Suite à cet article, je vais prendre un exemple concret, plus romantique que le viol d'enfant, ça nous changera. Mais je choisis cette horreur parce que c'est le crime absolu, imprescriptible. Si vous soignez celui-là, vous soignerez tous les autres, et il n'y aura plus en prison que quelques enfants malheureux qui auront échappé aux soins.
Imaginez, donc, qu'un jour vous êtes en visite chez un client, un type arrive vers vous et vous lise une page de l'annuaire téléphonique de Budapest. Vous allez le renvoyer et raconter à votre copine qu'un vicieux vous a harcelé. "Pas du tout", répondra votre copine, c'est un Hongrois, et en Hongrie, quand on est amoureux, on déclare sa flamme en récitant une page d'annuaire, c'est comme ça, c'est dans leur culture."
Du coup, le gars vous paraîtra moins antipathique. Vous aurez des remords de la violence avec laquelle vous l'avez éconduit. Quelques mois après, en visite chez ce même client, une société hongroise, un jeune et beau prince vous demandera la permission de vous réciter une page déchirée de l'Annuaire des Médecins de Budapest en 1860, sur papier d'origine. Le jeune homme vous plaît beaucoup, la page est assez courte, le hongrois sonne bien, et il a une belle voix grave et chaude.
Vous l'autoriserez à recommencer, et bientôt, la lecture d'une page d'annuaire hongrois va vous érotiser un chouilla, parce que vous avez envie du type, et que le rite a fonctionné. Vous avez ouvert le canal à la libido, vous lui avez ouvert les écluses et permis d'emprunter cette voie.
C'est en harmonie, mais il reste que vous êtes entrée dans le fantasme. Un an plus tard, si vous dites à votre copine que ça vous excite beaucoup quand Slobodan l'autre jour vous a récité un discours de Hitler en vociférant avec des accents de dogue danois à vous rendre folle, votre copine va dire que vous êtes devenue une psychopathe perverse, va employer les mots qu'elle a lus dans Psychologies Magazine pour vous dénigrer.
N'empêche. Peu vous importe. Cela fonctionne. Et il n'est pas impossible qu'à force, si vous tentez de faire l'amour sans lecture d'annuaire préalable, cela vous ennuie horriblement, votre corps ne fonctionnera plus. Vous aurez besoin de la lecture pour que la libido s'engouffre dans votre acte et vous envoie au ciel, vous en aurez tellement besoin que vous n'aurez plus le choix : Si vous voulez un bel orgasme, il vous faudra emporter dans votre sac une page d'annuaire.
Mais la chance que vous avez, c'est que personne ne vous embêtera pour ça, alors que vous vous vivez exactement la même chose qu'un exhibitionniste.
Lui, il est enfermé dans une culture non pas hongroise, beaucoup plus étroite, mais néanmoins, curieusement, assez répandue, la culture de ceux qui n'ont plus que ce moyen pour déclarer leur flamme. Lui non plus n'a plus le choix.
Toute autre tentative ne le fait plus bander. Cela non plus d'ailleurs, mais au moins il en rêve. Il faut avoir plongé ses yeux dans le regard d'un exhibitionniste pour mesurer combien le malheur y affleure, et combien il souffre d'être "locked in" dans cette situation dégradante où il se dégoûte lui-même. Il y autant de honte chez les femmes qui mouillent et jouissent pendant leur viol que chez le pauvre type qui ne jouit plus qu'en se malaxant à s'en faire saigner un sexe qui ne répond plus pour en tirer une goutte douloureuse à la lueur de l'allumette, la main dans la poche au bord de la plage : le corps et l'esprit ne marchent plus ensemble dans le plaisir, le sujet a honte de ces jouissances déconnectées.
Ce qu'il cherche c'est une amie, une femme qui partage ses goûts. Ce qu'il espère, c'est de tomber sur une femme que cela excite et qui considère cela comme un préliminaire. Évidemment, c'est voué à l'échec, et le pauvre type ne va récolter que mépris, insultes, incompréhension, dénonciation, violence policière, condamnation, enfin le tintouin de la violence.
