Le but de ce manuel est de t'aider à reconnaître les violeurs potentiels, afin de mieux t'en défendre. Plutôt que de faire de la philosophie de haute volée dont je suis coutumière, j'ai choisi comme La Fontaine, l'approche d'une petite fable animalière en apparence banale, mais qui je l'espère te sera d'un grand secours.
Le principe du violeur est de te dénier l'accès à l'espace démocratique, en te privant des outils du dialogue, ce qui revient à t'imposer ses vues par la force, ce qui est le principe du viol.
Mettons que tu partages un espace avec une personne qui entretient des animaux domestiques, par exemple des chats. Normalement, cette personne, qui entretient cette addiction dans le but de résoudre des problèmes personnels et de se donner de soi-même une bonne image de bienfaiteur du vivant, devrait te demander si cela te convient. Mais elle ne le fait pas, et examinons pourquoi
Mettons que les chats te dérangent parce que tu n'aimes pas l'odeur de leur pipi et de leur caca, ce qui peut se comprendre, tu n'aimes pas être dérangé la nuit par leurs miaulements incessants, ce qui peut se comprendre, tu n'aimes pas retrouver leurs poils partout, y compris dans ta nourriture, tu n'aimes pas voir sur toutes les surfaces de cuisine où tu prépares ta nourriture, l'empreinte de leur pattes pleines de traces de la litière où ils ont gratté leurs excréments, tu n'aimes pas leurs puces, les visites chez le vétérinaires, les angoisses perpétuelles dès qu'ils ne sont pas revenus à l'heure, les fortunes dépensées en croquettes médicalisées etc
Bref, ton attitude va finir par devenir suspecte, et l'assistance va te pointer du doigt et te poser la question qui tue " Mais pourquoi tu n'aimes pas les chats ? " Car il faut aimer les chats. Le chat tu aimeras comme toi même. C'est un diktat. Le chat est " trop mignon", quand il miaule, quand il tourne la tête / la patte / la queue, le chat est " trop mignon " quand il miaule, quand il pisse, quand il chie, et où qu'il vomisse le chat est " trop mignon ". Donc il faut aimer le chat.
Là, tu vas te récrier : ce n'est pas que tu ne les (parce que l'amateur de chat serait déshonoré de ne pas en avoir une douzaine, comme les collectionneurs de photos pornos, qui en ont des disques durs emplis) aimes pas, c'est que leurs nuisances te sont moyennement agréables.
Mais devant ce crime de ne pas aimer les odeurs du chat, tu cherches un argument valable. C'est difficile. Il n'y a pas de bonne raison de ne pas aimer l'urine et le poil de chat.
Prête moi bien ton attention, ami violé, car je vais introduire une anecdote dans l'anecdote, et c'est là que va résider l'outil principal de la stratégie de coercition du violeur.
Ce que va récuser le violeur, te déniant ainsi la possibilité d'accès à l'espace du débat démocratique (ce qui l'ennuierait, il préfère prendre son plaisir même si tu n'es pas d'accord), c'est ta santé mentale, ta raison. Oui oui, tu as bien entendu.
Te rejeter dans le camp des fous, c'est de placer de facto dans le groupe de ceux avec qui " on ne peut pas discuter ". Et donc, on ne leur demande plus leur avis, caractéristique du violeur, on me l'accordera.
Comment le violeur va-t-il s'y prendre. Il va récuser ton point de vue comme " incommensurable " avec le sien. C'est à dire que " ce n'est pas la même chose". Tends bien l'oreille, ami violé, car à ce petit son de cloche tu reconnaîtras la botte du nazi qui effleure tes fils d'alarme
" Ce n'est pas la même chose " signifie au violé " Demi-tour, hors d'ici, tu n'as plus accès au débat, tu n'as plus droit à la parole, car tes propos sont déraisonnables. Donc pas digne d'être écoutés. Tes arguments n'en sont pas donc nous allons continuer à te violer, cqfd ".
" Tes arguments n'en sont pas." cela fait bizarre, dit comme ça. Et pourtant...
Voici l'anecdote. Tu es assis dans un canapé, le violeur est assis à une table en train de travailler, et il est importuné par une mouche qui se pose sans cesse sur sa figure, l'empêchant de se concentrer sur son ouvrage.
Là le violeur peste après la mouche, il hurle, s'exaspère, cherche à la tuer, n'en peut plus, jure, crache, tape la mouche avec ce qui lui tombe sous la main, et l'écrase dans une grande satisfaction.
Tenant l'occasion de lui faire sentir ce que c'est que de subir, et les sentiments que cela déclenche, ami violé, tu vas risquer un petit " Tu n'aimes pas les mouches ? "
Et là : " Arrête, ça n'a rien à voir, ce n'est pas du tout la même chose". voilà la sentence est tombée, ton propos est discrédité. Ce n'est pas la même chose. Ce que tu ressens toi, ami violé, et ce que ressens le violeur, ce n'est pas la même chose.
