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dimanche 13 novembre 2011

Philippe Soupault et la réalité

J'ai lu quelque part dans sa biographie par Béatrice Mousli, un passage où Philippe Soupault décrit l'impression qu'il a que la réalité se déroule devant lui comme un film sur lequel il n'a aucune prise.

C'est, sinon une explication, ou une justification, au moins une antécédence.

C'est en outre un sentiment qui est certainement partagé, à divers degrés, par la plupart d'entre nous.  Je ne peux m'empêcher de penser que c'est lié à une sorte de dualité qui nous habite et que nous habitons. Nous sommes de deux façons. Nous coexistons intimement sous deux modes.
Et c'est peut être aussi une des limites rencontrées par les tentatives pour penser l'ontologie basée sur un je, qui plus est qui serait opposable au "monde".
Ne serions-nous pas plutôt un "nous" qui est relié au monde, des je qui sont reliés notamment, mais fondamentalement, par son ontogenèse même.

Entre la matière d'où notre corps est issu, et l'individualité biologique que nous formons dans cet espace, individualité définie par les barrières matérielles et sensorielles (peau, unité de pensée et de comportement), il y a une intersection (au sens de la théorie des ensembles) mais cette intersection est pleine de liens, le cordon n'est pas coupé : comportements archaïques, grégaires...

Entre le groupe qui nous a formé et éduqué en tant qu'être social, et l'individu communiquant qui habite la sphère ainsi créée et devenue "privée", il y a une intersection, mais c'est un isthme, où sur les dépôts alluvionnaires de notre enfance, entre les îlots de notre passé reconstruit dans la mémoire, circulent les courants du présent.

Cette impression de regarder la réalité comme un film est donc doublement justifiée : d'une part notre être fondamental, animal, biologique, regarde tapi dans sa caverne rouge et sombre, depuis cette grotte utérine où il s'est tissé de fibres, le merveilleux écran de cinéma où vit son être social.

Et d'autre part son être social, si superficiel, si fragile et artificiel sur son écran de convention apprises, sans véritable origine ni repère, construction floue dont chaque fil ne tient que parce qu'il est tissé à un autre, cet être lui aussi sent bien qu'il y a devant lui une matière dont il est fait, dont il est issu, et pourtant qu'il ne peut plus appréhender qu'à travers les filtres successifs que son système cognitif et sa culture ont interposé entre lui et le monde, pour le permettre de le penser, mais lui interdisant par là désormais de le sentir.

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