In mémorial Abdel
C'était à St Antoine, faubourg de Versailles, dans l'épicerie des Saoud,
Abdel, respectable vieillard grisonnant, et pourtant commis du magasin,
Impeccable, toujours tiré à 4 épingles sous son pull à col en V
Officiait aux pluches, et parfois en bouchait l'évier, pourtant géant.
Combien coûtait dans ce quartier la barquette de carottes râpées ?
Je ne me souviens plus, mais toujours est-il que tu couchais dans l'arrière-boutique
Il devait y avoir une douche quelque part, du moins je l'espère encore.
Tu n'avais à toi que la valise au pied du compresseur, dans la cave.
Je ne t'ai jamais connu d'autre fantaisie qu'un café et une cigarette, de temps en temps
On discutait gentiment, de tout et de rien, du temps et de la santé.
Et puis tu t'es plaint de douleurs aux dents, ça ne passait pas, tu te tenais la mâchoire.
Cela empirait au fil des jours, on ne disait trop rien, on n'y pensait pas plus que ça
On se disait qu'ils s'occuperaient de toi, tout de même.
Un soir tu es allé te coucher tôt, tu avais vraiment trop mal, et le lendemain matin
Doudja nous a dit que tu étais mort, comme ça, dans la nuit, septicémie machin.
Mort. Comme la vraie, la grande.
Il y a quelqu'un en Algérie qui a dû avoir du chagrin, pas grand bruit
Une vie sans bruit, sans tambours ni trompettes, une mort sans voile
Passé, puis effacé, Abdel, une tonne de carottes à son actif.
Bouffées.
Une vie qui trace dans le ciel comme une hirondelle,
Encore une chose que j'ai écrite, et qui ne sert à rien
Qu'à "me faire plaisir", comme disent mes ennemis.
Ainsi périt Abdel, pour n'avoir pas touché la Sécu.
Une étincelle abandonnée. Parmi tant d'autres que nous sommes. Mais Une. Mes regrets à vous.
RépondreSupprimerJe vous en remercie.
SupprimerCe qui ... allons, que choisir ? Ce qui (me point / m'étonne...), c'est qu'après toutes ces années (c'était vers 1997), sa disparition m'affecte toujours autant. Est-ce parce que j'ai eu l'impression que sa haute humanité, et parce que si humble, n'avait pas eu les louanges qu'elle méritait ?
Pourquoi cette injustice, pour minime qu'elle soit, me hante ? Je sais, c'est une question idiote à laquelle personne n'a de réponse. C'est l'injustice primale qu'on associe je crois à la disparition d'un être humain. C'est tellement idiot d'en souffrir, et si longtemps, je m'en veux. C'est idiot de s'en vouloir, je sais, je m'en veux de m'en vouloir etc.
Et oui, comme vous dites, Une.
RépondreSupprimerCa te démarre à la Salammbô.... et te prends direct aux tripes...
RépondreSupprimerMerci, c'est gentil, je verse ces fleurs sur sa tombe.
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