faisait preuve d'une conscience très aiguë de la phénoménologie des pièces. Ses angles démolis transforment de simples données de la notion de pièce en facteurs actifs. *

Prenons maintenant cette œuvre contemporaine :



Depuis les années 1960, M. X poursuit une définition de l’œuvre d’art. Il allie l’objet, la lumière et l’étymologie pour interroger l’œuvre en tant que telle : son statut et sa fonction. Camus Illuminated #1 (2013) met en lumière des mots, entourés d’extraits de l’Étranger d’Albert Camus, paru en 1942. En anglais, en français et en arabe, les textes accompagnent ce qui se révèle être le champ lexical de la lumière : illuminate, lumen, luminous, lunar, light. Au fil des caissons, ils constituent une trame, un récit, une cartographie.M. X établit une réflexion non seulement sur le sens des mots, mais aussi sur le fait de pouvoir se sentir étranger au monde, à l’image du protagoniste du roman de Camus.


On pourrait mettre de même de la purée de pomme de terre, pour les mots patata, kartoffelnare, potatoe, mettre des textes de la Comtesse de Ségur en arabe, ça fait plus chic, pour dire la difficulté de couper des poissons rouges en morceaux au fil des craies pour interroger le medium, ma réaction resterait la même : Qu'est-ce qu'on en a à foutre ?

Idem pour son copain :
M. Y, quant à lui, produit une réflexion de type généalogique et cartographique. Avec les objets, les mots et le dessin, il construit un espace critique et poétique sur la condition de l’étranger. Il soulève les questions de l’identité, de l’exil et du foyer (à quel moment peut-on finalement se sentir chez soi ?). Sur un socle trône un livre ouvert ; les pages en verre translucide laissent entrevoir du texte. Ce dernier apparaît et disparaît au gré de nos propres mouvements. D’avant en arrière, il oscille. Il s’agit de la définition en arabe du mot histoire. M. Y pointe ainsi l’univocité, le caractère subjectif et incomplet de l’Histoire qui varie selon les points de vue. Entre présence et absence, ses œuvres traduisent des impossibilités, des contradictions et des incompréhensions quant au statut de « l’Autre ». Sur un plan conceptuel, une filiation entre les deux artistes s’incorpore au sein d’une écriture entremêlée. Ils se retrouvent à travers des notions telles que la figure de l’étranger, les différents systèmes de pouvoir, le sentiment d’appartenance à un territoire, à une culture, à une histoire. -

On pourrait mettre du babybel entre des feuilles de plexi pour dire que le concept de fromage varie avec les points de vue, accumuler les poncifs sur l'identité, l'étranger, blablabla, en quoi ça concerne l'art et qu'est-ce qu'on en a à foutre ?


Si on considère le parcours historique de la production artistique d'une société, ce à quoi nous assistons là est de l'ordre de la régression infantile. Faisant fi des efforts de mes prédécesseurs pour arriver quelque part, je feins d'ignorer la responsabilité qui m'incombe de reprendre cet héritage pour poursuivre le chemin, et je ponds dans mon petit coin.

Désolée, je suis un peu nerveuse en ce moment. Je sais qu'il faut bien qu'ils remplissent leurs espaces et leurs agendas avec quelque chose, et que je devrais prendre cela moins à cœur. Prendre de la distance, relativiser, blablabla...

Prendre de la distance, voilà...

* Extrait de L'art après les années 60, Michael ARCHER Ed. Thames & Hudson.

2 commentaires:

  1. J'adore cet article ce point de vue auquel je souscris et le style avec lequel c'est écrit.

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  2. C'est toujours bon de se sentir moins seule quand on est énervée :) Merci donc.

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