Ce que ressent le violeur, c'est une légitime exaspération qui lui donne le droit de vie et de mort. Ce que tu ressens, n'est qu'une une outrance maladive due à ton hypersensibilité qui fait que tu devrais aller consulter un psy. Tu es relégué au rang des imposteurs. Le violeur vit ses pulsions sur un mode qui sera éternellement celui de la légitimité, quelles qu'elles soient. Le violé vit dans l'outrance de sa demande, dans la perpétuelle impudence d'oser s'exprimer, ce dont il faut qu'il se repente et se guérisse.
Et c'est tellement peu du même monde, d'oser ressentir pour un violé, qu'oser supposer comme tu le fais que tes ressentis sont aussi recevables que ceux du violeur, ou pire tenter de fonder là dessus un argument, c'est si déraisonnable, que tu es rejeté dans le camp des fous, avec les conséquences que l'on a vues.
Repère bien le fil de cet argumentation, ami violé : tu es fou parce que tu dis des choses déraisonnables.Et ce que tu dis de déraisonnable, c'est d'oser insinuer qu'il y aurait une commune mesure entre ce que tu ressens, souhaite exprimer ou poser comme admissible, et ce que le violeur pense.
Il y a deux types de citoyens, de penseurs et d'êtres : d'une part le violeur aryen, le mâle blanc occidental, directeur commercial, ingénieur en électronique... Qui pense correctement et impose l'application de son point de vue aux autres, et d'autre part le sous-homme, noir, femme... Qui n'ont que des lubies illégitimes.
Il est déraisonnable d'oser insinuer pareille chose parce que ce que tu ressens est de l'ordre du futile et donc de l'exagéré. Ce que tu dis relève de l'excessif, alors que ce que dit le violeur est marqué du sceau de la normalité, et partant du légitime. Sa volonté doit donc être appliquée.
Comment le violeur parvient-il à faire de son avis la norme ? Ah tu as trouvé la question centrale, ami violé. C'est très simple, c'est l'inverse : il lui suffit de faire norme l'avis de la majorité. Il n'a rien à faire, puisque c'est ce qui est universellement reconnu, et même érigé en axiome de gouvernement politique, c'est dire. Tout le monde élève des chats, donc il est normal, et partant, obligatoire, d'avoir un animal de compagnie. Telle est l'équation. et si tu ne te conformes pas au modèle, tu es anormal. Tu n'aimes pas les chats, les enfants, les insectes, la vie, quoi.
Donc tu es un pervers, un déviant, un délinquant, un louche. Je mentionne les insectes, car la haine fonctionne sur le même modèle. Parcourez dans une jardinerie le rayon en -cide, et vous verrez les ennemis de la nation sur les boîtes en carton.
Le violeur a décidé que telle plante pousserait là, et tout ce qui se dresse sur son chemin doit être abattu. Tout doit se plier à sa volonté, dans un sens comme dans l'autre. Les chieurs gouvernent le monde.
Alors que faire ? Fuir. Il n'y a hélas pas d'autre solution. Le violeur est psycho-rigide, car sa survie en dépend. En fait, il n'a aucune bonne raison " d'aimer les chats ". Il impose ces rituels aux autres car cela lui apporte quelque chose. Il a du mal à communiquer avec les humains, il a l'impression qu'il fait du bien à quelqu'un, que quelqu'un dépend de lui (pour la nourriture etc.), si tu cherches, d'une façon ou d'une autre, tu trouveras que le mode de vie que le violeur impose aux autres est un moyen de se faire du bien face au vide et au manque de légitimité de sa vie réelle.
Ce qu'il soulage est souvent assez pitoyable et peu avouable, donc il aura besoin de le déguiser sous des tonnes de mauvaise foi, donc, sachant qu'il n'aura jamais gain de cause, sa seule issue est de te barrer la voie au dialogue et te renvoyer au camp d'internement de la déraison.
Alors comme les juifs et les intellectuels pendant la guerre, devant les nazis, fuis. Il n'y a pas de négociation possible avec le psychorigide totalitaire, il te violera car il a besoin de se prouver des choses, et c'est sa façon de se prouver qu'il a raison, et que son monde absurde est cohérent.
N'oublie pas que le violeur aura toujours tendance pour se défendre, lui, de cette faiblesse qu'il sait inhérente à sa démarche, à utiliser deux stratégies :
- le camouflage : il fait comme tout le monde. Le violeur choisit des activités hautement " socialisées ". Le chasseur s'approprie la vie d'animaux, il s'arroge le droit de tuer des êtres qui ne demandaient qu'à vivre, et ce au prétexte que la société de chasse lui a vendu le droit de le faire. Ils sont ainsi des millions répartis sur le territoire.
