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jeudi 15 janvier 2015

Punctum Temporis

" Je sais, je radote "




C'est ce que vous pourriez m'accuser de me servir à moi même comme pique, mais rassurez-vous, aucun risque.

Je voulais simplement dire une fois de plus que c'est dans l'entre-deux, dans le passage, que se situent les choses.

Mais dire aussi que la photo-ci dessus est un peu la trace mnésique de ce qui correspond à ce qu'on ressent de la " personnalité " de quelqu'un. En fait, la personne sur la photo a bougé pendant la prise de vue. Ainsi, bien qu'elle ne puisse récuser aucune des expressions qui ont contribué à former l'image finale, cette dernière ne lui appartient guère.
A moins que ?
Si elle est finalement une " autre personne ", elle nous parle de cet autre, plus intérieur peut-être. Freud disait que le Moi, c'est le corps physique.

Je veux dire qu'elle n'est pas complètement à écarter, cette image, qu'il y a peut-être des choses à " prendre en compte".

Dire enfin que dans cette image, il y aussi mon intention de prendre la photo si vite, à cet instant magique où ce que je voulais saisir du visage, révélé, s'est enfui dans le mouvement effectué trop tôt. Et l'image est une sorte de réponse à mon intention, elle aussi inscrite dans le mouvement.

Le dit est relatif.

C'est à dire que c'est parce que je connais le visage " au naturel " de cette personne, que je sais l'expression que je voulais capturer alors, que, par rapport à cette intention, son regard devient une réponse.

Je sais bien que ça n'apporte pas grand-chose, mais je voulais que ce soit là.  Je sens toujours ce besoin que ce soit là, mais ça ne prend pas place dans le puzzle. Bon, tant pis je le publie, je crache, on verra bien.

Les aspects incohérent et disparate de mes productions ont sans doute l'inconvénient de me priver de beaucoup de lecteurs, mais ils sont la trace d'une liberté qui me permet d'accrocher les traces les plus faibles avec des points plus solides, d'attacher des signaux sans importance au tronc commun des articles, de façon à donner au moindre détail une pérennité par l'écrit, une fortune qu'il n'aurait pas acquise sans ce procédé.

En fait c'est exactement ce que dit ceci :


C'est à dire que les points d'accroche " faibles " contribuent au trajet du fil et donc au sens, autant que les points d'attache forts, qui sont reliés au tronc.


C'est le fait que de secouer la gangue de la progression raisonnée, en sautant d'un point de capiton à l'autre du discours, permet de dessiner plus librement un territoire.

Autre chose peut-être, à l'examen. Nous connaissons tous ce fait qu'une personne se ressemble à travers des expressions qui déforment son visage. On sait que c'est elle. A l'inverse, la photo saisit des expressions qui n'appartiennent pas à la personne. Il faut très bien la connaître pour la reconnaître.

Idem pour celle-ci, d'ailleurs, qui va dans la série des mains et des regards :


Ce qui me fascine peut-être, c'est que notre cerveau a bien vu tout cela avant de nous en livrer une version expurgée et stabilisée.

Autre chose à propos de l'art, à côté de la tendance au gigantisme que j'ai signalée, la mode maintenant affermie de l'hyperréalisme. " Wow, you won't believe your eyes it's a painting", "waoh, on dirait tellement une photo". Et si le mec le fait au stylo à bille, c'est encore mieux.

Je pense qu'en général, à travers les œuvres de l'artiste passe le message " Regardez, j'ai fait une belle chose". Et le jury approuve et récompense en sélectionnant, de façon à ce qu'on dise de leur expo que c'est plein de belles choses, pour qu'on entende bien le message " regardez, c'est une belle chose".

​Cela véhi​cule une envie de dire quelque chose, de le dire aux autres.Cette envie se raboute à celle de l'exposant, qui a envie de donner à voir ,etc.
On pourrait même aller plus loin, et je l'ai pensé par exemple en regardant cela :
https://www.facebook.com/media/set/?set=a.587572561344908.1073742075.482999355135563&type=1

Chacune de ces œuvres crie " Je suis une oeuvre d'art, regardez-moi comme telle. Et en tant que telle, dites ou pas si vous me trouvez belle, vous devez dire ce que vous pensez de moi, vous devez dire quelque chose sur moi".

Mais il n'y a pas que là. C'est partout. Voilà, moi je ne suis pas là dedans, et je crois que ça se sent. Mes œuvres sont plutôt du côté du contact de personne à personne. Elles balisent un itinéraire vers une sortie de secours, vers une réponse à la question, ou vers la réponse à une question.

Mon procédé a marché sur moi, je vais le tester sur quelques autres alentour, et voilà, ça ne s'accroche pas au mur comme on faisait au XIX ème. Je sens que c'est lié aussi à Duchamp, mais je ne comprends pas encore bien comment.

Je viens de tomber sur cette citation attribuée à Brian Eno :

"Stop thinking about art works as objects, and start thinking about them as triggers for experiences… That solves a lot of problems … Art is something that happens, a process, not a quality, and all sorts of things can make it happen … [W]hat makes a work of art ‘good’ for you is not something that is already ‘inside’ it, but something that happens inside you..."


Je me sens moins seule :)

Bon, on va passer à autre chose, laquelle va enfin faire le lien avec tout cela, et contribuer pour brindille au ban prononcé par mon éminent confrère John Moullard, immense plasticien du XXIème siècle, dans cet article.

Il va falloir trouver des raisons pour continuer d'avancer. Ainsi pourrait-être résumée, d'une certaine façon, la stratégie de mon entreprise pour 2015.

Sinon j'ai ouï dire qu'une bande de jeunes avait repéré un gène humain, nom genre Fp102, dont l'absence semblait responsable de baisse de performance dans les exercices cognitifs. Ces petits malins l'ont inséré dans l'ADN de souris, qui sont soudain devenues  meilleures dans ce style d'exercice.
Ce genre de bidouille digne d'un scénario de science-fiction à la Planète des Singes se déroule je l'espère hors de tout contrôle ou de réflexion éthique.

Et sans surprise, le bon point hyper réaliste du jour va à notre ami chinois qui peint des trucs 'achement ressemblants, comme les flamands au XVIIème avec de mervailleeeez perdrix à s'y méprendre, et d'ailleurs les ancêtres de notre honorable correspondant bien des siècles plus tôt.

Et puis, faut pas dire que je suis une critiquezzzz systématique, ça par exemple, ça me bouge d'une façon curieuse, je ne sais pas pourquoi.



C'est de Mary Iverson. C'est un peu systématique comme procédé, dommage, le côté tableau de clous me plaît. J'aime bien celui là en tout cas.

dimanche 11 janvier 2015

Je couds donc je pense

Faut-il jeter par dessus bord ce fatras de réflexion pour revenir au niveau du sensoriel ?

" Le film de Valérie Minetto consacré à Annie Le Brun s'ouvre sur une citation de Jacques Rigaut : "Penser est une besogne de pauvres, une misérable revanche." C'est Annie Le Brun elle-même qui cite Rigaut." comme dit Jean-Luc Bitton, d'abord.

C'est un mouvement de recentrage, de concentration sur les disciplines de l'Atelier de Minuit. Cela rejoint la récente avancée de Lydie sur ses motivations, qui comprend pourquoi elle a tant de mal à faire en elle de la place à l'art par destination, tandis qu'elle fait plus facilement place dans son processus créatif à l'art par métamorphose (au sens de Malraux).

Certains artistes préfèrent réaliser des œuvres textiles plutôt que de faire surgir des tableaux. Lorsqu'on fait une boîte en carton, on se contraint à se mettre dans la peau du destinataire et à vérifier si la boîte s'ouvre et fonctionne bien.
Au lieu de se reculer pour juger de l'effet comme un peintre, la créatrice qui travaille sur le corps se met dans la position de la personne qui essaye le pull, elle se met à la place du corps de l'autre, ce dernier fût-il temporairement le sien. (Cela me fait penser aussi au recul de l'observateur dont parle Alain Simon).

J'ai déjà parlé de cet acte à propos des mains de Mary Jean Betts qui s'intitulait Layers of Thinking, titre qui devrait plaire à Alain, d'ailleurs.. Cela nous renvoie à ce courant de pensée de l'époque de Memling, qui prônait que la douleur de Marie dans une déposition devait se communiquer au public.

C'est à dire, bien que le procédé utilise l'imitation visuelle, elle la dépasse dans la communication des émotions.

La peinture avait alors encore pour partie dans son programme de s'adresser au corps, et non (seulement) à l'esprit.
Corps dont les frontières sont plus faciles à cerner que celles de l'esprit. Cette partie en a disparu.
La peinture s'est désormais adressée uniquement au cerveau, ce qui a ouvert la voie aux communications de l'art conceptuel.

On peut noter à ce propos que l'art textile, plus que d'autres, garde la trace du faire dans le fait. Un tableau peint ne témoigne pas du geste du peintre avec la même force que la longueur d'un point de couture exhibe le geste de la couturière, et sa longueur égale à celle du point.




Ils sont indissolublement liés, non seulement dans l'exactitude de la mesure, mais encore dans la chronologie de la réalisation. Comme je le disais ici :  en voyant un ouvrage de couture, on sait que la couturière n'a pas pu ne pas passer par les étapes correspondantes.

Nos corps entrent donc en correspondance dans l'espace, par la mesure des gestes, mais également dans le temps, par l'ordre de leur enchaînement.

Cette fiction (au sens de quelque chose qui a été créé) est une pièce de réalité que nous partageons, même si rien ne nous garantit que le centimètre de fil que nous voyons est le produit d'un geste de la couturière qui " dura " un centimètre. A l'échelle de l'humanité, c'est une bonne précision.
Cela me rappelle Farrugia (?) qui disait que si Einstein et Gandhi se rencontraient, il n'auraient peut-être pas beaucoup de certitudes en commun, sauf une absolument sûre, c'est que Superman est Clark Kent.

L'art textile témoigne autant du faire que du fait, là où notre tradition dévalorise le faire, le renvoie à l'ordre de l'approximation, de l'hésitation, de l'apprentissage, du trait de construction qu'il faut gommer.
Or la caresse de la main sur le papier, toutes ces sensations que le corps chérit, et qui font que l'artiste leur sacrifiera tant pour les conserver, au prix de sa santé et de sa vie, préférant la misère que d'y renoncer, qu'ont-elles de si précieux à nous dire ?

Alors, retour au corps et au cœur ?