Et encore, pour ceux-là maintenant il existe Internet, qui permet à presque tous de se rencontrer pour exercer leurs fantasmes chacun selon ses caprices, et c'est tant mieux. Il faut lire les forums de ceux qui mettent des couches de bébé pour faire l'amour. J'ai rarement vu de conversations aussi polies. Je ne vais pas dire "de haute tenue" pour ne pas exagérer, mais comparé au torrents d'insultes vulgaires des illettrés de Youtube, c'est le salon de Mlle de Lespinasse.
Maintenant, pour celui qui a passé un cran encore, pour le violeur d'enfant, pas de pardon, pas de clémence, que de la violence pure.
La violence qui nous ramène à ce vert paradis des amours enfantines à la poursuite duquel les violeurs en série roulent tout autour de la Terre. Il cherchent une partenaire à qui proposer un jeu qui relève de l'impossible, un jeu où l'excitation sexuelle aurait place dans l'innocence de l'enfance. Évidemment, c'est, de façon pire encore, voué à l'échec, puisque ce qui définit la sortie de l'enfance, c'est précisément la prise de conscience de la sexualité, et le cortège de tristesses qui va avec.
Nabokov a tenté, avec la nymphette, d'inventer le personnage de la très jeune fille douée d'un grand appétit sexuel et qui initie l'homme mûr. Ce fantasme n'existe que dans les livres. Les rares exceptions concernent des jeunes filles disons précocement mûries, qui combinent une apparence disons, prépubère, avec une maîtrise du jeu de la séduction, mais il s'agit de prostitution, même si c'est très bien joué jusqu'au bout.
Ils ont tenté cela également dans des films pendant les années 70. Les résultats sont d'une tristesse abominable, et tout cela est dominé par une absence d'excitation bien visible chez les hommes ou les jeunes garçons sommés de participer au jeu. "Heureusement", du coup, puisque leurs partenaires s'ennuient plus qu'autre chose sans être trop pénétrées.
Enfin, disons hélas "la plupart du temps", car d'autres bourreaux se font remplacer par des objets, mais bref, ce n'est pas le sujet.
Le sujet c'est que j'espère avoir montré que dans bien des cas le sujet ne choisit pas le crime, et que ce à quoi il est contraint n'est un crime que vu du point de vue d'une certaine partie de la société.
Alors on me dira que c'est bien là la définition du crime, et que si on attendait le coupable pour le définir, il y en aurait bien peu. Et c'est bien là où je vais reboucler sur la culpabilité réelle de la société.
La plupart de ces gens sont des malades qui n'ont pas été diagnostiqués à temps, et pour lesquels une partie de la société, les hommes, ont une indulgence mal placée. Ce n'est pas lorsque la victime se plaint qu'il faut pardonner à l'agresseur, le mal est fait. C'est avant, quand l'agresseur s'engage dans la spirale du fantasme, qu'il faut lui donner les moyens de guérir.
Lui donner les moyens de guérir, c'est lui donner les moyens de comprendre les sources, les racines et le développement de sa souffrance, et des faux remèdes qu'il y apporte. Cela s'appelle la psychanalyse, ce n'est pas bien compliqué, cela implique seulement qu'on arrête de laver son linge sale en famille. Cela implique d'admettre que le fait que l'humain soit devenu un être de culture pose des questions réellement nouvelles.
En guise de bonus, ce que j'espère avoir, non pas montré, mais peut-être suggéré en effleurant le sujet ici ou là, c'est que dans sa souffrance de malheureuse victime, l'assassin est d'abord logique et raisonnable dans sa tentative pour diminuer sa souffrance, et ensuite, oui, j'ose, dans un monde d'amour. L'amour est ce qui ne se refuse pas. Si un mendiant, un mourant, votre enfant, vous demande de quoi survivre, vous ne pouvez pas ne pas le lui donner.
L'amour est inconditionnel et vous presse, vous contraint, et vous n'avez plus le choix. On voit ce qu'il a de commun avec les addictions à l'alcool, la drogue, et le crime de fantasme.C'est plus fort que vous et vous vous détesteriez de ne pas le faire, vous ne pouvez pas ne pas le faire. C'est une obligation morale, et une compulsion physique positive.
