Rechercher dans ce blog / Find in this blog

mardi 10 décembre 2019

Et les cris de la fée (troisième verre) IV

Nous sommes donc, suite à cet article, en chemin pour montrer comment le criminel est un malade qui, accablé par la souffrance, va prendre des positions pour aménager sa souffrance, et que cet acte est logique et raisonnable, tout comme le vôtre lorsque vous changez de position sur votre canapé, pour soulager un membre ankylosé. 

Et que ce qui est logique et déraisonnable, c'est d'associer ce changement de position à un quelconque choix pour le mal vécu comme une option consciente (1)

Et nous en étions au poids de la dette. La dette, c'est un déséquilibre dans le contrat social. Un déséquilibre qui donne au sujet l'impression qu'il est perdant à l'échange, que c'est un contrat de dupes, et qu'il ne cesse de sacrifier ses pulsions sans aucun retour, et que la société ne lui donne rien en échange.

Ce poids va donner ôter à la pulsion de la libido le frein qu'il devrait être, et va ajouter son élan au mouvement de la pulsion au lieu de la freiner. Normalement, lorsque vous avez adhéré à la proposition identificatoire avec le symbolique, vous acceptez le marché que vous propose la société : En échange de votre obédience, de votre renoncement à discuter l'ordre établi, et à cautionner le consensus, vous aurez un poste de professeur à l'Université, ce qui vous donnera accès à des étudiantes, et la société fermera les yeux sur vos "frasques", en disant "Attention ma fille, c'est un coureur", mais celles qui voudront avoir de bonnes notes prendront le risque de se faire caresser les cuisses.

Mais en échange, vous ne violez pas les petites filles dans les bois. Les privilèges que vous avez obtenus vous semblent "couvrir" le sacrifice, et vous vous réfrénez en disant que vous y perdriez largement. Sur l'autre versant, pour un sujet qui a l'impression d'être floué en permanence par le contrat social, le fait de "se payer sur la bête" est un encouragement à passer à l'acte. Il ne fait que récupérer un peu de son dû, il rééquilibre, il calme la souffrance, il apaise le conflit, il aménage.

Mais à quelle pulsion le poids de la dette va-t-il ajouter son élan ? A la pulsion de la libido, toujours mise au service de la fonction de reproduction, mais que le corps ne comprend plus. Lorsque la psyché met la libido au service de la fonction de reproduction, on appelle sexualité ce qui se passe, mais le corps, lui ne connaît pas de "sexualité". Il est poussé compulsivement par un instinct. C'est en quelque sorte le premier verre, celui auquel tout le monde a droit, ou presque.



Du point de vue de l'identification au symbolique, les rites de passage tel que le mariage, fortement inséré dans le filet des autres mitsvoth, heirat, temps fort de la vie, plus beau jour de ma vie, celui qui n'arrive qu'une fois, l'indénouable, les noces, la lune de miel, bref, l'insémination socialisée, ces rites de passage avaient pour but de garrotter l'individu dans son rôle d'homme marié, de façon supportable mais sans qu'il puisse y échapper, le préparant à celui de "père", et comblant la femme d'honneurs et de cadeau pour lui faire avaler le " statut d'épouse " avec la semence.

Mais voilà, une fois le corps comblé, l'esprit a encore faim, et on est passé du besoin au désir, de la bête à l'homme, de l'être de nature à celui de culture. L'homme a envie de retrouver ce plaisir, et les règles, la Loi, la culture, sont des freins, des liens, qui retiennent plus ou moins le Gulliver qui commence à en avoir marre des Liliputiens. 

L'esprit veut jouir encore, au delà du corps. On entre alors dans le fantasme, c'est à dire une mise en scène de l'acte sexuel, dite "érotique", en ce qu'elle a le pouvoir de conduire à nouveau le courant de la libido pour atteindre un orgasme qui, de cérébral qu'il à l'origine, s'efforcera de devenir physique. En effet, le fantasme, comme remède de l'esprit à une extinction de l'attrait du devoir conjugal, partage avec les médicaments physiques le phénomène d'accoutumance : avec le temps, il faut augmenter les doses pour obtenir le même effet. 

Une autre similitude avec les molécules est la dépendance. Au bout d'un moment, c'est l'idée de la prise de produit qui est en charge de provoquer le plaisir, puisque le produit lui-même s'use. La dépendance psychique pousse à consommer à nouveau le fantasme pour provoquer "l'effet allumette" des visions de la petite fille du conte d'Andersen.