L'éleveur s'approprie la vie d'animaux qu'il détruit au prétexte " qu'il faut bien manger". Le pollueur détruit l'habitat naturel des animaux au prétexte " qu'il faut bien faire des zones de fret logistique pour les poids lourds".
L'homme viole la femme au prétexte qu'il " faut bien " qu'il se vide les couilles. De tous temps, partout, les violeurs s'imposent en masse, et écrasent sous la masse de leurs usages, les tentatives de remise en question de leurs pratiques.
Le violeur a du bide, et il le pose sur la bouche de la victime, histoire qu'on n'en discute pas. Le violeur souille l'eau, mais " il faut bien qu'il se lave", il souille l'air mais " il faut bien qu'il aille au boulot", il viole le silence mais " il faut bien qu'il prenne l'avion". Il emplit l'espace et le silence de ses éructations assourdissantes, il lance tous les moteurs à explosion possibles, pour emplir le vide de sa vie, pour qu'aucune remarque sur le vide atterrant de sa vie ne puisse se frayer un chemin dans un silence propice.
- le renversement de perspective : Il va transformer la victime en bourreau : tu l'empêches d'avoir des animaux, tu n'es pas gentil, tu lui enlèves la seule joie qu'il a dans la vie, tu le prives de distraction, de ses besoins vitaux, bref tu es un bourreau et lui une victime. Tu voudrais qu'on arrête le progrès, qu'on revienne au temps de la bougie, tu n'es pas réaliste. Il faut bien occuper les jeunes, le dimanche matin, donc on va faire un stade de foot, et puis il faut bien des projecteurs pour l'éclairer, et des tondeuses pour couper l'herbe.
Quoi, tu es contre les jeunes, contre le sport, contre l'entretien des espaces verts ?
En réalité, le mâle s'emmerde le dimanche matin. Son chef détesté au boulot ne lui dit plus ce qu'il faut faire, donc il reste les bras ballants, il ne sait plus quoi faire. Il n'y a pas de foot et de courses de petites voitures à la télé : le mâle s'emmerde, sa vie est vide. Donc il faut donner des prétextes aux mâles pour remplir leur vie, c'est à dire aller s'amuser à la baballe dans la cour, et montrer leur béhème à leurs copains de récré le dimanche matin, leur évitant ainsi de faire le ménage et la lessive, que bobonne fera pendant qu'elle prépare le repas.
Mais malheur à elle si elle fait une remarque sur les chaussures pleines de terre lancées à la volée par le père et le fils au retour de leurs exploits musculaires : elle est maniaque, la femme de ménage, elle est " trop propre", on doit adorer le fétiche du pied puant de l'homme qui rentre de la distraction à la baballe avec ses petits camarades d'école, on doit regarder, attendrie et l’œil mouillé de tendresse, papa et le petit se vautrer devant les écrans en attendant qu'on leur serve l'apéro.
Voilà. J'espère que cette modeste fable t'a plu, et surtout, que tu pourras garder en mémoire le canevas et les voies du violeur. J'espère que cela t'aidera à repérer ses manœuvres d'approche, à déceler dans ses manières de fonctionner la violence dissimulée.
Je résume les points principaux du parcours, qui te permettront de mieux identifier ton ressenti de violé :
- Tu sens une gêne mentale ou physique devant un comportement que le violeur t'impose. Tu as l'impression désagréable de subir ses règles, et chaque fois que tu lèves le doigt pour demander qu'on modifie les règles du jeu, on t'impose le silence sans te donner la parole.
- Pourtant le violeur semble " faire comme tout le monde ". Cela te gêne de le mettre dans l'embarras, car c'est remettre en cause des usages établis. Tu prends sur toi, tu te tais et tu continues de subir.
- Ce sentiment de gêne augmente, le malaise grandit et tu souhaites en discuter. Il te semble que tu devrais avoir voix au chapitre, comme toute personne, et qu'une pratique qui te cause une souffrance devrait être, au moins, soumise à question.
- Le violeur te dit que tu exagères, que tu affabules, que tu es hypersensible, qu'il faut te faire soigner, et que tu devrais aller vivre sur une île déserte, ou dans un désert. L'essentiel du discours consiste à te faire ressentir que tu es anormal au milieu d'un tas de gens normaux, et qu'il vaut mieux faire profil bas, sinon on va t'interner au pire, mais au mieux tu vas passer pour une folle ou un original, ce qui est mal vu.
- Au mieux, il te dit qu'il va voir ce qu'il peut faire, pour temporiser. Mais rien ne change. le violeur est expert dans l'art d'aménager les faux-semblants.
Le chasseur te dira qu'il pourrait tuer tous les animaux, et qu'il faut s'estimer heureux que la société de chasse ne lui en accorde que dix, ton mari te dit de t'estimer heureuse parce qu'il pourrait inviter ses copains à voir le foot tous les soirs et le samedi, et que tu as un mercredi après-midi par an de libre, le pollueur te dit que l'URSS et la Chine polluent bien plus que lui, et que tu devrais t'estimer heureuse de ne pas habiter à Pékin. L'essentiel du discours est de te faire passer l'idée que ta chaîne est bien assez longue, puisqu'elle te permet de sortir de la cuisine, et que tu devrais t'estimer heureuse, on pourrait te torturer plus et plus souvent que ça.
Le mieux est donc, jeune ami violé, de détecter les violeurs le plus tôt possible. Plus tu détecteras les violeurs jeune, plus tu auras de chances de sauver ta vie. Nous espérons que ce petit mémo t'aura aidé. Nous posterons dès que possible d'autres conseils pour t'aider à repérer les nazis.
Je connais mes violeurs... ils sont en moi, et leurs comportements correspondent exactement à la description que tu en fais...
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûre de comprendre. Tu veux dire que tu découvres en toi des tendances à faire subir aux autres ce qui est décrit ici ?
RépondreSupprimerNon, je veux dire qu'il y a en moi des parties qui s'affrontent, et que certaines font subir aux autres ce qui est décrit ici... c'est presque un autre sujet, mais c'est ce qui m'a sauté à la figure quand je t'ai lue... le fait que ces violences que je me fais subir à moi même sont plus fortes et plus terrifiantes que celles que me font subir les autres... avec celles-là, les compromis trouvés fonctionnent plutôt pas mal, avec moi-même, c'est beaucoup plus compliqué... du coup, ce que tu décris ne m'apparait pas de la même importance... Tant qu'on reste dans le domaine des chats et du sport ou autre du même acabit bien sûr... après, quand il s'agit de guerre, de viols sexuels avérés, d'esclavagisme etc.... on est dans une autre dimension. Pour moi, que je sois mon pire ennemi ne fait aucun doute... tout en ayant bien conscience que j'ai l’immense chance de pouvoir dire ça... si je m'étais fait coincer dans une rue déserte,par une dizaine de mecs en sortant du lycée, je ne la ramènerais pas avec mes violeurs personnels... donc tu peux zapper ce commentaire, il n'a aucun intérêt.....
RépondreSupprimerNon, au contraire, ça ouvre deux ou trois autres débats...
RépondreSupprimerD'abord, quand tu dis " le fait que ces violences que je me fais subir à moi même sont plus fortes et plus terrifiantes que celles que me font subir les autres ", alors là tu m'interpelles carrément au niveau du vécu.
RépondreSupprimerJe pense que ce à quoi tu fais allusion est ce que j'appelle les zones de complaisance. Je crois que c'est un peu ce que les gens appellent la " zone de confort ", mais vos à vis de soi-même.
Mais de là à se faire violence à soi-même, ne serait-ce qu'en approchant ce que je décris... Et d'un
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RépondreSupprimerEt de deux, c'était une fable, c'est à dire que l'exemple animalier était un prétexte. Je n'aurais pas songé à en faire le degré d'une échelle. L'idéologie dont le violeur se prévaut est la chosification d'un être, réduit à l'état d'objet de satisfaction d'un désir. Et pour cela, lui dénier le statut d'être, et donc le droit à la parole. Donc il faut nullifier sa parole. En cela, tout processus de déni démocratique est une préparation de la victime accepter son viol. Les femmes sont habituées à " ne pas faire d'histoires ", à hésiter à dénoncer le petit courrier salace qui te demande si tu préfères par devant ou par derrière, à t'estimer heureuse qu'on t'impose tout cela les jours de semaine et qu'il te reste un week-end de libre et un tiroir pour tes futilités de rouge à lèvres. L'ennemi s'approche à petits pas, il n'y a pas de petit crime.
RépondreSupprimerMaintenant, troisièmement, renversons la perspective. Si comme le dit le proverbe, chacun voit midi à sa porte, toute atteinte à ma suprématie, à ma volonté, à mon désir à moi, fût-ce de paix et de silence, est interprétable comme une agression.
RépondreSupprimerSi à la fin, mon midi à ma porte réduit l'autre à n'être plus que l'auteur d'une série d'agressions, comment vivre en société, sans être violée vingt fois par jour ?
Quelle place pour ceux à qui le commerce avec les autres n'apporte plus aucune contrepartie à leurs agressions ? Eh bien la Thébaïde. Elle reste à reconstruire, et je l'appelle de mes vœux.