Et ce que je veux dire c'est que le violeur vous fait entrer, hélas de force et à votre corps défendant, dans son monde d'amour. Parce que personne n'y entre jamais, et qu'on lui dit toujours non, à toutes ses demandes non, à tous ses projets, non, et qu'il en meure de ne pas aimer et de ne pas être aimé.
La pression de cet univers est si forte que les hommes et les femmes tombent amoureux au parloir, s'épousent à leur sortie de prison, mais encore que les jurés d'assise en font autant, pendant ces jours où ils siègent dans une ville de province. La force d'attractivité de la chaleur humaine est si forte qu'elle ouvre les vannes de la libido, elle autorise les transferts entre détenus, visiteurs, soignants, et que tout le monde doit se garder d'une empathie excessive.
Un monde où tu m'aurais aimée, toi la joggeuse que j'ai violée, au lieu de me mépriser, un monde où tu m'aurais aimé, toi l'auto-stoppeuse que j'ai étranglée, au lieu de tes insultes et de tes cris. Un monde où tu m'aurais aimée toi la petite fille qui ne sait que dire non, dire la terreur, toujours non, toujours le mépris, la haine, les insultes, les menaces. Alors que je ne commets d'autre crime que de vous aimer. Mais je le dis mal sans doute, pas en hongrois, pour ça il existe encore des dictionnaires, non, dans une langue dont personne ne veut. Je me tais, alors, je montre ma souffrance en écartant les pans de mon manteau. Et si j'ai la force, je vous force.
Je sais à quel point je vous dégoûte, je sais que jamais on ne me dit oui, que mes propositions sont infâmes, dégoûtantes. Jusque dans les prisons, les autres détenus s'instituent juges, condamnent et exécutent la peine, eux qui demandent qu'on prenne tant de précautions pour eux-mêmes. Mais moi je suis le monstre absolu, comme le héros de M le maudit, le film de Fritz Lang, n'a pas droit à un procès, celui qui marque la limite de la justice. Là où elle s'arrête pour faire demi-tour et céder la place à la loi du talion.
Ainsi l'homme fait demi-tour, en l'honneur du violeur d'enfant. Pour lui seul il renonce à la règle du procès équitable, et le tue sur place sans jugement. Il fait exactement la même chose parce que, comme les italiens qui admirent et jalousent en secret leur cavalier Sua Emittenza de faire des orgies avec des putes de 16 ans et le réélisent pour le lui montrer, ils le jalousent en secret. Ils le punissent pour l'or que le vrai guerrier a eu l'audace de voler, là où ils n'ont que le vin pour oublier qu'ils ont abdiqué de leur liberté de le prendre.
La vraie question c'est pourquoi il y en a autant, de ces violeurs solitaires, de ces branleurs des plages, de ces jeunes étrangleurs, de ces vieux qui en restent aux attouchements libidineux avec leur petite nièce, déjà suffisamment loin de l'inceste, de ces contrôleurs qui percent des trous dans les toilettes des trains, de ces étudiants qui mettent des caméras dans les vestiaires des filles, qui voudraient un monde où on entend les chants de la fée, et qui n'ont que les cris de la sainte ?
Pourquoi dès qu'ils ont un pick-up et des mitraillettes, il font des razzias pour voler des lycéennes, pourquoi dès qu'ils ont un yacht et du champagne, ils s'en payent de nouvelles ? Parce qu'ils n'ont jamais validé le contrat social, jamais. Parce qu'ils font semblant de l'accepter, prennent le fric et les honneurs, et puis prennent quand même les petites filles, parce que c'est trop bon.
On leur demande de signer un contrat dont on sait qu'ils ne le respecteront pas, parce qu'ils se sentent floués depuis que l'aube ne tient pas sa promesse. Mais les plus riche s'en sortiront en étouffant les affaires. Les pauvres iront en prison. Faut dire que les riches n'ont pas à étrangler les putes, ils les payent pour leur silence. C'est une guerre où les vainqueurs ont le yacht, les putes, le champagne et l'or, et les vaincus l'alcoolisme, la dépendance, l'hôpital et la prison.
Tout ça parce que lorsqu'ils sont encore enfants, à l'école, et qu'il y en a un qui tape sur l'autre, on ne corrige pas le violent, et on ne soigne pas le violé. Au contraire, on admire le vainqueur et on se moque de la victime. Être "une victime", au sens que ce mot a récemment pris dans les collèges et les lycées, est un crime en soi.
Autrefois, comme dans tous les régimes nazis, on encense le vainqueur, on prie pour ne pas être attrapé, on ferme sa porte, on ferme les yeux, et on cherche des coupables à jeter en pâture aux loups et aux porcs du parti, qui ont pris le pouvoir.
Dans la guerre qui enfle, les victimes s'organisent, et cherche des coupables, des boucs émissaires, des porcs à balancer aux loups. C'est pas encore mûr, M le maudit date de 1931, et fut inspiré par l'affaire Kürten, qui date de 1929.
"Né dans une famille pauvre de Cologne, troisième d'une fratrie de dix enfants, Kürten eut une enfance marquée par la délinquance et de fréquentes fugues du domicile familial. Il prétendit plus tard avoir commis son premier meurtre à l'âge de 9 ans : il aurait noyé deux jeunes chiots pendant une baignade.[...]
Pendant son interrogatoire, il avoue près de 80 crimes. Il reconnaît même avoir bu le sang d'au moins une de ses victimes. Mais, à son procès qui débute en avril 1931, l'accusation retient contre lui neuf meurtres et sept tentatives de meurtre. Il tente d'abord de plaider non coupable, mais change rapidement de tactique. Il est jugé coupable et condamné à mort. Il est guillotiné le à Cologne. Sur l'échafaud il demande "Dites-moi, quand ma tête aura été coupée, pourrai-je toujours entendre, au moins un instant, le bruit de mon sang jaillissant de mon cou ? Ce serait le dernier des plaisirs."
(Wikipedia)
Traduction du début de la chanson de l'Opéra de Peer Gynt, sifflé par l'assassin dans M le Maudit :
" Tuez-le! Le fils du chrétien a tenté
la plus belle fille de notre roi!
Tuez-le! Tuez-le! "
Quant à Petiot, on ne peut pas dire non plus qu'on l'ait vraiment "pris en charge" :
"
Né le 17 janvier 1897 à Auxerre, il est le fils d'un fonctionnaire des postes ; son oncle, Gaston Petiot, est professeur de philosophie au collège d'Auxerre. Dès son enfance, il manifeste des signes de violence, allant jusqu'à étrangler un chat après lui avoir plongé les pattes dans l'eau bouillante ou tirant au revolver sur ceux-ci. Toutefois, il manifeste une grande intelligence, à 5 ans il lit comme un enfant de 10 ans, et une forte précocité, distribuant des images obscènes en cours dès l'âge de 8 ans. Internée à Saint-Anne pour une pathologie psychiatrique, sa mère meurt lorsqu'il a 12 ans, il sera par la suite renvoyé de plusieurs écoles pour indiscipline. À dix-sept ans, il est arrêté pour avoir fracturé des boîtes aux lettres, non pour voler les mandats mais pour y lire les lettres et cartes postales. Il n'est pas condamné, un psychiatre l'ayant déclaré inapte à être jugé, estimant qu'il a une personnalité que l'on qualifierait aujourd'hui de « bipolaire », inadaptée socialement et anormale.[...]
En 1936, il est arrêté pour vol à l'étalage à la librairie Gibert Joseph, dans le Quartier latin. Il affirme à ses juges qu'« un génie ne se préoccupe pas de basses choses matérielles ». Déclaré aliéné mental, il échappe à la prison mais est interné d'office à la Maison de santé d'Ivry pendant sept mois. La question de son état mental se pose alors : est-il fou ou a-t-il simulé la folie pour éviter la prison ? Un premier expert psychiatre le déclare « délirant et irresponsable » mais un second conclut à « un individu sans scrupules, dépourvu de tout sens moral ». Rendu à la liberté le 20 février 1937, il reprend tranquillement ses consultations. [...]
Jugé du 18 mars au 4 avril 1946 pour vingt-sept assassinats, il en revendique soixante-trois lors de son procès."
(Wikipedia)
(Wikipedia)
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