La boucle est bouclée et le cercle vicieux est en place : le sujet est contraint de recommencer la cérémonie de soumission à la prise de produit, ici le fantasme. Et l'accoutumance le conduit à imaginer des fantasmes de plus en plus efficaces, c'est à dire de plus en plus transgressifs par nature. Ici encore, le mouvement uniforme est comme rien, comme le dit la Physique. La transgression étant constitutive de la libération dans nos sociétés de contrainte religieuse, la prochaine étape du fantasme, le troisième verre, celui pour lequel on aurait encore le choix, va se situer dans une zone de plus en plus criminelle. 

Et à y bien regarder, tous les criminels sexuels ont, au moment où on les arrête, derrière eux une longue histoire de passage des frontières de transgression Depuis des années, des dizaines d'années, le sujet égratigne les lois de la bienséance, et les coups de canif au contrat sont de plus en plus profonds, jusqu'au scandale final.
Mais lors de ce dernier passage à l'acte, le sujet est ancré depuis longtemps dans la dépendance. Comme l'alcoolique de longue date, il est installé depuis longtemps dans une histoire de non-choix qui le mène, d'étape en étape, à des crimes de plus en plus violents, simplement pour s'épargner la violence de la souffrance du sevrage, pour retrouver l'espace d'un instant le paysage clair, le doux paysage de printemps de la vie normale, quand on avait encore des satisfactions.

Ou des satisfactions envisagées, ce qui est le principal. L'espoir fait vivre, et c'est l'espoir de gagner qui pousse le joueur de Loto à reprendre un billet, pour enfin vivre dans l'espoir d'un changement. Le violeur ne peut plus vivre sans billet, il faut qu'il achète à nouveau cet espoir, quel qu'en soit le prix, il lui faut cette vie qu'on lui doit, celle où il va renouer avec le scénario d'une libido qui débouche enfin dans le réel, comme un abcès qu'on vide. La consommation de l'acte sera une triste liturgie, comme le toxicomane qui constate, une n-ième fois de plus, de trop, que le produit n'apporte rien, que c'était l'espoir du plaisir qui l'a poussé à la cérémonie, et qui pendant quelques minutes, pense qu'il ne recommencera pas.

Dire que le criminel a le choix de ne pas le faire, c'est comme dire à un employé d'une mine de sel qui vient de gagner le gros lot qu'il a le choix retourner à la mine demain, qu'il a le choix de s'infliger à nouveau le supplice qui lui est insupportable depuis des années, autant lui demander le suicide. Comme si la petite fille aux allumettes avait le choix de renoncer à renouer avec une vie normale, à voir sa grand-mère, à retrouver les jours heureux de l'enfance, sans responsabilité ni culpabilité, sans souffrance. C'est impossible, il faut craquer l'allumette, faire réapparaître la vision d'un monde sans souffrance, faire taire cette souffrance pour quelques temps, le temps qu'on imagine ce qu'on fera avec les millions du gros lot, ce qu'on fera avec une fille avec qui on pourrait tout recommencer à zéro, qui ne pose pas de question, comme si on était une personne normale, avec une partenaire qui coopère.

Évidemment non, elle ne le fera pas, mais pendant quelques minutes, les premières, le conte de fée commencera, les lumières du monde s'éteindront dans la salle de cinéma et on pourra se tasser dans son fauteuil et tout oublier pour s'abandonner au film. La neurobiologie a établi maintenant que cela met en jeu de puissants mécanismes chimiques dans le cortex.
Je sais qu'ils disent pour se dédouaner, pour diminuer la portée de l'acte, que leurs victimes n'étaient pour deux que des jouets, pas des êtres humains. Mais c'est dire à la société ce qu'elle a envie d'entendre, et je pense qu'à l'inverse, ils espéraient vivre une réelle histoire d'amour, sans histoire, sans obstacle, sans ces soucis matériels qui rendent la vie de couple trop compliquée à construire, et d'ailleurs une chose jamais vue et qu'on n'a pas appris à faire.

Tout recommencer avec quelqu'un qui ne vous sert pas les habituelles répliques de l'emmerdeuse, de la chieuse de société qui vous rebat les oreilles de votre culpabilité, de ce que vous devriez faire, de ce que vous faites, pas du tout, pas bien ou peu, ou mal. Comme d'ailleurs dans leurs amitiés, ou le peu qui en tient lieu. Faire taire ces crétins et retrouver la puissance originelle de celui qui décide de l'ordre des choses. Un monde redevenu si simple, ordonné, calme, raisonnable, logique (2), où je suis le seul à parler dans un monde qui obéit.

Et dans le tas, il y en a qui aiment à obéir.

La suite.

(1) Le pire (pour ma démonstration) c'est que cela peut arriver.

(2) Je vais y revenir

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire